Critique

Severance saison 2 : on prend les mêmes et on recommence… en mieux ?

07 janvier 2025
Par Quentin Moyon
“Severance”, saison 2, le 17 janvier sur Apple TV+.
“Severance”, saison 2, le 17 janvier sur Apple TV+. ©Apple TV+

La deuxième saison de la meilleure série de Apple TV+, Severance, arrive le 17 janvier sur la plateforme. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Imaginez. Vous arrivez un lundi matin au bureau. Vous saluez d’un geste flasque le gardien. Il faut dire que vous seriez bien resté tranquille, en week-end, un jour de plus. Vous déposez vos affaires dans votre casier, saisissez votre badge qu’à l’aide d’un tour de cou vous arrimez à votre corps. Celui qui devient, dès lors, outil de la grande machine entreupreneuriale. Vous montez dans l’ascenseur et abandonnez là, au rez-de-chaussée, tous vos souvenirs pour ne les retrouver que le soir tombé.

Bande-annonce de la saison 2 de Severance.

Grâce à une opération de chirurgie mémorielle appelée Severance ou Dissociation, créant au sein d’un même corps deux individus distincts, votre moi au travail ne sait rien de vous en dehors et vice versa. C’est ce qui arrive tous les jours à Mark Scout et à son équipe de raffineurs de macrodonnées, dont les existences et mémoires professionnelles (innies) et privées (outies) se trouvent séparées. 

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Si, à première vue, l’idée développée par la société Lumon Industries dans la saison 1 de la série Apple TV+ Severance est alléchante, nous permettant de véritablement couper avec les pensées professionnelles intrusives que nous ramenons chez nous le soir, elle est aussi éminemment problématique. 

C’est la partie problématique, ce déraillement psychique et social, que la saison 2 de la brillante série de science-fiction creuse dans ces dix nouveaux épisodes disponibles sur Apple TV+ à compter du 17 janvier prochain. Écrits par Dan Erickson et parfaitement mis en scène par Ben Stiller, reste à savoir s’ils sont à la hauteur du premier chapitre de Severance et s’ils méritent que l’on se souvienne d’eux.

Une fiction d’anticipation

Elles sont nombreuses les fictions marquantes à avoir si ce n’est inspiré, disons anticipé notre réel. Loin de n’être que de simples reflets de notre imaginaire, des œuvres comme Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley – qui a donné un visage à notre société hyperconsumériste et standardisée d’aujourd’hui – ou 1984 de George Orwell qui a questionné la surveillance de masse et le contrôle des mots et des idées dans des régimes dictatoriaux, ont donc su prévoir les potentielles dérives de nos sociétés. 

La figure du Canard-Lapin.

D’autres œuvres ont ainsi permis de poser des questions éthiques sur l’intelligence artificielle dans le cas de Westworld, sur la frontière entre espace public et privé dans un monde hyperconnecté dans Black Mirror, ou bien sur les manipulations génétiques dans Bienvenue à Gattaca ou Jurassic Park

À ce titre, et à l’image de la statue de Canard-Lapin présente dans le bureau de Mr.Milchik (brillamment interprété par Tramell Tillman) dans le deuxième opus de Severance – une figure à la fois historique et ambigüe de la psychanalyse qui donne à voir soit une tête de canard soit celle d’un lapin, mais jamais les deux en même temps –, la série de Dan Erickson fait sienne la vieille notion du double façon Dr Jekyll et Mr Hyde.

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Mais cette fois en lui donnant une consistance scientifique : la séparation de nos souvenirs de manière chirurgicale est désormais possible et entraîne la cohabitation de deux individus au sein d’une même enveloppe corporelle. C’est la Dissociation. Severance, en plus d’être une œuvre de fiction étonnante et intelligente, se fait fiction d’anticipation philosophique.

Severance, saison 1 : les ingrédients du succès 

Dire que la saison 1 fut un succès est un doux euphémisme : avec un score d’audiences de 86 % sur Rotten Tomatoes et des retours critiques dithyrambiques à l’image de GQ qui n’hésite pas à parler de « la meilleure série d’Apple TV », Severance a déjà largement marqué les esprits. 

Les raisons de son succès ? En plus du high-concept au cœur du récit et de ses réflexions philosophiques sur le monde du travail, le show a su se parer d’un univers visuel unique reposant sur une grammaire cinématographique exigeante et accessible. 

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Chez Ben Stiller, qui nous confirme ses talents de réalisateur, rien n’est anodin et tout a un sens. À commencer par le contraste entre le monde extérieur à l’esthétique souvent sombre et réaliste, et le blanc étincelant des couloirs labyrinthiques de Lumon Industries, qui renforce la rupture entre les deux mondes.

Dans les méandres de cette entreprise au but obscur, la dystopie se fait « huxlienne » puisque c’est souvent la comédie absurde (le niveau d’inefficacité au bureau de Mark Scout nous rappelant parfois celui de Mike Scott) et la bonne humeur qui empêche nos innies de questionner leur condition. Mais l’épure des décors, rappelant les bureaux de firmes comme Apple ou Google, ne trompe pas. Une chaise, un bureau, un ordinateur : les innies sont là pour travailler.

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Et pour discerner les outies des innies, des indices existent : des changements de focale dans l’ascenseur modifient légèrement notre perception des visages des personnages pour nous faire comprendre que l’on change d’intériorité ; des différences d’échelle de plans entre l’extérieur, où l’on peut respirer, et l’intérieur, où l’isolement est plus marqué ; des gros plans démultipliés.

Une différenciation entre deux réalités dont Ben Stiller s’est fait le maître depuis le très réussi La vie rêvée de Walter Mitty flirtant déjà avec les frontières du réel et du rêve. De plus, l’écriture et l’interprétation de personnages forts et complexes jouent pour beaucoup dans notre attachement à ce show déjà culte. D’autant plus que chaque personnage doit ici s’inscrire dans deux réalités différentes (vie privée et vie professionnelle) et jouer deux individus qui, certes, ont des points communs, mais sont aussi divergents.

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Des innies qui ont d’ailleurs tous un rapport différent au mystérieux travail de raffinage des macrodonnées qu’ils doivent effectuer chaque jour : rébellion pour Helly, résignation pour Marc, acceptation pour Irvin. 

Un univers très complexe qui a nécessité d’être installé dans le temps : la saison 1 a commencé doucement, avant de voir son rythme se transformer, pour aboutir à un climax enthousiasmant. La barre était donc très haute pour ce nouveau chapitre des aventures de Mark Scout…

Severance, saison 2 : un dépassement de soi

« Have you ever dreamt of a better version of yourself? Younger, more beautiful, more perfect? » Ce slogan issu du dernier film de Coralie Fargeat, The Substance, pourrait à lui seul résumer les dix nouveaux épisodes de Severance

Les retrouvailles avec l’univers de Ben Stiller et Dan Erickson ne nous trompent pas : l’ambiance est plus malaisante que jamais et The Office laisse bientôt la place à Twin Peaks ou Matrix. L’intrigue de ce second chapitre est bien ficelée et nous permet de creuser encore l’univers de Severance, que ce soit chez les outies, dont on découvre peu à peu les vies personnelles, ou chez les innies, l’étage des Dissociés se révélant plus étendu qu’il n’y paraissait jusqu’alors. 

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Côté casting, si l’on retrouve notre équipe d’affineurs au complet – Mark (Adam Scott), Helly (Britt Lower), Dylan (Zach Cherry), Irvin (John Turturro), et autres Christopher Walken, Tramell Tillman et Patricia Arquette –, l’arrivée aux côtés de Mr Milchick de Miss Huang (Sarah Bock), gardienne infernale au visage enfantin, renforce l’inquiétante étrangeté ressentie au bureau.

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Au niveau visuel, la grammaire de la série est toujours aussi reconnaissable. De nouveaux décors, comme autant d’Easter Eggs que l’on aime découvrir, viennent ajouter un aspect très interactif au visionnage. Sans oublier un nouveau générique de toute beauté qui joue avec une esthétique Corporate Memphis au style géométrique et illustratif cher aux Gafam de la fin des années 2010. À la manière de ceux de James Bond, il contient déjà en lui de nombreuses clés pour comprendre l’intrigue et fait la part belle aux visages sans contours, anonymes, rappelant le travail industriel dans lequel l’individu n’est finalement qu’un pion parmi d’autres pour effectuer des tâches répétitives. 

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Pour insister sur ces mentions faites à l’aliénation du travail, la musique de Theodore Shapiro, déjà grandiose dans le premier chapitre, continue de jouer sur les motifs chers au style des pionniers de la musique minimaliste comme Steve Reich ou Philip Glass. Une musique froide, mécanique, qui joue sur les répétitions, renforçant l’aspect itératif des tâches à effectuer au sein du pôle de raffinage des macrodonnées.

Un travail absurde défini dans les épisodes comme « mystérieux et important ». Rien de plus. Contrairement aux prémisses de la série et dans la lignée de la fin de la première saison, les personnages que l’on suit nous paraissent aussi beaucoup plus humains, plus en mesure d’avoir une influence sur leur destin, qu’il s’agisse de Mark, de Helly ou bien encore de Ms Cobel…

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Enfin, là où la deuxième saison se démarque vraiment, c’est dans sa capacité à aller encore plus loin dans les thématiques abordées, les réflexions sociétales qu’ouvre cette technologie. À croire que la série a suivi les préceptes de Riken et a réussi à se développer personnellement. Sont ainsi abordées des questions qui touchent à l’individu, comme celle de l’identité, les personnages dissociés, innies comme outies, commençant à détester leur autre soi.

La question aussi de la conscience de ces innies est aussi explorée : est-ce qu’ils meurent quand ils partent de l’entreprise ? Sont-ils des individus ou des animaux, comme l’exprime l’outie de Helly, qui n’est autre que Helena Eagan, fille du fondateur de Lumon Industries ? Et à ce titre, ont-ils des droits ? Mais aussi des questions plus sociétales concernant l’impact que ce type de technologie pourrait avoir dans d’autres secteurs de la société en termes de liberté, évidemment, mais aussi d’égalité et de consentement entre les différentes classes sociales…

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Une saison 2 qui, plus que de nous convaincre qu’elle est au niveau du premier opus, va encore plus loin et multiplie à foison les possibilités, les réflexions… avant une future saison 3 ? Comme le révélait Ben Stiller dans les colonnes de Collider, ce serait plus que probable : « Ça devrait durer aussi longtemps que l’histoire l’exige, et c’est quelque chose dont nous avons une idée et vers lequel nous travaillons alors que nous entamons le travail sur la saison 3. »

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