Décryptage

De Split à The Crowded Room, comment la pop culture a caricaturé le trouble dissociatif de l’identité

09 juin 2023
Par Marine Durand
Tom Holland est la tête d'affiche de “The Crowded Room”.
Tom Holland est la tête d'affiche de “The Crowded Room”. ©Apple TV+

Nouvelle série événement d’Apple TV+, The Crowded Room s’inspire de la vie de Billy Milligan, « l’homme aux 24 personnalités ». Avant que Tom Holland ne se glisse dans la peau d’un malade atteint de TDI, Hollywood a exploité tout son potentiel scénaristique, au risque de grossir le trait et de retarder certains diagnostics.

Été 1979, à New York. Principal suspect d’une fusillade ayant eu lieu à Manhattan, Danny Sullivan (Tom Holland) fait face à la pugnace enquêtrice Rya Goodwin (Amanda Seyfried), déterminée à faire la lumière sur les événements et sur le passé trouble du jeune homme, qui a d’importants trous de mémoire.

Si la bande-annonce de The Crowded Room, réalisée par Akiva Goldsman et disponible le 9 juin sur Apple TV+, ne laisse rien entrevoir d’autre qu’un polar de bonne facture, la plateforme n’a jamais fait mystère des origines de la série : le personnage de Danny Sullivan est librement inspiré de Billy Milligan, un violeur récidiviste américain qui opéra dans les années 1970 et fut jugé non responsable de ses actes à l’issue d’un procès très médiatisé, au cours duquel il avait soutenu que plusieurs personnalités contrôlaient son comportement. Le même Billy Milligan a d’ailleurs fait l’objet d’une minisérie documentaire sur Netflix, Billy Milligan : ces monstres en lui, en 2021.

Un avant et un après Split

Autrefois appelé « trouble de personnalité multiple », le trouble dissociatif de l’identité (TDI), dont était atteint Billy Milligan, est une pathologie inscrite depuis 1994 dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), la bible des maladies mentales aux États-Unis. Le TDI fascine depuis longtemps producteurs et cinéastes.

« Les troubles dissociatifs correspondent à une rupture d’intégration des fonctions psychologiques normales, généralement à la suite d’un traumatisme », décrit le Dr Laurent Bauer, psychiatre à Marseille, qui a consacré sa thèse de doctorat au TDI en 2017.

Netflix a déjà abordé le cas de Billy Milligan dans un documentaire.©Netflix

« Plus simplement, c’est une dissociation psychique avec l’apparition de plusieurs “personnalités” chez un sujet. Pour un réalisateur, c’est souvent un moyen de faire un bon thriller », ajoute le psychiatre, qui a notamment questionné l’impact de la médiatisation du TDI sur la multiplicité des diagnostics. 

En 1976, le réalisateur canadien Daniel Petrie est l’un des premiers à mettre en images la vie troublée d’une patiente cohabitant avec 16 identités dans Sybil, adapté de l’ouvrage éponyme de la journaliste Flora Rheta Schreiber. En 2003, chez James Mangold, le TDI prend déjà une tournure criminelle dans Identity, puisque l’une des dix personnalités du détenu Malcom Rivers cède à ses pulsions meurtrières.

Sally Field dans le film Sybil, de Daniel Petrie.©NBC Universal

Mais c’est surtout le film Split (2016), s’inspirant lui aussi de l’histoire de Billy Milligan et signé du maître du thriller M. Night Shyamalan (Sixième Sens, Incassable), qui a marqué durablement le grand public. James McAvoy y interprète Kevin Wendell Crumb, un homme aux 23 personnalités dont « Dennis », qui enlève trois jeunes filles afin de nourrir la 24e personnalité de Kevin, une inquiétante « Bête » aux capacités physiques décuplées.

« Avant qu’on ne me diagnostique un TDI en 2018, je n’en avais entendu parler que par Split », raconte ainsi Cristina Pax Rodriguez, qui documente son trouble sur les réseaux sociaux derrière le pseudo The Peculiar Club. « J’ai commencé à en parler sur Internet, car j’en avais assez que les médias ou la pop culture nous montrent comme des monstres », assène la jeune femme de 22 ans aux 12 « alters », qui a longtemps souffert d’amnésies. 

Le TDI peut passer inaperçu

Pour « Epsi » et « Kara », qui alimentent le site Partielles.com devenu une référence dans le domaine de la maladie mentale et des troubles dissociatifs, « Split a beau montrer dans le fond que le TDI existe, cela reste un film d’horreur avant tout ». Avec une dimension surnaturelle, une voix, un comportement, un accoutrement associés à chacune des personnalités du protagoniste, « alors qu’il existe une multitude de manifestations du TDI, moins sensationnalistes que ce qu’en montre le cinéma », précisent les deux trentenaires belges.

James McAvoy dans Split, de M. Night Shyamalan.©Universal Picture International France

Certaines manifestations sont ainsi beaucoup moins visibles que des « switchs » brutaux d’une personnalité à une autre, au point que les malades eux-mêmes peuvent mettre des années à prendre conscience de leur trouble. « Il y a un mécanisme d’adaptation très fort dans le cerveau, qui fait que le TDI peut passer totalement inaperçu », souligne Epsi, quand Cristina Pax Rodriguez note de son côté que le trouble « est souvent fait pour que la personne ne s’en rende pas compte, dans une démarche de protection de l’esprit ».

Laurent Bauer, qui a croisé peu de patients dissociés dans sa pratique, abonde : « Il est difficile de poser un diagnostic de TDI en consultation. D’abord, parce qu’il y a souvent des symptômes associés, de la dépersonnalisation, de la déréalisation, des troubles anxieux dépressifs, des traumatismes dans l’enfance ou un vécu d’adversité. Mais aussi parce qu’en tant que psy, on s’attend à quelque chose d’assez caricatural. Or, dans les quelques cas que j’ai pu observer, on est loin des cinq personnalités qui défilent à la suite dans notre cabinet. » 

Toni Collette dans United States of Tara.©Showtime

Et même quand le programme télévisuel penche davantage du côté de la comédie que de la science-fiction ou du film d’épouvante, le TDI reste inscrit dans une dimension théâtralisée. Toni Collette, l’actrice principale de la série United States of Tara (Showtime, 2009-2011), incarne une mère de famille quadragénaire souffrant de TDI qui devient successivement une adolescente de 16 ans provocante, soutien-gorge et string apparent, « Buck », un vétéran de la guerre du Vietnam grand buveur de bière, ou encore « Alice », une femme au foyer très « vieille école », que l’on croirait sortie de la série Mad Men avec ses perles et son brushing travaillé.

Des années avant d’obtenir le bon diagnostic

Selon les études récentes, les patients recevraient entre quatre et sept diagnostics, notamment de schizophrénie, avant d’en arriver, enfin, au trouble dissociatif de l’identité. Cette longue errance médicale, c’est ce que raconte Zelliana, étudiante en neurosciences et créatrice de contenus TDI aux 25 000 abonnés sur YouTube.

À l’adolescence, « j’avais l’impression d’être possédée. Il m’arrivait régulièrement de me retrouver à des endroits sans avoir aucune idée de comment j’y étais arrivée. Mais j’ai pris assez tôt conscience de l’une de mes alters, Isabelle », décrit la jeune femme de 25 ans.

John Cusack et Amanda Peet dans Identity, de James Mangold.©Columbia Pictures

Une première psychiatre lui diagnostique une dépression sévère et des syndromes de stress post-traumatiques avant de la placer sous anxiolytiques, auxquels elle devient accro. Après une grosse crise de tétanie, un autre professionnel lui assure qu’elle est psychotique et que le TDI « n’existe pas, qu’il a été créé par des lobbys américains ».

Finalement, un dernier psychiatre parisien, à la pointe sur le sujet, finit par poser le bon diagnostic après trois mois de séances très régulières. Car l’autre difficulté à laquelle se heurtent les malades TDI, c’est le scepticisme de nombreux médecins. En janvier dernier, lors du Congrès de l’encéphale 2023, la psychiatre Coraline Hingray a présenté une étude menée auprès de 900 de ses collègues montrant qu’un psychiatre français sur deux avait des doutes sur l’existence du TDI.

Tom Holland dans The Crowded Room.©Apple TV+

« La pop culture a amené l’idée qu’il s’agissait d’une pathologie aux manifestations extrêmes (…), ce qui n’aide pas à reconnaître cette maladie caméléon », détaille cette dernière auprès du site Madmoizelle. Selon la professionnelle de santé, spécialisée dans le traitement des traumas, la prévalence est pourtant bien plus importante que ce que l’on pourrait imaginer, puisque 1 à 1,5 % de la population serait concernée par le TDI.

À l’inverse des énergumènes des fictions américaines, la libération de la parole en ligne par les patients fait néanmoins progresser la connaissance sur le trouble dissociatif de l’identité. Des communautés de partage d’informations se sont créées sur Internet et font avancer les choses. « On parle beaucoup plus du TDI aujourd’hui que lorsque j’ai été diagnostiquée, je sais que les élèves en psychologie l’étudient dès la première année de fac… Cela va dans le bon sens », observe Cristina Pax-Rodriguez.

Tom Holland dans The Crowded Room.©Apple TV+

Elle-même estime avoir atteint une harmonie entre ses « alters ». « Au cours de ma thérapie, nous avons travaillé sur mes traumas d’enfance et lorsque je sens un “switch” arriver, je parviens à une forme de co-conscience. J’aime bien filer la métaphore de la voiture pour expliquer ce que je vis : la personnalité qui prend le dessus est celle qui tient le volant et décide de la direction. À côté du volant, un autre alter voit ce qu’il se passe, mais sans chercher à prendre le contrôle. Les autres, plus flous, sont bien présents, mais sur la banquette arrière. » Une façon apaisée de vivre avec son trouble. Loin, très loin de Danny Sullivan ou M. Night Shyamalan.

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