
Réalisée par Martin Bourboulon, la nouvelle production Apple TV+ nous invite à découvrir le pouvoir politique de la gastronomie. Un délice ?
1. Mettre à tremper les fruits secs dans du rhum. 2. Faire griller la brioche. 3. Battre les œufs et y mettre du sucre, de l’arôme de vanille et du lait. 4. Dans un moule préalablement beurré, déposer les tranches de brioche en alternance avec quelques morceaux de fruits. Puis, ajouter la préparation. 5. Mettre à cuire pendant une heure au bain-marie dans un four préchauffé à 150°. 6. Il ne vous reste plus qu’à le servir bien froid avec une crème anglaise. Si vous suivez à la lettre cette recette, vous pourrez, une fois la cuisson terminée, servir à vos convives un sublime dessert : le diplomate.
Inventée en 1815 (spoiler alert) après la défaite de Napoléon, par le cuisinier français Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême, cette délicieuse recette fut pensée pour servir les intérêts du politicien boiteux Talleyrand, plus diplomate que Bonaparte – c’est le cas de le dire. Elle visait à être servie lors d’un repas politique pour défendre les intérêts de la France dans le concert des nations. Un mets et des faits qui s’entremêlent pour illustrer à la perfection les différents aspects au cœur (coulant) de la nouvelle fiction d’Apple TV+, Carême. Reste à savoir quelle est la véritable saveur de la série.
Les ingrédients du succès
Du pain affectueusement pétri. Une viande tendrement découpée. Une grenade délicatement tranchée… Après une altercation musclée, le premier épisode s’ouvre sur un générique qui met littéralement l’eau à la bouche. Une œuvre à part entière, dans la lignée des génériques HBO, tout en rappelant sans complexe celui du programme culinaire Chef’s Table de Netflix. Mais qui annonce surtout la couleur : la série sera belle.

Produite par Dominique Farrugia, cette adaptation du livre Cooking for Kings: The Life of Antonin Carême d’Ian Kelly, aussi cocréateur de cette production avec Davide Serino, est plus qu’attendue. Il faut dire que sur le papier, la fiction qui se veut autant le portrait d’un des grands noms de la gastronomie moderne, Marie-Antoine Carême, que celui d’une époque politique mouvementée, dispose de nombreux ingrédients susceptibles d’en faire un succès : la représentation historique, les intrigues politiques et l’esthétisme des séries culinaires. Côté représentation historique, on peut dire que notre première rencontre avec le début du XIXe siècle est plutôt réussie.

Pas étonnant lorsque l’on sait que Martin Bourboulon, réalisateur du show, est aussi celui du triptyque Les trois mousquetaires ou encore du film Eiffel. Ainsi, Carême nous plonge dans une magnifique reproduction du Paris sous le Consulat. Du travail sur les costumes à l’utilisation de décors réels comme les Tuileries, l’Opéra Garnier ou encore le Palais Royal, la production a doté cette fiction d’un cachet indéniable.
Un écrin de qualité pour nous plonger dans la Ville Lumière de l’an VIII, peu de temps après le coup d’État du 18 Brumaire. Une époque durant laquelle le jeune Antonin Carême, prodige de la pâtisserie et antibonapartiste assumé, prend autant de plaisir à mijoter des merveilles gastronomiques qu’à dragouiller le Tout-Paris.
Le pouvoir de la gastronomie
Tout change pour lui le jour où son « père » Sylvain Bailly, qui lui a tout appris, se fait injustement arrêter par le ministre de la Police, Fouché. Sa gastronomie, pratique qu’il a érigée au rang d’art et qui est appréciée des grands de ce monde, l’oblige à servir dans les palais des puissants et à ravir les palais de Napoléon et de Talleyrand pour espérer faire sortir l’innocent des geôles.
Donc à se trahir, en s’embourbant profondément dans les manigances politiques de ces habiles hommes d’État qu’il exècre. De table en table, de cuisine en cuisine, l’art de Carême devient un instrument pour faciliter les négociations, orienter les débats, tenter de gagner à sa cause un ennemi anglais ou le successeur légitime de Louis XVI.

Car la nourriture et notre façon de la consommer apparaissent rapidement comme des clés de lecture des comportements humains, tout autant que des outils politiques pour les influencer. En effet, si Napoléon disait qu’il suffit de connaître la géographie d’un pays pour connaître sa stratégie, la série semble vouloir nous dire qu’il est aussi important de connaître l’âme humaine pour influer sur la politique.
Mais, pour qu’elle puisse véritablement impacter les relations de pouvoir, reste qu’il faut que cette dernière soit bonne… et belle. Pour mettre en avant la cuisine de Carême, Martin Bourboulon donne une grande place aux aliments.

Dans les nombreuses scènes gastronomiques, les ingrédients utilisés sont constamment mis en avant, avec une intelligente alternance entre gros plans – la nourriture touchant à notre rapport à l’intime – et plans larges, pour mettre en avant la grandiloquence de cette gastronomie symbolique dans laquelle les gâteaux prennent la forme de pyramides d’Égypte ou de voiliers de l’Invincible Armada. Un programme qui semble, sur le papier, très alléchant. Mais ces différents ingrédients se mêlent-ils bien ? Ne finissent-ils pas par tourner ?
Des illusions perdues ?
Lors de la découverte des premiers épisodes de Carême, si ce sont nos yeux et nos papilles qui se doivent d’être titillés, nos oreilles sont aussi de la partie. D’un plan à un autre, résonne çà et là une bande-son faite de cordes, qui invoque le Schubert de Barry Lyndon et son Piano Trio in E-Flat. Une fois de plus, le travail d’ambiance est on ne peut plus réussi et l’on se retrouve happé dans cette époque d’instabilité politique.

Mais nos illusions tournent assez vite court, une fois confrontées aux prestations ronflantes de certains acteurs. Devant la caméra, les interprétations de Benjamin Voisin (Marie-Antoine Carême), sorte de James Dean qui ne pense qu’à batifoler et se fait rapidement insupportable, ou de Micha Lescot (Joseph Fouché), qui cabotine sec, ont le don de nous sortir de l’intrigue.
Quelle empathie ressentir pour le combat d’un jeune cuisinier imbu de lui-même ? Fort heureusement, le reste de la distribution – Jérémie Renier délivre un Talleyrand subtil, Maud Wyler, une Joséphine puissante, Lyna Khoudri une soupirante plus complexe qu’il n’y paraît – nous permet de ressentir de l’attachement pour des personnages secondaires qui font toute la saveur de ces huit épisodes.

Ce manque de subtilité se ressent aussi dans le traitement pop imposé à une époque pourtant loin d’être glamour, la série tâchant vainement de s’inspirer du Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou du cinéma de Baz Luhrmann. Malgré la situation catastrophique du pays, les révolutions politiques qui ont affaibli le peuple tout autant que le pouvoir, les attentats et le risque pour Carême de perdre celui qui lui a tout appris, tout suinte un peu trop le cool. Une dissonance qui impacte notre plaisir de spectateur. Une enveloppe tape-à-l’œil qui va parfois jusqu’à nuire à l’authenticité de la série, qui faisait pourtant du travail de représentation historique l’un de ses points forts.
Ainsi, certains anachronismes comme l’usage du terme de « brigade en cuisine », alors que ce dernier ne sera inventé par Auguste Escoffier que plusieurs années plus tard, ou encore l’apparition des premières toques, certes inventées par Marie-Antoine Carême, mais en 1821, persistent. Et on regrette alors, parfois, que la science du coup d’éclat ne l’emporte sur la subtilité et la véracité forte de son histoire.
Malgré tout, Carême reste une production divertissante, qui séduit par son rythme endiablé, ses intrigues trépidantes et ses décors à couper le souffle. Donnant sans aucun doute raison à Talleyrand dans la production d’Apple : « L’âme humaine est régie par deux émotions : la peur et le plaisir. » Alors, foncez et n’ayez pas peur de prendre du plaisir.