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You, ou la problématique de la glamourisation des tueurs

24 avril 2025
Par Sarah Dupont
“You”, saison 5, le 24 avril sur Netflix.
“You”, saison 5, le 24 avril sur Netflix. ©Netflix

Netflix s’apprête à dévoiler la cinquième et dernière saison de You. En quelques années, la série a hissé Joe Goldberg au rang d’icône pop. Tueur manipulateur au charme glaçant, il cristallise néanmoins une tendance troublante de la fiction contemporaine.

Ils sont impeccables, éloquents, parfois même irrésistibles. Leurs gestes sont maîtrisés, leur regard pénétrant, leur intelligence manifeste. Mais derrière le raffinement de Joe Goldberg, Dexter Morgan ou Hannibal Lecter, ce sont des tueurs qui s’agitent – obsessionnels, violents, méthodiques. Et la fiction, parfois, les rend un peu trop séduisants pour qu’on s’en méfie vraiment.

Depuis quelques années, les séries et films ne se contentent plus d’explorer la fascination que peuvent susciter les figures criminelles. Elles les magnifient. Une silhouette soignée, une voix off envoûtante, un décor léché : les ingrédients sont là pour troubler le regard et faire oublier ce que ces personnages incarnent. Le malaise n’est pas nouveau, mais il gagne en intensité à mesure que ces figures s’inscrivent dans l’imaginaire collectif.

Du thriller au fantasme romantique

Dans You, Penn Badgley incarne ce stalker meurtrier qui parle d’amour tout en éliminant quiconque se met en travers de sa route. La série épouse son point de vue, entre citations littéraires et crises de jalousie, au point que certains internautes déclarent « rêver d’un Joe dans leur vie ». Un phénomène devenu quasi viral sur les réseaux sociaux, notamment TikTok.

Dexter : Original Sin.©Showtime

Même glissement du côté de Dexter, où le héros, tueur méthodique au visage angélique, est présenté comme le garant d’une justice parallèle. Parce qu’il ne tue que des criminels, sa violence devient presque légitime, rassurante. L’œuvre, fictive, propose une morale trouble : une société où l’on pourrait admettre, en silence, que la violence peut servir le bien.

Hannibal.©NBC

Avec Hannibal, le basculement est tout aussi net. Mads Mikkelsen incarne un Lecter raffiné, amateur d’art et de grande cuisine, dont l’érudition efface presque la monstruosité. Le personnage fascine : il devient figure culte, au même titre qu’un antihéros de prestige, soigné dans le moindre détail.

Quand la fascination s’ancre dans le réel

Le trouble devient plus profond encore lorsqu’il s’agit de personnages inspirés de faits réels. Dans Dahmer – Monster : The Jeffrey Dahmer Story, la mise en scène stylisée et l’interprétation glaçante d’Evan Peters ont installé une proximité dérangeante.

La production ne glamourise pas son personnage à l’image des shows précédents, mais elle le rend hypnotique. Les réactions en ligne n’ont pas tardé : détournements sur TikTok, vidéos musicales, et même déguisements pour Halloween.

Monstre – L’histoire de Jeffrey Dahmer.©Netflix

« Cette série revient sur un traumatisme réel pour divertir », déplorait Eric Perry, cousin de l’une des victimes, dans le Los Angeles Times en 2022. L’esthétique, en ce cas, agit comme un filtre. On oublie les corps, la douleur, les familles et le personnage prend progressivement la place d’une icône.

Même scénario pour la suite du show, L’histoire de Lyle et Erik Menendez. Les deux frères parricides ont été incarnés par Cooper Koch et Nicholas Chavez, deux jeunes acteurs musclés et séduisants. Résultat : des montages ont fleuri en ligne, vantant leur complicité ou leur charme. Sur les réseaux, certains les ont romancés, voire défendus. Une réception qui alimente un phénomène identifié : l’hybristophilie, ou l’attirance sexuelle ou sentimentale pour les criminels.

L’effacement des victimes

Au-delà de nourrir une fascination parfois malsaine, cette tendance à styliser les figures du mal recentre trop souvent le récit sur l’auteur du crime. Les victimes, elles, disparaissent. Réduites à des rôles fonctionnels ou à de simples déclencheurs de l’intrigue, elles sont éclipsées par la complexité supposée du tueur, comme si leur humanité pesait moins que la mise en scène de sa noirceur.

Mindhunter, saison 1.©Patrick Harbron/Netflix

Heureusement, certaines œuvres choisissent une autre voie. Réalisée par David Fincher, Mindhunter s’attarde sur les mécanismes mentaux des criminels sans jamais les esthétiser. Le malaise y surgit du décalage entre la banalité des tueurs et l’horreur de leurs actes. Dans Zodiac, le criminel reste en retrait, presque invisible : ce sont les enquêteurs, leur obsession, leurs failles, qui occupent l’écran.

Le film Red Rooms de Pascal Plante interroge quant à lui la place du spectateur lui-même, en suivant une femme fascinée par un procès pour féminicides. Ces récits nous rappellent qu’on peut parler de violence sans la sublimer. Et qu’à l’heure où les meurtriers deviennent des mèmes ou des fantasmes, il reste salutaire de rétablir un peu de clarté.

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