Enquête

Pourquoi les tueurs en série nous fascinent-ils tant ?

02 octobre 2021
Par Agathe Renac
La série Billy Milligan : ces monstres en lui raconte l’histoire d’un tueur en série aux personnalités multiples.
La série Billy Milligan : ces monstres en lui raconte l’histoire d’un tueur en série aux personnalités multiples. ©Netflix

Dexter, True Detective, Hannibal, Le Serpent… On ne compte plus le nombre de documentaires et séries qui nous plongent dans l’univers des serial killers. Si les plateformes semblent avoir trouvé la recette magique pour séduire les spectateurs, la question de la fascination pour ces tueurs subsiste.

Jack l’Éventreur, Ted Bundy ou encore Charles Manson : si ces noms sont familiers pour la grande majorité, ils n’ont aucun secret pour les series addict. Depuis le début des années 2000, des dizaines de programmes retraçant la vie des tueurs en série ont surgi sur les petits écrans. Les spectateurs sont tombés sous le charme de Dexter et son code « éthique », ont suivi avec attention la naissance du profilage criminel avec Mindhunter et ont même été touchés par le (faux) aspect romantique de Joe Goldberg dans You. Du côté des documentaires, Ted Bundy : autoportrait d’un tueur, I am a killer ou plus récemment Billy Milligan : ces monstres en lui, ont réussi à en faire frissonner plus d’un. Mais quand vient le générique, certains s’interrogent sur leur rapport avec ce type de contenu. Pourquoi sont-ils autant excités à l’idée de les binge-watcher ? D’où vient cet intérêt ? Et surtout, est-il malsain ?

La naissance des tueurs en série

On parle de serial killer quand un individu a tué au moins trois personnes dans trois lieux différents et avec une pause entre les meurtres. Mais la grande question qui brûle les lèvres (et les cerveaux) des spectateurs est : comment devient-on tueur en série ? « Certaines personnes vont avoir recours à la psychopathie pour se défendre d’un effondrement dépressif, c’est un mécanisme de défense », explique Joseph Agostini, psychologue et co-auteur de Tueurs en série, sur le divan. Par exemple, la plupart n’ont pas connu une enfance joyeuse. En 2005, les chercheurs américains Heather Mitchell et Michael G. Aamodt ont étudié l’enfance de 50 serial killers et ont notamment constaté que, parmi eux, 50 % avaient connu des abus psychologiques et 68 % des mauvais traitements. Le psychologue Joseph Agostini n’a pas de mal à trouver des exemples : Thierry Paulain a été abandonné par ses parents, Guy Georges a été exclu par ses grands-parents et sa famille d’accueil, Michel Fourniret a été victime d’inceste… « Ces personnes se sont retrouvées en errance identitaire, constate-t-il. Il y a une douleur archaïque incroyable et ils se sont coupés de leur affect pour ne pas souffrir de ce manque. » Emily Tibatts, autrice de plusieurs ouvrages sur les tueurs en série, approuve cette conclusion, mais ajoute que certains ont connu une enfance tout à fait normale. « J’ai fini par comprendre qu’ils tuent aussi parce qu’ils en ont envie. Il y a plein de théories, mais l’idée finale, c’est que ce sont des personnes particulièrement froides, égoïstes et dénuées d’empathie. »

Une fascination intemporelle

Les tueurs ont toujours fasciné. De Gilles de Rais à Francis Heaulme, il y a toujours eu une mythologie du crime. « Le premier tueur en série moderne, c’est Jack l’Éventreur, souligne Emily Tibatts. L’histoire a été racontée dans les journaux et il est immédiatement devenu célèbre. » Pour Joseph Agostini, le phénomène a toujours existé. « Il y a 100 ans, la presse papier racontait déjà des faits divers, qui ont impacté notre conscient et notre inconscient. Ces sujets prenaient déjà beaucoup de place. Le psychologue raconte avoir trouvé des journaux de 1900 où les faits divers sont décrits avec violence. Il y avait carrément l’autopsie. C’était très voyeur et exhibitionniste. Aujourd’hui, c’est plus contrôlé et dans l’esthétique. »

De Faites entrer l’accusé à Affaires sensibles, en passant par Chroniques criminelles, on n’a jamais autant parlé de serial killers. « Podcasts, émissions de télé, séries… Tout le monde surfe sur la vague, car le fait divers est un sujet qui marchera toujours, et c’est rare », souligne Joseph Agostini. Emily Tibatts a aussi remarqué la multiplication du nombre de séries à ce sujet. « Forcément, c’est vendeur. Netflix a constaté que sa série sur Ted Bundy avait très bien fonctionné donc ils ont continué sur la même lancée. Mais cette fascination n’est pas nouvelle, elle est simplement plus visible aujourd’hui, avec les différents supports et les réseaux sociaux. »

Dans certains cas, la simple fascination dépasse la raison. Des lettres d’amour aux demandes en mariages, certaines personnes adulent ces criminels. Si bien qu’un marché s’est créé autour de ces figures : le murderabilia. Des sites proposent en effet de vendre des objets ayant appartenu à des criminels. On peut y trouver des dessins de crânes effectués par Richard Ramirez, des peintures à l’huile créées par John Wayne Gacy et même un burrito que Charles Manson n’avait pas terminé dans sa cellule (vendu pour la modique somme de 800 $).

Des électrons libres en dehors de la société

Ces personnages sont fascinants car ils sont à l’opposé de nos valeurs et représentent ce que nous ne serons jamais. C’est l’effet du miroir inversé. « Nous sommes dans une société qui a pu régler la question du mal et de certains maux par la loi, avance Joseph Agostini. Nous avons pensé ce monde et, en tant que bons névrosés, nous sommes toujours dans l’insatisfaction et dans la réflexion, car nous sommes confrontés à nos pulsions, sans fléchir. Le psychopathe va au contraire céder sans culpabilité. Ils vit sans pouvoir se reprocher ses actes. » Pour le psychologue, cette fascination est aussi due à une identification honteuse et secrète : ces personnages titillent notre sadisme et notre haine de l’autre.

En apparaissant comme des individus isolés et en dehors des règles de la société, les tueurs en série suscitent un fort intérêt. Ce sont des électrons libres qui s’abandonnent à leurs pulsions. « Mais cette liberté est un leurre, affirme Joseph Agostini. C’est une illusion pour les névrosés que nous sommes, avec notre culpabilité et notre peur de blesser l’autre. On peut croire que celui qui transgresse va être libre, mais pas du tout ! Il a une injonction à jouir permanente. Guy Georges et Michel Fourniret étaient toujours traqués par leurs pulsions. Ils étaient obligés de céder car s’ils ne faisaient pas souffrir l’autre, ils étaient en détresse. Ils sont pris au piège de leurs pulsions et beaucoup moins libres que ceux qui utilisent un mécanisme de défense comme le refoulement. »

La volonté de comprendre une psychologie complexe

Que ce soit dans les séries ou dans les documentaires, les serial killers apparaissent comme des êtres complexes. Le spectateur cherche à se mettre dans la peau de ce personnage pour essayer de le comprendre et découvrir comment il a pu en arriver là. Le visionnage devient alors une quête de sens. « J’ai lu l’article d’une Américaine qui regardait ces productions pour savoir comment se défendre face à ce type de personne, se souvient Emily Tibatts. On essaie de comprendre comment y échapper, comment fonctionne l’enquête, comment les policiers réussissent à les arrêter… Finalement, on essaie de comprendre comment des humains peuvent faire des choses aussi abominables. »

Pour Joseph Agostini, il y a aussi un effet d’irréalité, appelé en psychologie « la pensée magique » : le spectateur se persuade que cette situation ne peut pas lui arriver et qu’il va conjurer le sort. « On se figure que notre monde est assez protégé et on est rassuré. On ne peut pas s’imaginer qu’on puisse rencontrer un tueur en série en faisant de l’auto-stop ou en se baladant dans la forêt. Ils font partie des figures un peu mythologiques qui ont effrayé de tout temps. Quand on est enfant, on lit des contes avec des loups et des méchantes sorcières. Mais on traverse ces histoires effrayantes en sachant qu’elles seront terminées une fois le livre fermé. Il y a une mise en récit, un cadre, un début et une fin. C’est la même chose avec les séries. On se rassure en se disant qu’on peut arrêter l’épisode. Ça nous enlève ce sentiment que le réel peut surgir à tout moment dans notre vie. »

La fabrique de héros fantasmés

Emily Tibatts regrette certaines représentations de serial killers, parfois très éloignées de la réalité. « Dans les séries de fiction, c’est n’importe quoi. Par exemple, Hannibal est super intelligent. Alors oui, certains tueurs ont un QI supérieur à la normale, mais ils sont rares et ça ne les empêche pas d’être arrêtés par la police. En réalité, la plupart sont dans la moyenne et c’est justement ce côté monsieur tout le monde qui leur permet de passer inaperçu. On reproche parfois aux autorités de laisser des criminels tuer huit femmes avant de les arrêter mais, en fait, c’est monsieur tout le monde. Il est marié, a des enfants et une tête sur laquelle on ne se serait pas retournée. La plupart du temps, les personnes qui connaissaient ces types sont étonnées et n’auraient jamais pensé qu’ils étaient des tueurs en série. » Selon l’autrice, les réalisateurs créent des personnages plus charismatiques et moins réalistes pour rendre le scénario plus attrayant. « Ce côté fascinant est forcément plus vendeur. »

Si la réalité est sublimée au profit de l’histoire, le choix des acteurs joue aussi un rôle dans la fascination des spectateurs. Zack Efron incarne Ted Bundy, Mads Mikkelsen est le personnage principal dans Hannibal et Penn Badgley est un tueur en série dans You. « Ce sont de beaux garçons qui ont un côté élégant. En sélectionnant ces acteurs, ils rendent les personnages d’autant plus fascinants. Pour des questions de scénario, ils sont beaux, charismatiques, intelligents… Ça alimente cet intérêt pour les serial killers. » Sur les réseaux sociaux, de nombreux tweets et publications défendaient Ted Bundy et Joe Goldberg, les principaux arguments étant leur physique et leur charisme. « Ce qui me dérange, continue Emily Tibatts, c’est qu’on parle beaucoup des tueurs et très peu des victimes, alors que ce sont elles les plus importantes. On s’attache au personnage principal, qui est le criminel, et on se soucie peu de ces vies brisées. » Le professeur de sémiotique Marcel Danesi parle ainsi de « syndrôme Dexter » : selon lui, le spectateur ne fait plus la différence entre les criminels réels et fictifs.

Malgré la nécessité de jouer avec la réalité pour rendre le scénario plus attirant, des séries comme Mindhunter ont été saluées pour leur travail de recherche et le caractère authentique des personnages. Depuis quelques années, Joseph Agostini a constaté un phénomène inédit dans les séries françaises : la mise en fiction de faits divers réels. « On l’a emprunté aux Américains. La Traque, qui parle de Michel Fourniret et Une affaire française qui revient sur l’histoire du petit Grégory ont été contestés par les familles des victimes. On n’avait pas encore franchi ce pas. Ce qui me choque, c’est que l’affaire n’a pas été jugée, le corps d’Estelle Mouzin n’a pas été retrouvé et TF1 en fait déjà une série. C’est du jamais vu en France. »

Si les histoires prennent des formes différentes, une chose est sûre : la vie des tueurs en série continuera d’alimenter les catalogues de nos plateformes et de fasciner les spectateurs encore longtemps.

Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste
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