Critique

You saison 3 : quand la vie de famille et de tueur se marient à merveille

25 octobre 2021
Par Alexandre Manceau
Une cage pour enfermer les gens : bienvenu chez le couple Quinn-Goldberg.
Une cage pour enfermer les gens : bienvenu chez le couple Quinn-Goldberg. ©Netflix

Après une saison 2 de qualité, Joe Goldberg est de retour. Il doit, cette fois, conjuguer vie de famille, meurtres tout en poursuivant sa quête du grand amour. Tout un programme.

« Hey you « . Difficile de ne pas imaginer la voix mielleuse et le regard malsain de Joe Goldberg à l’évocation de ce gimmick. Après les précédentes saisons, son mode opératoire n’a plus de secret pour les spectateurs : il tombe sous le charme d’une inconnue, en fait une véritable obsession, puis se met à tuer, pour diverses raisons. Le final complètement dingue de la saison 2 avait laissé Joe dans une situation incontrôlable. Ce dernier se retrouvait piégé avec Love (moins douce et gentille qu’il ne l’imaginait), enceinte de leur enfant. Contraint de quitter Los Angeles, le couple a choisi de démarrer une nouvelle vie dans une banlieue chic, aussi parfaite qu’angoissante. Joe et Love vont devoir jongler avec leurs vieux démons, leur nouvelle vie de quartier et leurs premiers pas dans la parentalité. On découvre alors un nouveau Joe qui galère à changer les couches de son bébé en pleine nuit alors qu’il est passé maître dans l’art de découper et d’enterrer des cadavres.

Une saison 3 plus rythmée et plus entraînante

Dès le début de cette saison, la série s’interroge sur Joe : malgré son passé et sa nature, le personnage peut-il évoluer et devenir un homme bien sous tout rapport ? Passées les premières minutes comiques où le couple découvre la vie de parents, Joe se laisse rapidement rattraper par ses obsessions. Et quoi de mieux qu’une femme mystérieuse et charmante pour le pousser à redevenir l’inquiétant stalker qu’il était ? La voisine, Natalie Engler (Michaela McManus), est une femme délaissée par son mari. Elle obsède très vite l’ancien libraire. Une focalisation qui l’entraînera dans une série d’événements tous plus macabres les uns que les autres.

L’une des forces de cette troisième saison est son rythme. À la différence des deux premières qui prenaient (un peu trop) le temps de présenter chaque personnage, ici, tout s’enchaîne à vive allure. Ce qui permet de traiter plusieurs événements en seulement dix épisodes. Ceux-ci sont rythmées par deux arcs narratifs : la volonté du couple de devenir des parents responsables et leurs séances de brainstorming pour élaborer des stratégies de dissimulation de cadavres. Il faut bien l’avouer, ces deux pans de l’histoire, qui souvent s’entremêlent, a quelque chose d’excitant.

Joe et Love en tête d’un casting réussi

Tout comme la deuxième saison, le nouveau casting est une vraie réussite. Du couple cliché accro au sport et aux réseaux sociaux, qui prône une alimentation faible en matière grasse et une reconnexion à la nature, en passant par la mère de Love (Saffron Burrows) déterminée à être une bonne grand-mère, au jeune voisin amoureux, sincère et naïf, chaque personnage séduit et interpelle. Surprise pour les nostalgiques des années 2000, Bree van de Kamp de Desperate Housewife tient ici le rôle d’une enquêtrice. En tête d’affiche, Joe et Love se révèlent aussi intrigants et attachants que pervers et manipulateurs. Et c’est aussi ce qu’on aime (avec une pointe de culpabilité, tout de même). De l’amour à la folie, de la tendresse à l’obsession, de la joie à la peur : cette saison 3 nous permet de découvrir plus encore toutes les facettes de ces deux personnages, subliment interprétés.

Un couple déchiré qui a des problèmes comme tout le monde, excepté le fait de tuer des gens. ©Netflix

Contraint de vivre avec celle qu’il pensait être l’amour de sa vie, Joe est un homme désabusé qui lutte par amour pour son fils. Il essaie réellement de devenir un bon père doublé d’un homme respectable avant de se laisser glisser vers le côté obscur. Tantôt docteur Jekyll, tantôt M. Hyde, le personnage de Joe n’a jamais aussi bien été traité et développé que dans cette dernière saison. Il devient un être bien plus complexe et intéressant.

Les flashbacks consacrés à sa jeunesse auraient pu renforcer la subtilité du personnage mais, répétitifs, ils n’apportent finalement que peu de réponses sur les raisons qui l’ont poussées à devenir un serial killer obsessionnel. La question de l’évolution est au coeur de cette saison. Joe ne cesse de répéter qu’il veut « faire les choses bien ». Ses efforts le rendent attendrissant. Malgré ses actes passés, c’est un personnage auquel on s’attache et à qui l’on souhaite même une happy end. Et c’est là que réside la force de cette série : elle nous questionne sur notre attachement à un personnage aussi dangereux que dérangeant. On se surprend à souhaiter que le couple échappe à la police et on pardonne presque les cadavres. Le programme ne cesse de nous remettre en question et adapte une thématique qui a inspiré des milliers d’oeuvres littéraires et cinématographique : le bien et le mal. Et la mince frontière qui les sépare.

Une mère de famille prête à tout pour le rester. ©Netflix

Cette saison 3 est aussi celle de Love (Victoria Pedretti). En devenant mère de famille, elle a enfin obtenu ce dont elle avait toujours rêvé. En parallèle, elle se lance dans l’ouverture d’une pâtisserie. À travers ce personnage, la série aborde la question de la charge mentale de ces femmes qui tentent de jongler entre vie de famille et vie professionnelle. Love se questionne sur son identité de mère et de femme, et aborde des questions telles que la sexualité dans le couple après une naissance. Aussi habile dans le rôle de charmeuse que dans celui de la manipulatrice diabolique, sa monstruosité arrive à faire passer Joe pour un gentil petit homme au foyer. Si l’attitude de Love est parfois difficile à défendre, elle apparaît aussi dans toute sa simplicité : c’est une femme ordinaire qui cherche à s’établir socialement et à se construire une vie de famille idéale. À travers ses personnages, You aborde toute la complexité de la psychologie humaine.

Joe va-t-il prendre le risque de tomber amoureux d’une autre femme ? ©Netflix

Un final qui laisse un léger goût amer

Contrairement au final de la saison 2, celui de la dernière saison est quelque peu décevant. Après avoir fait monter la tension au fil des épisodes, le dernier n’est pas aussi explosif qu’attendu. Une impression renforcée par la pirouette scénaristique (sortie de nulle part) de la toute fin. Si les deux premières saisons nous avaient habitués à un final sombre qui plongeait des innocents dans l’horreur, celui-ci est tout l’opposé.

Autre bémol de la série, que l’on retrouve aussi dans cette saison : tout paraît trop facile. Joe et Love parviennent toujours à se tirer de situations impossibles. Ce qui rend le scenario peu plausible. Et plus les épisodes passent et moins le spectateur y croit. Pourtant, cet aspect-là a contribué au succès de You : à une époque où le stalking est devenu une pratique courante, un personnage comme Joe pourrait exister. Malheureusement, le final de cette saison est (bien) trop tiré par les cheveux pour être un instant crédible.

Si elle est remplie d’incohérences et de clichés, la toute dernière scène nous promet toutefois une prochaine saison on l’espère dépaysante dans une ville que l’on connaît bien. Tout juste confirmée par Netflix, la saison 4 de You sera certainement intéressante à suivre, ne serait-ce que pour savoir si Joe parviendra enfin à devenir l’homme qu’il rêve d’être.

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Article rédigé par
Alexandre Manceau
Alexandre Manceau
Journaliste
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