
À l’occasion de son nouveau spectacle baptisé Oui, je sais, L’Éclaireur a rencontré la pétillante Olivia Moore.
Comment est né ce nouveau spectacle ? Comment se lance-t-on dans un troisième seule-en-scène ?
Oui, je sais est né du fait que je voulais faire un spectacle qui était plus personnel et dans lequel je voulais vraiment aborder le sujet de la vulnérabilité individuelle. Je suis très obsédée par les rapports humains. Ce sujet m’a toujours passionnée. C’est d’ailleurs pour cette raison que je les ai abordés dans mes précédents spectacles : sous l’angle de la charge mentale dans le premier, puis sous l’angle de la séduction. Dans ce troisième spectacle, je trouvais intéressant de se demander pourquoi est-ce qu’on passe notre vie à faire semblant que ça va bien, qu’on est les plus costauds ou qu’on a raison quand on prend la parole. Je voulais parler de faux-semblants, des histoires qu’on se raconte à nous-mêmes et qu’on raconte aux autres pour faire bonne figure. J’avais vraiment envie de le poser sur la table et de le remettre en question.
En quoi cette vulnérabilité-là et les mensonges qu’on se raconte à nous-mêmes deviennent-ils des terrains de jeu humoristiques ?
C’est ce que j’ai toujours fait ! Mère indigne, c’était une insulte autrefois, que j’ai finalement transformée en qualité. L’égoïste, c’est pareil, c’est devenu une qualité que je revendiquais comme une forme d’égoïsme sain. Aujourd’hui, la vulnérabilité est considérée comme un défaut par un champ culturel qui est celui de la domination. C’est sûr que si vous voyez toute votre vie sous l’angle des rapports de force, la vulnérabilité n’est pas ce qui va vous permettre de l’emporter. Ce que je veux remettre en question, c’est cette idée que toute la vie est régie par les rapports de force. Ce n’est pas vrai. On a été baignés dans l’idée que l’homme est un loup pour l’homme, que si on n’est pas le plus fort, on meurt.

Et on a appliqué ce rapport au couple, à l’amitié, ou encore à la parentalité. Le rapport de force est le degré zéro du rapport humain. Arrêter d’avoir honte de nous, accueillir qui on est et simplement chercher à être quelqu’un de bien sans faire semblant d’être quelqu’un de bien, c’est une très grosse évolution pour l’humanité.
« Quand on aborde des sujets qui sont difficiles ou complexes, il faut se sentir prêt soi-même, à l’intérieur. »
Olivia Moore
C’est un spectacle qui parle de choses personnelles et individuelles, mais, derrière, il y a une vraie revendication politique. Il y a un échec du rapport de force. Je suis navrée, mais je ne pense pas qu’on ait tous envie de vivre sous l’ère de Donald Trump, de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un. Ce sont des gens qui ne répondent qu’au rapport de force. On voit bien qu’il y a quand même un problème. Il y a des modes de relations qui sont régis par le rapport de force. Si on avait des rapports humains régis par l’authenticité, la vulnérabilité et la sensibilité, ça irait mieux.
Il y a quelque chose de très philosophique dans votre spectacle, presque psychothérapeutique…
Je n’ai pas d’humour politique, mais j’ai quand même un propos qui est engagé. Je ne suis pas dans l’héritage franco-français de la satire politique, car je suis plutôt dans la logique de réconciliation des individus et sur la façon de vivre mieux ensemble.
Est-ce le message que vous voulez faire passer à votre public ?
Je veux poser le poisson qui pue sur la table, c’est-à-dire parler de rapports de force et laisser entendre que c’est évidemment inconfortable, que ce n’est probablement pas une bonne issue pour l’humanité et pour nos rapports aux uns et aux autres. Le rapport de force n’est pas un bon moyen de vivre ensemble. C’est ce qu’on nous vend depuis des siècles, mais on se rend compte qu’on nous a baratinés.

Vous arrivez à parler de choses dont il peut être difficile de rire. Comment arrive-t-on à dédramatiser des situations comme les violences sexuelles ?
Le drame est le point de départ de la comédie. Il n’y a pas de comédie s’il n’y a pas de drame. La comédie doit être libératrice. Par ailleurs, les gens ne rient pas de ce qui m’est arrivé, ils rient de la façon dont j’en parle. Évidemment que ce qui m’est arrivé est grave, mais mon travail et mon talent, c’est de parvenir à en faire rire par la forme que je donne. On ne rit pas de la pédocriminalité ; en revanche, on rit de la façon dont j’en parle. Ça permet aussi d’avancer dans la réflexion. J’utilise ce qui m’est arrivé comme illustration d’un propos : celui du rapport de force des adultes sur les enfants et de la prévention de ce genre de choses.
« Le dépouillement est une conséquence du stand-up, parce que ça tient à ses origines. Ce n’est pas une fin en soi. »
Olivia Moore
Si je me contentais d’exposer ce qui m’est arrivé sans humour, sans recul, sans mise en scène, j’aurais l’impression de prendre les gens en otage. J’ai aussi des parents très difficiles et ce n’est pas marrant. Si je vous en parle au premier degré, ça peut devenir vraiment tragique, mais si je fais mon travail, alors vous allez rire de la façon dont j’en parle et entamer une réflexion par rapport à ça, notamment sur le fait de continuer à fréquenter des gens qui sont toxiques.
Peut-on dire que c’est le spectacle qui a été le plus libérateur pour vous ?
C’est celui dans lequel j’ai été le plus loin dans l’écriture en tout cas. J’ai été très stimulée par un coach d’écriture de Montréal qui enseigne à l’École nationale de l’humour. Il n’a pas co-écrit le spectacle, mais il m’a encouragée à aller plus loin dans l’écriture. Ce spectacle est probablement meilleur que les autres sur ce point.
Qu’est-ce que ce spectacle vous a appris que vous ne saviez pas encore dans les deux précédents ?
J’ai découvert que j’étais capable d’aller sur des sujets beaucoup plus difficiles que ce que je pensais. Je suis très attentive à être compétente et pertinente sur les sujets que j’évoque. Auparavant, je ne me lançais pas trop sur des sujets trop graves, mais je me suis rendu compte que j’y arrive. C’est aussi une question de travail et ça m’a obligée à m’y confronter. Je voulais aborder ces sujets-là, mais, honnêtement, je n’étais vraiment pas sûre d’en être capable. Ça m’a demandé énormément de travail, que je continue à faire d’ailleurs. Je continue d’affiner le spectacle et son écriture de façon à ce que ce soit encore plus juste, plus efficace. Ça m’a donné confiance en moi là-dessus.
Pourquoi n’osiez-vous pas aller plus loin avant ?
Je pense que je n’avais pas encore assez de recul sur le plan personnel et émotionnel. C’est pour cette raison que, quand on aborde des sujets qui sont difficiles ou complexes, il faut se sentir près soi-même, à l’intérieur. Avant, je n’étais pas prête et ça devient une prise d’otage pour le public si on sent que la comédienne est elle-même trop touchée dans ce qu’elle raconte pour faire rire. Je me devais donc d’être prête au fond de moi. Je ne voulais pas continuer à être bouleversée par ce que je raconte. C’est pour ça qu’il est fortement conseillé d’être en psychothérapie quand on fait de l’humour. Surtout si on veut faire de l’humour sur des sujets difficiles.
L’autre point, c’est qu’il faut être pertinent. Je ne fais pas de populisme humoristique, je ne fais pas des blagues sur la pédocriminalité juste parce que c’est choquant. Ça ne m’intéresse pas. Je ne vais pas appuyer aux endroits difficiles juste pour le plaisir d’appuyer aux endroits difficiles, en laissant les gens sans réponse.

On a l’impression que la scène est votre deuxième séance de psy !
Disons que c’est là que je rentabilise la première séance ! Je la rentabilise sur deux plans : financièrement, car je me rembourse, et en transmettant. Pour moi, ce spectacle est une façon de transmettre, car je me dis que ça pourra être utile à quelqu’un.
Le spectacle repose également sur une élégance esthétique. Pourquoi ce choix de mise en scène ?
C’est un grand débat que j’ai avec mes amis du stand-up. Ils ont tendance à défendre cette vision de venir habillés sur scène comme ils le sont dans la vraie vie, alors que, quand on fait du stand-up, on ne parle pas comme dans la vraie vie. Avec Oui, je sais, j’ai voulu donner une forme esthétique au stand-up. Ça a toujours été mon truc.
Les effets de lumière ont été créés par Théo Martin. Il a vraiment travaillé sur la scénographie et on a essayé de reproduire sur scène ce qu’on avait fait sur les affiches. L’idée, c’était vraiment que la couleur accompagne les émotions. C’est un stand-up qui est quand même exigeant sur le fond. Il y a des idées, il y a des émotions, je vous balade d’une émotion à l’autre. C’était donc très important pour moi ; un peu comme une politesse vis-à-vis du public. J’ai aussi vraiment le goût de ce qui est beau. Ça correspond aussi à l’exigence de la communication par l’humour, sur un mode conversationnel. C’est pratiquement une conversation avec le public, cette mise en scène.
Pour moi, ce n’est pas le décor ou le dépouillement qui qualifient le stand-up. Le stand-up, c’est regarder le doigt quand on vous montre la Lune. Le dépouillement n’est pas l’essence du stand-up. C’est une conséquence du stand-up, parce que ça tient à ses origines. Ce n’est pas une fin en soi. On peut faire des spectacles complètement dépouillés qui ne sont pas du stand-up. Je pense notamment aux spectacles contemporains. Si on peut faire des pièces contemporaines sans décor, pourquoi est-ce qu’on ferait pas du stand-up bien habillés ?

Comment pourriez-vous expliquer le titre de votre spectacle ?
“Oui je sais”, c’est souvent ce qu’on répond quand les gens nous font part de nos travers, de nos défauts, de ce qui ne va pas ou de ce qu’on aurait dû faire. Neuf fois sur dix, on répond tous : “Oui, je sais.” Je sais que j’aurais pu faire mieux, mais des fois, quand on veut, on ne peut pas. Qu’est-ce que je fais après ça ? Je vais me cacher dans un trou ou je continue à vivre normalement ? C’est un peu cet aveu de faiblesse – du moins un aveu de vulnérabilité, car ce n’est pas une faiblesse.
Comment pourriez-vous résumer votre univers humoristique ?
C’est vraiment la question la plus difficile du monde pour moi. Pourtant, j’ai fait du marketing ! C’est vraiment très difficile, parce qu’il faut que je trouve un chemin entre ce que moi je veux faire et ce que les gens perçoivent de moi. Je dirais que c’est un humour qui est très cash, sans faux-semblants. Tout ça donne une certaine puissance à mon univers qui conserve aussi une forme d’élégance. C’est de l’humour cash et élégant.
Quels retours avez-vous du public après le spectacle ? Qu’est-ce qui vous a marquée ?
Les retours du public sont souvent émouvants pour moi, parce qu’apparemment le message passe. On me dit souvent que j’aborde des sujets que personne n’aborde et on me remercie de le faire. Il y a un double retour et j’avoue que c’est gratifiant de ce point de vue là. C’est aussi tout l’enjeu des spectacles que l’on crée : aborder des sujets qu’on ne voit pas. Est-ce que ça va intéresser les gens, ce que je raconte ? Apparemment, je ne suis pas la seule que ces sujets et ces réflexions intéressent.
Comment vous sentez-vous quand vous êtes sur scène ?
J’ai très peur sur scène tant que je ne suis pas sûre de mon texte et de son efficacité. Cependant, une fois que je sais que ça fonctionne, j’ai plutôt une espèce d’enthousiasme juvénile à être sur scène. J’adore ça. Je pense que ça fait partie de ce que les gens apprécient, ils voient que ça me fait très plaisir d’être là. Je suis très contente d’être avec eux. C’est un drôle de mélange, parce qu’à la fois j’aborde des sujets très graves, j’ai un humour qui est très cash, et en même temps j’ai ce plaisir très enfantin à être là.
À quel moment savez-vous que vous êtes en confiance avec votre texte ?
Ce n’est pas tant une histoire de mémoire que d’efficacité comique du texte. J’ai une vraie exigence avec ça. Tant que je ne suis pas sûre que je rends le service minimum, qui est d’être drôle, je suis stressée. Une fois que je sais que c’est drôle, je suis toute à la joie de faire ce que je fais.
Quand vous êtes-vous rendu compte que l’efficacité comique marchait pour ce nouveau spectacle ?
Quand j’ai réussi à faire rire le public parisien ! Je me suis dit que ça a rigolé de bout en bout et que c’était bon. Le public parisien est une bonne évaluation.
Quelle est votre recommandation culturelle du moment ?
J’ai plein de choses, il faut que je fasse le tri ! J’admire tous les artistes qui enchantent le monde, pas en tant que distraction, mais davantage pour nous aider à avancer et nous aider à répondre à des questions dans le monde. Sur le plan littéraire, je suis une grande fan du réalisme magique. Récemment, j’ai adoré le dernier roman de Miguel Bonnefoy, Le rêve du jaguar. C’est dans la lignée de Cent ans de solitude.
Sur le plan cinématographique, c’est un peu la même veine, car je suis une grande fan du travail de Wes Anderson. Il enchante le réel avec son esthétique, qui va au-delà de son scénario. Pourtant, je ne suis pas très cinéphile, mais il y a quelque chose dans son univers qui est passionnant.
Oui, je sais d’Olivia Moore, le 30 avril à l’Européen, à Paris et en tournée dans toute la France.