
Nouvelle série événement d’Apple TV+, Carême fait déjà (beaucoup) de bruit. On a profité de la venue du casting à Paris pour entrer dans les coulisses de cette superproduction avec les acteurs Jérémie Renier (Talleyrand) et Alice Da Luz (Agathe).
Commençons par une petite remise en contexte : quelle histoire se cache derrière la série Carême ?
Jérémie Renier : Dirigée par Martin Bourboulon, Laïla Marrakchi et Matias Boucard, la série se déroule à l’époque napoléonienne. On traverse ainsi une partie de l’histoire, notamment à travers le prisme de la gastronomie française. Elle relate le parcours d’Antoine Carême, un jeune cuisinier et pâtissier qui a une ambition : devenir le plus grand chef du monde. On suit son ascension, ses idéaux et ses rêves. Il va néanmoins croiser la route de Talleyrand ; un personnage qui va se servir de lui et de son talent culinaire à des fins diplomatiques et ainsi faire plier le pouvoir.
Alice Da Luz : Il va aussi faire la rencontre d’Agathe, qui va devenir sa sous-cheffe. C’est une femme déterminée, entièrement dévouée à son art et qui nourrit la même ambition que Carême : atteindre l’excellence. Entre eux, c’est une évidence. Ce sont des âmes sœurs de cuisine, et peut-être plus encore.
Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre cette aventure ?
J. R. : Ce qui m’a tout de suite plu dans le projet, c’est ce premier échange avec Martin [Bourboulon, le réalisateur, ndlr]. Il m’a parlé de l’ambition de la série, du contexte historique, du rôle de Talleyrand… Ce qui m’a vraiment accroché, c’est quand il m’a expliqué qu’il voulait faire un pas de côté en modernisant cette histoire à travers les décors, la mise en scène ou encore les costumes. Je me suis tout de suite dit que cette liberté me permettrait d’envisager mon personnage autrement, de le construire différemment. J’ai senti qu’on pouvait créer quelque chose d’un peu singulier, jouer avec les codes. Et ça, ça m’a donné envie. Ça promettait plein de possibilités.

A. D. L. : Dès le départ, ce projet m’a semblé incroyable, immense et avec une ambition folle – aussi bien sur le plan de la réalisation que dans son envergure globale. J’ai dévoré le script en moins de deux heures. Ensuite, j’ai rencontré Martin Bourboulon. Il m’a parlé de la série avec une sorte d’enthousiasme enfantin, contagieux, qui m’a aussitôt donné envie de faire partie de cette aventure. J’avais aussi une partie du casting en tête et j’étais très excitée à l’idée de travailler avec eux. À mes yeux, c’étaient un peu les “grandes personnes” du cinéma français. Alors, me retrouver là, à leurs côtés, c’était fort.
J. R. : Des vieilles personnes, tu veux dire ? [Rires]
A. D. L. : Des grandes personnes… [Rires] Ça me semble fou d’avoir pu tourner avec vous, au début de ma carrière. Le fait de jouer dans une série d’époque, avec des costumes, était aussi un rêve d’enfant qui me paraissait inaccessible. Et je dois avouer que j’ai été touchée par le personnage d’Agathe dès la première lecture. Je l’ai vue comme le centre moral de l’histoire, comme une protagoniste qui avait réellement quelque chose à raconter.

Elle apporte quelque chose de frais, de vivant et d’ambitieux. Elle porte en elle une détermination qui fait écho à l’ambition de la série. C’est une femme forte qui a souvent été reléguée à un personnage de l’ombre, alors qu’elle a réellement existé. Alors, avoir l’occasion de raconter son histoire, de lui redonner une place à l’écran, une forme d’héritage cinématographique, c’était quelque chose de très fort pour moi. J’ai essayé de faire de mon mieux – pas pour me prétendre dépositaire de son héritage, parce que je ne le suis pas, mais pour qu’on entende son nom, pour qu’on se souvienne de ce qu’elle a été.
Comment parvient-on à se réapproprier et à incarner un personnage qui nous bouleverse tant ?
A. D. L. : Je me suis énormément documentée. J’ai beaucoup lu, je me suis replongée dans les écrits de l’époque et dans mes anciens cours d’histoire… J’ai redécouvert des figures comme Talleyrand et Fouché, que je n’aimais pas particulièrement à l’école, au collège ou au lycée. J’ai aussi lu le livre Antonin Carême, le roi des chefs, de Ian Kelly, qui m’a apporté une base solide. Il m’a permis de mieux saisir l’ampleur de ce qui se jouait à l’époque, d’un point de vue politique et culturel.

Après ce travail de recherche, j’ai laissé beaucoup de place à l’imaginaire. Je me suis demandé ce que cette lecture provoquait en moi, ce que j’avais envie de raconter à travers Agathe et, surtout, quelle place je voulais lui donner dans cette histoire. C’était important de lui redonner la force qu’elle avait, de la remettre au centre de ce récit. J’ai aussi beaucoup travaillé sur la physicalité du personnage : comment se tient-elle dans les cuisines qui sont son cocon, son territoire ? Comment se comporte-t-elle à l’extérieur, face à des figures qu’elle ne connaît pas et qui l’impressionnent ? Comment parvient-elle à garder sa force et sa dignité, sans jamais vraiment laisser paraître ce qui se passe à l’intérieur ?
Jérémie, vous incarnez une autre figure historique, plus complexe : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Comment avez-vous abordé et préparé ce rôle pour capturer la subtilité de ce diplomate machiavélique ?
J. R. : Heureusement qu’Agathe était là pour rééquilibrer un peu les choses et apporter de la fraîcheur et un souffle d’humanité à la série, parce que, globalement, on suit des personnages animés par une ambition trouble et souvent parasités par leurs fêlures… C’est particulièrement vrai pour Talleyrand. C’est une figure politique majeure de l’époque, que je connaissais assez mal, pour être honnête.
Je l’ai vraiment découvert en travaillant ce rôle, en lisant des biographies et en écoutant des podcasts passionnants. Mon principal objectif était d’être crédible dans la peau d’un aristocrate : adopter le langage, le phrasé, la gestuelle de l’époque. Talleyrand est un personnage traversé par une quantité incroyable d’informations qu’il absorbe, digère et reformule. Il fallait réussir à rendre tout ça naturel.

C’est un homme qui aime profondément la langue française. Il joue avec les mots, mais aussi avec les silences. C’est un manipulateur, un provocateur, un homme aux mille visages. C’était extrêmement stimulant de pouvoir, d’une prise à l’autre, proposer quelque chose de complètement différent, comme si on révélait une autre facette de lui.
Avec Martin, on s’est souvent dit qu’il devait toujours avoir un coup d’avance. On ne sait jamais quel masque il va porter dans la scène suivante. Il peut être très humain, puis devenir tyrannique l’instant d’après. J’ai aussi voulu lui apporter un petit quelque chose de plus contemporain. Je me suis demandé comment le dépoussiérer, l’éloigner de l’image figée, un peu grisonnante que j’avais en tête au départ.
De Claude François à Pierre Bergé, vous avez interprété plusieurs personnages historiques au cours de votre carrière. Avez-vous approché Talleyrand d’une manière différente ?
J. R. : Talleyrand n’est pas une figure aussi présente dans la mémoire collective que Claude François. Je devais coller à une forme de réalité, bien sûr – mais en même temps, on a très peu d’images de lui. Il existe des portraits, des biographies, mais ça reste assez abstrait.
Cependant, l’approche de Martin a tout changé. Il s’est vraiment approprié l’époque, tout en réussissant à la moderniser, à proposer quelque chose d’un peu décalé et de contemporain. À partir de là, je me suis dit : “Ok, il y a de la place pour réinventer mon personnage et pour m’amuser.”
Quand j’ai choisi ce projet, je me suis dit que j’allais prendre du plaisir à incarner ce rôle. C’est une question essentielle à se poser en tant qu’acteur, parce qu’on ne s’éclate pas toujours et, parfois, on sent qu’on n’a pas vraiment la place de s’exprimer et de faire des propositions. Là, je me suis tout de suite dit : “Vas-y, éclate-toi.”
Vous sentez-vous proches de vos personnages respectifs ?
A. D. L. : C’est étrange, parce que je me suis déjà interrogée sur ce qui me rapprochait ou me différenciait d’Agathe. Ce qui m’a un peu troublée dès le départ, c’est justement cette proximité. J’ai vraiment l’impression de me reconnaître en elle. Pour l’instant, en tout cas, j’ai du mal à identifier de vrais points de divergence entre nous. Je suis quelqu’un de très ambitieux, de déterminé, parfois même un peu acharné – comme elle. Quand quelque chose me tient à cœur, j’y vais à fond, même un peu trop. Je m’y dédie corps et âme.
J. R. : Je ne me pose pas vraiment la question de savoir si j’ai des traits de caractère en commun avec les personnages que j’incarne. Je pense que, quoi qu’il arrive, quand on interprète un rôle, il y a toujours quelque chose de nous qui s’y glisse, même inconsciemment. Cela dit, heureusement que je ne suis pas aussi tyrannique et vicieux que Talleyrand ! [Rires]
En revanche, j’essaie toujours de capter une forme d’humanité, même dans les personnages les plus sombres. De trouver la lumière, même au cœur de l’ombre. Et avec lui, il fallait que je creuse ça, que je parvienne à lui donner cette part lumineuse. Mais j’ai l’impression qu’on perçoit davantage son humanité au fil des épisodes, notamment à travers le lien qu’il tisse avec Carême.
Vos deux personnages gravitent effectivement autour d’Antoine Carême, qui est le point central de la série. Comment avez-vous développé ces différentes dynamiques avec Benjamin Voisin ?
J. R. : Le format de la série nous offre le luxe du temps, et c’est très agréable. La longueur de l’histoire permet de développer des choses beaucoup plus complexes et plus nuancées que dans un film, par exemple. Il y a de la place pour l’ambivalence, pour la continuité, mais aussi pour l’évolution progressive d’une relation.
Elle peut commencer de manière conflictuelle, puis, peu à peu, on voit que quelque chose se révèle et c’est très jouissif de pouvoir jouer cette transformation sur la durée. Avec Benjamin, on a pris beaucoup de plaisir à réfléchir ensemble à ces dynamiques. Je ne peux pas trop en dire, parce que certains liens se dévoilent au fil des épisodes, mais on a vraiment travaillé sur ce qui se passe dans les silences et dans les regards, au-delà des dialogues.

A. D. L. : On a eu beaucoup de chance avec Benjamin, car on a bénéficié de deux mois de préparation en amont du tournage pour toutes les séquences autour de la cuisine. On a suivi une formation à l’école Ferrandi et on a pris des cours particuliers avec le meilleur ouvrier de France, Christophe Haton. C’était tôt le matin, tard le soir… On a partagé beaucoup de moments ensemble et on est très vite devenus amis dans la vie. On souhaitait construire une vraie relation entre nos personnages et créer ce lien de complicité profonde – une forme de fraternité, d’âmes sœurs qui se comprennent par un simple regard ou un geste.
Quand on bossait tard le soir et qu’on faisait des services en brigade à Ferrandi, on essayait de vraiment jouer le jeu : on était les chefs et il fallait qu’on se comprenne sans même se parler. On allait jusqu’à s’appeler par nos noms de personnages : Agathe et Antonin. On communiquait par un petit coup d’épaule, un regard. C’était naturel. Au-delà du tournage, on s’est vraiment bien entendu. On s’appelait le soir pour échanger sur les scènes, on se partageait des musiques… On arrivait le matin avec les mêmes morceaux dans les oreilles et on se préparait ensemble, chacun de son côté, mais avec une énergie commune. Et ça, c’était très chouette.
La gastronomie est au cœur de cette série et les plats d’Antonin Carême ont de réels impacts sur la politique. Pensez-vous que la gastronomie est une autre forme de pouvoir ?
J. R. : Je pense qu’elle a un pouvoir de désir très fort qui passe dans un premier temps par l’odeur. Quand on traverse une rue, il en suffit d’une pour que ça déclenche quelque chose en nous. Il y a un trajet presque instinctif, reptilien, qui se met en marche. Et c’est exactement ce que la série cherche à explorer. Talleyrand comprend très vite que Carême a un don, un vrai pouvoir avec la cuisine, et il va s’en servir. Il sait que les discussions politiques se font très souvent autour d’une table.
Ceux qui sont attablés sont ceux qui font évoluer le monde, d’un côté ou de l’autre. Et lui, avec son intelligence tout en manipulation, il se dit : “Peut-être qu’en déclenchant une émotion par un plat, une bouchée, je peux déplacer une décision.” Il y a cette idée de l’assiette comme arme diplomatique.

Vous avez beaucoup parlé du réalisateur de la série, qui est un habitué des grandes fresques historiques. C’est quoi, la touche Martin Bourboulon ? Une direction d’acteurs particulière, une vision unique ?
A. D. L. : C’est une équipe formidable qui se comprend rapidement. On était vraiment une petite vadrouille de souris qui gravitaient ensemble…
J. R. : C’est Ratatouille, en fait. [Rires]
A. D. L. : C’est effectivement un beau lien. [Rires] J’avais déjà vu le travail de Martin Bourboulon dans ses comédies et dans ses dernières réalisations, et j’étais hyper enthousiaste à l’idée de tourner avec lui. J’ai beaucoup apprécié le fait qu’il nous accorde beaucoup de temps en amont du tournage : d’abord pour me rencontrer moi, Alice, puis pour échanger au sujet de mon personnage et de sa vision d’Agathe. C’était une très belle collaboration.
J. R. : Le travail entre un réalisateur et ses acteurs est fascinant : c’est un savant mélange de désirs, d’ambition et de volonté de s’inscrire dans la vision qu’il se fait du personnage. Il faut savoir manier tout ça et, surtout, prendre du plaisir chacun de son côté. Avec Martin, on s’est très vite accordés sur un mot d’ordre : l’amusement. Et je pense que ça a plutôt bien fonctionné.
Il dégage une énergie qu’il partage naturellement avec toute l’équipe, tout en ayant une idée très claire de la direction à prendre. Ce qui me touche le plus chez lui, c’est le respect qu’il a pour l’humain et pour l’acteur : il nous offre une belle liberté d’interprétation, tout en gardant un œil vigilant derrière la caméra, ce qui est toujours rassurant.