Critique

Extrapolations : la série d’anticipation qui vous fera devenir écolo

18 mars 2023
Par Héloïse Decarre
Série d’anticipation, “Extrapolations” nous entraîne dans un futur où les effets du changement climatique deviennent apocalyptiques.
Série d’anticipation, “Extrapolations” nous entraîne dans un futur où les effets du changement climatique deviennent apocalyptiques. ©Apple TV+

Le petit écran, meilleur médium pour répandre le message de l’urgence climatique ? C’est en tout cas ce qu’espère Scott Z. Burns, le réalisateur de la série d’anthologie Extrapolations, diffusée depuis le 17 mars sur Apple TV+. Pas certain, cependant, que le message soit reçu par ceux qui ont le plus besoin de l’entendre…

Les manifestants hurlent, certains brandissent des drapeaux ornés du logo d’Extinction Rebellion. La scène n’est pas issue d’un reportage, mais de la série d’anticipation Extrapolations. Dès le premier épisode, le public est projeté en 2037 à Tel-Aviv, en pleine COP42. La Greta Thunberg du futur scande ses avertissements à travers un hologramme, mais les slogans et les avertissements, eux, restent les mêmes : il faut limiter la hausse de la température globale en dessous de 2°C, ou l’humanité sera perdue. 

De 2037 à 2070, un futur apocalyptique 

Une température clé est extrapolée au début de chacun des huit épisodes, dans des graphiques montant tragiquement en flèche, à mesure que le temps s’écoule. Sur une échelle de 33 ans, de 2037  à 2070, la série nous transporte dans un futur où, face à l’inaction globale, les effets du changement climatique deviennent apocalyptiques. Le thème est cher au réalisateur de la série, Scott Z. Burns. En 2006, le cinéaste produisait le célèbre documentaire d’Al Gore, Une vérité qui dérange.

Puis c’est dans le film Contagion, en 2011, qu’il prédit la propagation d’une pandémie planétaire. Cette fois, il transpose la problématique environnementale en série, en employant les grands moyens. Au casting, presque uniquement des têtes d’affiche : Kit Harington, Meryl Streep, Edward Norton, Tahar Rahim, Marion Cotillard, Forest Whitaker, Tobey Maguire, Heather Graham, Gemma Chan, Sienna Miller…

Des grands noms du cinéma pour incarner les destins croisés d’humains aux origines diverses, mais tous confrontés aux épreuves de leurs temps. Face au chaos, chaque personnage se retrouve face à la même question : dois-je privilégier ma survie, ou celle de la communauté ? « Tout le monde ne peut pas être sauvé », plaque Harris Goldblatt.

Scott Z. Burns est un habitué du thème environnemental. Il a produit le documentaire d’Al Gore, Une vérité qui dérange, et réalisé le film Contagion.©Apple TV+

Dans un Miami lentement englouti par la montée des eaux, l’homme fortuné et influent, incarné par David Schwimmer (Friends), préfère sauver sa synagogue plutôt qu’un centre venant en aide aux sans-domiciles. De son côté, Omar Haddad (Tahar Rahim), en pleines négociations diplomatiques, préfère abandonner le sort de populations entières pour rejoindre sa femme qui accouche à New York, asphyxiée par la fumée d’incendies géants.  

Une série anxiogène, mais nécessaire 

C’est bien là que réside la force d’Extrapolations : avec les conséquences globales du changement climatique s’entremêle le quotidien bousculé d’hommes et de femmes tentant, malgré tout, de vivre leur vie. Forcément, les spectateurs se projettent : on calcule notre âge, et ceux de nos enfants, en 2047, 2059, 2066… Des horizons, au final, pas si lointains.

Le public peut s’identifier, et très certainement prendre peur. Feux de forêt, sécheresses, fontes des glaciers et montée des eaux, crise des réfugiés climatiques, manque de nourriture, activistes environnementaux s’immolant par le feu… Le chaos est total. Si vous souffrez d’écoanxiété, passez votre chemin : Extrapolations ne nous épargne rien. 

À Miami, la montée des eaux est sur le point d’engloutir la ville. Les habitants doivent choisir entre la survie de  leur communauté ou celle de l’humanité.©Apple TV+

En effet, si Don’t Look Up, la dernière référence cinématographique en matière d’avertissement environnemental, prenait un parti plutôt humoristique, il n’en est rien pour la série d’Apple TV+. Grâce à des effets spéciaux d’une qualité peu commune, Extrapolations se mue même en œuvre de science-fiction dystopique, où l’influence d’une autre série, Black Mirror, se fait sentir. Plus le temps passe, plus la technologie devient invasive, sans pour autant réellement aider l’humanité à résoudre ses problèmes. 

C’est le cas quand la société Menagerie 2100 se donne pour mission d’archiver les espèces animales terrestres qui disparaissent peu à peu. Dans une parenthèse poétique, une archiviste de la compagnie, Rebecca Shearer (Sienna Miller), parvient à communiquer avec la dernière baleine de la planète, grâce à une technologie de traduction instantanée.

Afin d’archiver les espèces terrestres, qui disparaissent les unes après les autres, l’archiviste Rebecca Shearer communique avec la dernière baleine de la planète grâce à une technologie avancée de traduction instantanée.©Apple TV+

En donnant au cétacé la voix de sa mère disparue – celle, en fait, de Meryl Streep – la scientifique tisse un lien unique avec l’animal. Mais rompt aussi les règles de son entreprise, qui lui ordonne de trahir la confiance instaurée avec l’espèce en voie d’extinction. Puis, une fois qu’il est trop tard pour prétendre vouloir sauver les animaux, les géants de la tech s’intéressent aux humains. Il faut dire que les nombreuses maladies provoquées par la crise climatique leur donnent des idées.

Le changement climatique a provoqué l’apparition de nombreuses maladies, comme le « summer heart », qui rend le cœur plus sensible à l’environnement, et provoque un déclin cognitif accéléré.©Apple TV+

Le fils d’Omar Haddad et de Rebecca Shearer, Ezra (joué, là encore, par Tahar Rahim), souffre du « summer heart ». Un mal dû aux fumées que sa mère a respirées en le portant, qui affectent son cœur, mais aussi son cerveau. Devenu adulte et en proie à des pertes de mémoire, à cause d’un déclin cognitif accéléré, Ezra stocke ses souvenirs dans le cloud.

Problème : il ne peut pas s’offrir l’abonnement premium permettant d’agrandir sa bibliothèque. Il doit donc se résoudre à choisir les moments de sa vie dont il souhaite se souvenir, et supprimer les autres.  

L’action dévastatrice de multinationales hors de contrôle 

L’ultime frontière est franchie lorsque la firme LifePause propose de stocker dans le cloud, non plus seulement ses souvenirs, mais sa conscience tout entière. Pour réduire à zéro leur empreinte  carbone, les humains se numérisent. Avec l’espoir qu’une fois l’atmosphère décarbonée, ils pourront être réimplantés dans un nouveau corps.

Des services proposés par des multinationales hors de contrôle. Car, selon les prédictions de Scott Z. Burns, le destin de la planète Terre est entre les mains d’une poignée de milliardaires, dominés par l’égocentrique Nick Bilton. Campé par Kit Harington, le dirigeant de la société Alpha n’hésite pas une seconde à sacrifier le futur pour gagner plus d’argent.

Nick Bilton, joué par Kit Harington, est un milliardaire égocentrique à la limite de la sociopathie, qui utilise la hausse des températures pour faire un maximum de profit.©Apple TV+

Sa ligne est claire : si le changement climatique est le symptôme du capitalisme, il est en aussi le remède. Pour le businessman, réguler la hausse des températures reviendrait à freiner le marché. Inacceptable. Bilton négocie : en échange de ses brevets sur la désalinisation de l’eau, il obtient l’autorisation de rejeter plus de carbone, grâce à une hausse du plafond de l’augmentation des températures.

Quelques années plus tard, Alpha, devenu assistant vocal personnel, est partout. L’entreprise  affiche une croissance de 16 %, alors que toutes les autres compagnies sont en chute libre. Le fossé  entre riches et pauvres est en fait au cœur de la série. Dès le premier épisode, un entrepreneur  accompagné de sa femme, une bimbo obsédée par son manteau de fourrure, souhaite profiter de la fonte de l’Arctique pour y construire un hôtel-casino.

Réunis pour un diner du réveillon, un couple privilégié, incarné par Marion Cotillard et Forest Whitaker, fini par se battre avec une nourriture devenue rare et coûteuse.©Apple TV+

Puis, en 2068, August et Sylvie Bolo, joués par Forest Whitaker et Marion Cotillard (qui peine à convaincre, par excès de zèle) convient notamment Nic (incarné par Tobey Maguire, qui, lui, déçoit par sa présence effacée) à un dîner où sont proposés des aliments devenus rares et coûteux. De la nourriture qui deviendra projectile quand le couple se disputera, sous les yeux médusés d’Anna, jeune fille sans le sou embauchée comme servante pour la soirée.  

Une vision crédible, mais à destination d’un public qui n’est plus à convaincre 

Si ces représentations sont crédibles, elles ont le défaut d’enfoncer des portes ouvertes. Quand la nature se venge à travers un morse qui attaque à mort le riche entrepreneur rêvant d’un casino en Arctique, on ne peut s’empêcher de penser que l’image est trop simple.

« Le problème est plus important que la chaleur du Soleil, c’est la façon dont nous voyons le monde », « La Terre guérira, mais pas nous », « La seule façon d’en sortir, c’est ensemble », « Le problème n’a jamais été la technologie, mais nous »… Les affirmations assénées par certains protagonistes sont, elles aussi, parfois à la limite du cliché.  

Le fossé entre riches et pauvres est au cœur d’Extrapolations. Une représentation qui semble enfoncer des portes ouvertes.©Apple TV+

La majorité des personnages sont pourtant bien écrits, à l’image des enfants critiquant les décisions de leurs parents. À 13 ans, Alana, la fille d’Harris Goldblatt, précédemment mentionné, est submergée non seulement par la montée des eaux, mais aussi par d’innombrables questions. La jeune fille, incarnée par Neska Rose, remet en question autant sa foi que les actions illégales de son père, qu’elle finit par dénoncer.

En ce qui concerne Rowan Chopin (Michael Gandolfini), il met en doute les certitudes de son père, Jonathan (Edward Norton). Convaincu de l’efficacité de la géo-ingénierie, il reproduit, avec l’aide de son ex-belle-mère, campée par Indira Varma, une éruption volcanique. Son but : changer la composition chimique de l’atmosphère, et faire baisser la température globale. Enfin, c’est la fille adoptive de Nick Bilton qui aidera à le faire comparaître devant la Cour pénale internationale de La Haye, pour écocide. 

Grâce à des effets spéciaux extrêmement qualitatifs, Extrapolations se mue en œuvre de science-fiction dystopique, où l’influence de Black Mirror se fait sentir. ©Apple TV+

Des adolescents qui nous invitent à prendre position et à nous sauver nous-mêmes. Dans l’univers anticipé de Burns, l’espoir et le courage continuent de vivre en chaque nouvelle génération, malgré les difficultés. Dans sa justesse globale et son réalisme, Extrapolations peut faire changer les consciences. Malheureusement, la série risque de ne prêcher que des convertis. Une suggestion pour ces derniers : il pourrait être utile de coller devant l’écran certains de vos proches, qu’ils soient businessmen, politiciens ou climatosceptiques.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste