L’émergence du Dry January permet à de nombreux Français de s’interroger sur leur rapport à l’alcool. Elle rappelle également que la dépendance à l’alcool reste un danger qui peut toucher tout le monde, y compris des personnages de crayon et de papier que l’on croit invincibles : les super-héros.
Quel spectateur n’a pas été marqué par le Thor dépressif, bière à la main, d’Avengers: Endgame ? Les apparitions du dieu du tonnerre ventripotent dans le film de 2019 ont fait rire des millions de personnes à travers le globe. Pourtant, derrière ce vernis grotesque se cachait un personnage tombé en dépression qui a sombré dans l’alcool.
Ce portrait caricatural a sûrement plus amusé qu’alerté sur la santé mentale et l’addiction, mais il a au moins eu le mérite de montrer qu’aussi puissants qu’ils soient, les héros ne sont pas tous super quand il faut faire face au démon liquoreux. Dans les comics, la question de la dépendance chez certains super-héros a été traitée un peu plus en profondeur.
Depuis toujours, les auteurs ont régulièrement utilisé les bandes dessinées pour traiter de sujets de société, des traumatismes de la guerre du Vietnam à la lutte pour le droit des minorités. L’addiction à l’alcool et ses conséquences n’y ont pas échappé. Et le représentant le plus célèbre de ce combat n’est autre que le premier super-héros du MCU : Iron Man, alias Tony Stark.
Demon in a bottle, la référence
En 1979, les auteurs David Michelinie et Bob Layton, accompagnés par l’artiste John Romita Jr, entament un arc narratif au titre évocateur : Le Diable en bouteille. Alors que tout part à la dérive dans sa vie super-héroïque et professionnelle, Tony Stark commence à boire excessivement et son comportement change brutalement, nécessitant l’intervention de ses amis pour y mettre fin.
À l’époque, Layton et ses collègues n’imaginent pas qu’ils sont en train d’écrire ce qui deviendra la référence des récits autour de l’alcoolisme en comics. Pour eux, il s’agit seulement de « raconter leur histoire d’Iron Man, avec pour seule différence que le vilain dans ce numéro particulier était Tony Stark lui-même ».
Pas d’escapades parmi les surhommes et les dieux, ici, Tony Stark est ramené à sa condition d’être humain face à son « alcoolisme, constamment au-dessus de lui comme une épée de Damoclès que son armure, son charisme ou son génie scientifique ne peuvent dissimuler », d’après les mots de Layton.
Le milliardaire combat encore à ce jour son addiction, qui revient épisodiquement dans les pages des comics. Dans des récits postérieurs, on a pu découvrir un Tony qui a replongé, sous la plume du scénariste Dennis O’Neil, ou un Tony plus apaisé qui assiste à des réunions d’alcooliques anonymes quand le besoin s’en fait sentir.
Il lui est d’ailleurs arrivé d’y croiser une camarade Avenger : Captain Marvel, alias Carol Danvers. Dans des BD datant de la fin des années 1990, l’héroïne développe également un penchant pour l’alcool qui lui créera des problèmes malgré les tentatives d’aide d’Iron Man, décidé à ne pas la laisser sombrer.
L’alcool pour faire la fête, mais pas que
Sans tomber dans l’addiction, il n’est pas rare d’apercevoir dans les bandes dessinées de Marvel ou DC leurs personnages un verre à la main, pour célébrer une victoire ou tenter de penser à autre chose.
Wolverine chez Marvel est régulièrement aperçu dans les bars, de la même manière que Guy Gardner, un des Green Lantern chez DC Comics. On a parlé plus haut de son alter ego cinématographique et, dans les comics, Thor aime profiter d’une bonne pinte d’hydromel et n’est pas le dernier à prendre part aux banquets asgardiens souvent très arrosés.
Et puis, il y a par exemple John Constantine, détective de l’occulte arrogant et cynique dépeint comme un accro à la cigarette et un grand buveur. Très populaire, le personnage a déjà été adapté au cinéma avec Keanu Reeves et a eu le droit à l’une des plus longues séries de comics indépendants chez l’éditeur Vertigo, filiale de DC. Les auteurs y abordaient des thèmes adultes, ses addictions et son comportement autodestructeur faisant intégralement partie de l’histoire.
Dans la même veine, le grand public a pu découvrir Jessica Jones, détective privée présentée comme alcoolique, il y a quelques années dans sa série Netflix. Suite à de nombreux traumatismes, l’héroïne a développé une dépendance à l’alcool, habitude dont elle a beaucoup de mal à se défaire.
Un article du psychologue Stanton Peele publié sur le site de Psychology Today analysait à l’époque : « C’est comme si boire était un mécanisme qui permet à Jessica de mener sa vie normalement, sans être submergée par sa profonde dépression et misanthropie. » Dans les bandes dessinées, il est aussi expliqué qu’elle boit pour atténuer ses pouvoirs, oublier sa puissance, dans une démarche d’autosabotage assumée.
À mesure que la société a pris au sérieux l’alcoolisme, les lecteurs ont donc pu croiser de plus en plus de personnages touchés par ce trouble. Et en 2013, une série de comics a poussé le curseur un peu plus loin.
Buzzkill, être super ou être sobre
Donny Cates, futur scénariste superstar de l’industrie, lance cette année-là Buzzkill, coécrit par Mark Reznicek et première œuvre de sa fructueuse collaboration avec l’artiste Geoff Shaw. Le pitch est simple : Ruben est un jeune super-héros qui tire ses pouvoirs de sa consommation d’alcool et de drogue, mais il ne veut plus de cette vie et souhaite changer.
C’est ainsi que le lecteur fait sa connaissance pendant sa première réunion aux alcooliques anonymes. Le personnage est au plus bas, car même s’il est animé de bonnes intentions, ses actions ont des conséquences parfois désastreuses.
En utilisant les éléments classiques d’un comics super-héroïque, les auteurs offrent un récit touchant sur l’addiction, dans lequel les super-vilains incarnent les démons auxquels Ruben veut échapper. « Ces choses ne s’en vont pas, il faut les régler. C’est une grande partie de la guérison, faire face à ses démons, regarder les choses que tu as faites et comprendre qu’elles sont vraies, les dépasser. Ce processus peut être très douloureux et, dans le cas de Ruben, assez littéralement », déclare à l’époque Donny Cates à USA Today.
Nourrie des expériences personnelles des créateurs, cette histoire s’enrichit également des témoignages récoltés par le scénariste. Pour préparer le projet, Cates a été accueilli à bras ouverts dans plusieurs réunions d’alcooliques anonymes, ravis de partager leurs expériences.
Et le rendu est particulièrement réussi. Buzzkill est un récit sincère, avec un regard bienveillant sur les addictions de son personnage sans oublier un humour habilement dosé pour dédramatiser et s’attacher à ce super-héros en détresse.
Pour terminer, voici quelques références de comics évoqués plus haut à lire pendant les soirées reposantes du Dry January. À découvrir dans Iron Man : l’intégrale 1979-1981 (Panini Comics), le fameux « Diable en bouteille ». Pour John Constantine, Garth Ennis présente Hellblazer 1 (Urban Comics) offre à l’anti-héros un immense challenge : battre le cancer. L’histoire de Jessica Jones est à découvrir dans Jessica Jones : Alias 1 (Panini Comics). Enfin, le combat de Ruben est à lire dans Buzzkill (Delcourt Comics).