Le héros de Marvel interprété par Tom Holland dans Spider-Man: No Way Home fêtera ses 60 ans en 2022. Retour sur le parcours d’un personnage qui a su traverser six décennies sans prendre une ride.
Spider-Man est de retour sur grand écran. C’est la douzième fois en moins de 20 ans, si on prend en compte les superproductions dédiées au Tisseur, ses apparitions aux côtés des Avengers, ainsi que le film d’animation Spider-Man: New Generation. Pas mal pour un héros bientôt sexagénaire ! Difficile de le croire en voyant les acrobaties du sémillant Tom Holland dans les films, mais le personnage iconique de Marvel est bien né en 1962, dans les pages d’Amazing Fantasy #15. Depuis, six décennies ont passé et sa popularité n’a cessé de croître. Un destin presque inespéré pour un personnage déjà démodé à ses débuts.
Le ringard populaire
Si l’Araignée est extraordinaire, il ne faut pas oublier que derrière le masque se cache Peter Parker, un petit orphelin, intello et timide, qui vit chez sa vieille tante du Queens. Il est loin d’avoir autant de style que son alter ego super-héroïque. Lorsqu’il apparaît pour la première fois, il détonne parmi ses camarades qui s’apprêtent à vivre de plein fouet les modes hippies des années 1960. Lui est déjà démodé. C’est ce qui va le rendre indémodable. « Peter Parker a été créé par Steve Ditko et Stan Lee, qui étaient déjà des hommes d’âge mûr, dont la vision de la jeunesse remontait aux années 1930 », raconte Xavier Fournier, spécialiste français des comic books et créateur du podcast Aventures Fiction. « Ils en ont donc fait un jeune homme un peu ringard, mais comme il n’a jamais été à la page, il ne peut pas être démodé. S’ils en avaient fait un hippie, il aurait très vite été dépassé. »
Et puis, malgré son look, ce maladroit de Parker est attachant et a les mêmes soucis existentiels que tout adolescent lambda concernant les filles, les études, les changements physiques, mais aussi le rapport à ses aînés. Comme le note Xavier Fournier, Spider-Man est obligé de se confronter à « des adversaires qui ont l’âge d’être son père ou son grand-père. Et, dans les années 1960, ce jeune héros qui lutte contre des vieux est au rendez-vous avec l’histoire. »
Le petit premier de la classe serait-il un grand révolutionnaire ? En tout cas, le personnage est moins lisse qu’il n’y paraît au premier abord. En témoigne son étrange rapport à la responsabilité. En épluchant son parcours pour son livre Qui est le Tisseur ? L’incroyable Peter Parker, Jonathan Remoiville a pu constater que l’adolescent bien propre sur lui n’était pas dénué d’aspérités. « Dès le départ, il convoquait des thèmes qui faisaient de lui un héros totalement à part. Dans Amazing Fantasy #15, il ne combat pas de super-vilain, par exemple. Il découvre ses pouvoirs, mais ne les utilise pas pour se comporter en héros. Peter Parker n’est pas quelqu’un de bien, il n’est pas mauvais non plus, mais il est un peu égoïste et c’est justement ce qui va causer la mort de l’oncle Ben et donner naissance à l’idée qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. »
Ce mantra devenu culte le poussera à devenir un parangon d’altruisme. Mais, sans ses petits travers égoïstes, sans son traumatisme originel, Peter Parker ne serait pas devenu le héros que l’on connaît aujourd’hui. Ça a été le coup de génie de Stan Lee et Steve Ditko, qui ont créé un personnage aux multiples facettes grâce à la grande liberté accordée par leur éditeur Martin Goodman, « qui ne pensait pas que ça allait marcher, car personne n’aimait les araignées », rappelle Xavier Fournier. Comme Amazing Fantasy était destiné à disparaître, l’éditeur de Marvel ne prenait pas trop de risques en laissant les coudées franches à ses artistes. Grand bien lui en a pris : la fin d’Amazing Fantasy a marqué le début d’Amazing Spider-Man, une publication dédiée au personnage plébiscité par les jeunes de l’époque… et toujours adoré par ceux d’aujourd’hui.
Amour, superpouvoirs et beauté
Car c’est une chose de plaire, c’en est une autre de durer. Spider-Man a réussi cet exploit grâce à ses qualités intrinsèques, mais aussi parce qu’il « a grandi avec ses lecteurs », explique Jonathan Remoiville. Certes, son vieillissement n’est pas flagrant, puisqu’à 60 ans, Peter Parker paraît encore trentenaire. Mais il a tout de même évolué de manière cyclique, passant du lycée à la faculté et à la vie d’adulte, en étant régulièrement ramené dans les cours d’école par les aléas de la vie et les caprices des scénaristes. Star du photojournalisme, professeur remplaçant, génie des nouvelles technologies… En plus de sa carrière super-héroïque – et un peu à cause d’elle – Peter Parker a vécu plusieurs vies professionnelles plus ou moins heureuses. Ces rebondissements ont trouvé un écho dans sa vie sentimentale, tout aussi mouvementée.
Ceci est en partie la faute de John Romita Senio,r qui remplace Steve Ditko au dessin à partir de 1966. « Ce deuxième dessinateur venait de la bande dessinée sentimentale et il a dessiné les copines du personnage comme des pin-ups, en donnant des airs de soap opera à sa vie sentimentale, raconte Xavier Fournier. Avec Stan Lee, ils ont donné une valeur propre à la vie privée de Peter Parker et c’est ce qui a créé une sorte de fidélité du lectorat. » Notre héros s’est donc ému pour l’idylle avec Gwen Stacy, a pardonné à Flash Thompson, l’ancienne brute du lycée devenue ami, a détesté J. Jonah Jameson, le rédacteur-en-chef tyrannique du Daily Buggle et s’est réjoui du mariage avec Mary Jane Watson.
Un héros de tragédie grecque
Toutes ces affaires de cœur et d’amitiés ont été l’occasion d’étoffer la galerie des personnages secondaires dans la vie de Peter. Mieux encore, elles ont permis d’aborder différentes thématiques auxquelles était confronté le lectorat, comme la guerre du Vietnam, avec l’engagement de Flash Thompson, ou la drogue avec la descente aux enfers de Harry Osborn. Malgré ses airs de romance naïve, la vie de Peter Parker et de ses amis n’est pas toute rose, elle est même régulièrement marquée par des tragédies comme le décès de Gwen Stacy qui a profondément traumatisé les fans. Malheureusement, c’est aussi ça la clef du succès de Spider-Man : des retournements de situation dignes d’une tragédie grecque. Le héros s’en relève toujours, en utilisant bien souvent l’humour pour conjurer le mauvais sort ou dédramatiser, mais ses fans, eux, ne se lassent jamais de tous ces rebondissements. Et il y en a !
« On peut apprécier de le voir mener de grands combats avec des scènes d’action, mais on en revient toujours aux drames qu’il vit et une tragédie chasse l’autre dans sa vie », constate Jonathan Remoiville, qui voit dans Peter Parker l’incarnation d’un héros balzacien. Xavier Fournier, lui, cite plutôt Zola. Dans les deux cas, Peter Parker est un véritable héros de littérature. C’est ce qui l’a aidé à traverser les décennies, en séduisant de nouveaux lecteurs bien souvent heureux de partager ses aventures avec leurs enfants, comme l’explique Xavier Fournier : « Il est publié sans interruption depuis bientôt 60 ans, donc il a touché trois générations et fait partie de la culture générale de nombreuses familles. Il y a des gens qui l’ont lu en 1962 qui ont acheté ses comics à leurs enfants voire à leurs petits-enfants. » Et peut-être pourront-ils bientôt en offrir un exemplaire à leurs arrière-petits-enfants.
Les héritiers de Peter Parker
Spider-Man n’est pas près de prendre sa retraite, ni en bande dessinée ni au cinéma. Tom Holland sait qu’il ne pourra pas éternellement occuper ce rôle et il s’est déjà dit prêt à accompagner son successeur. Si le passage de relais entre Tobey Maguire, le Spider-Man de Sam Raimi, et Andrew Garfield, celui de Mark Webb, ne s’est pas fait sans heurts – le second n’ayant pas rencontré le succès escompté – la situation est totalement différente aujourd’hui. Sony, qui détient les droits cinématographiques du personnage, s’est accordé avec les studios Marvel pour travailler de concert – malgré quelques tensions – afin de lui rendre tout son éclat et de mieux l’inclure dans le Marvel Cinematic Universe. Si bien qu’aujourd’hui, le Tisseur et son univers sont plus populaires que jamais. Cela a motivé Sony à multiplier les projets autour de son petit protégé comme les différents films consacrés aux adversaires de Spider-Man. Venom a ainsi déjà eu droit à deux films, Morbius déboulera sur grand écran en janvier 2022 et un film sur Kraven le chasseur a déjà été annoncé. Sans compter le film d’animation oscarisé en 2019 avec Miles Morales, le Spider-Man d’une Terre parallèle, qui a permis d’introduire tout un tas de déclinaisons du personnage.
Aucune ne remplacera l’originel dans le cœur des fans, mais les fondamentaux demeurent : derrière le masque de l’Araignée se cache toujours une personne attachante qui n’abandonne jamais. Miles Morales finira donc peut-être par remplacer le Peter Parker de Tom Holland dans le MCU. Xavier Fournier, fin connaisseur de Marvel, a bien décortiqué les films et y a déjà repéré un indice renforçant cette théorie : « Le trafiquant d’armes qu’interroge Spider-Man dans Homecoming n’est autre que l’oncle Aaron de Miles Morales. Donc ça veut dire que Miles existe déjà quelque part dans le MCU et qu’il pourrait apparaître. Ce serait d’autant plus logique que la nouvelle phase des films et séries Marvel a pour thème la transmission… » Les générations futures auraient donc toujours un Spider-Man sur qui compter.