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Les super-héros sur le divan, épisode 1 : Spider-Man

15 octobre 2021
Par Agathe Renac
Le super-héros pourrait souffrir de dépression.
Le super-héros pourrait souffrir de dépression. ©Sony Pictures

Ils sont forts, puissants et semblent invincibles. Pourtant, les super-héros ont aussi des failles. Emma Scali, psychanalyste, actrice et scénariste, s’est penchée sur le cas Spider-Man.

Quel trouble majeur percevez-vous chez Spider-Man ?

On pourrait imaginer qu’il souffre de dépression et de mélancolie. C’est un phénomène qu’on retrouve souvent chez les ados. La psychanalyste Françoise Dolto parle du “complexe du homard”, car ils muent, eux aussi. Le concept peut s’appliquer aux super-héros, qui mettent un costume pour se transformer et devenir plus puissants. Dans le cas de Spider-Man, c’est un mécanisme de défense pour survivre et se protéger après tout ce qui lui est arrivé. Il subit des changements d’humeur et des troubles du sommeil, il est en colère, irritable, il manque de confiance en lui, il se sent en décalage avec les autres, il ressent de la tristesse vis-à-vis de la mort de ses parents et un sentiment d’auto-reproche autour du décès de son oncle… C’est très lourd et il y a de nombreux signes de dépression.

Il souffre de stress post-traumatique ?

Oui, même si ce trouble est encore plus présent chez Batman, qui a assisté à l’assassinat de ses parents. Dans ces cas, un trauma fait écho à un autre, plus ancien. Spider-Man est orphelin et il est déjà en souffrance. La mort de son oncle va répéter cette peine et faire disjoncter son cerveau. C’est ce qu’on a pu voir chez certaines victimes du Bataclan. Pour elles, ce qui leur était arrivé était absolument insoutenable et insupportable. Bien sûr, la situation était atroce. Mais leur souffrance était décuplée, car elle était en écho à de vieux traumatismes. Il y avait déjà une faille et le nouvel événement n’a fait que la rouvrir. C’est ce que l’on peut observer dans la série En Thérapie avec le personnage interprété par Reda Kateb : le passé douloureux ou refoulé ressurgit à l’aune du nouveau trauma. Il en va de même pour Peter Parker, qui s’est tellement senti impuissant face à la mort de son oncle qu’il a, en quelque sorte, décidé de devenir tout puissant. Il le fait “bien”, dans le sens où il est gentil. Cette situation aurait pu faire de lui un pervers imbu de son pouvoir, mais il a décidé d’être un justicier. Seulement, cette réparation est avant tout une réparation de soi-même, par les autres vies qu’il sauve, et non l’inverse.

Vous pensez que la culpabilité qu’il ressent depuis la mort de son oncle est à l’origine de sa volonté de sauver les autres ?

Comme tous les super-héros, il a le syndrome du sauveur. Il a développé une surcapacité pour résoudre des problèmes, car, à un moment clé de sa vie, ça n’a pas été possible. Il y a eu un échec. Il est persuadé d’avoir une toute-puissance et qu’il peut sauver le monde. À chaque fois, c’est comme s’il sauvait son oncle Ben. Il refuse le réel et n’arrive pas à faire son deuil. Normalement, il y a plusieurs phases lorsqu’on est en deuil : le déni, la colère, l’abattement… Mais lui se maintient dans le déni.

Et si Spider-Man était finalement un HPI (haut potentiel intellectuel) ?©Sony Pictures

Peut-on parler de trouble de la personnalité ou de schizophrénie dans le cas de Peter Parker ?

Comme tous les super-héros, le jeune Peter Parker est un personnage clivé, car il a une identité civile et une de super-héros. En psychopathologie, il y a deux grandes structures : la névrose et la psychose. Et il existe un entre-deux qui s’appelle les états limites. Dans la névrose, le patient a conscience de son identité propre. Dans la psychose, c’est plus morcelé, il n’y a pas une identité aussi claire, mais des morceaux de soi éparpillés. On retrouve ce morcellement chez Peter Parker, mais il sait qui il est et il choisit quand il veut devenir Spider-Man. Donc je parlerais plus d’état limite. Il y a un trouble dissociatif, c’est sûr, mais pas un trouble de l’identité. Dans le cas de la schizophrénie, il y a une dépersonnalisation et la personne peut subir des hallucinations. A priori, Spider-Man n’en a pas, mais le spectateur voit toute l’histoire sous son prisme donc on pourrait imaginer qu’il est juste en plein délire. Cette hypothèse est très peu probable, car, autour de lui, tout le monde le voit grimper aux immeubles et sauver les autres. Pour moi, on est plus proche d’une forme de bipolarité que de schizophrénie.

Vous pensez donc que Spider-Man est bipolaire ?

La question de la bipolarité pourrait se poser, mais, en même temps, ce trouble implique des phases maniaques qui ne sont pas présentes chez Spider-Man (sauf à imaginer qu’il se prenne pour un super-héros sans en être réellement un). Dans cette phase, la personne est très excitée et survoltée, puis elle enchaîne ensuite avec une phase dépressive où elle sombre. J’ai l’impression que le personnage est plus généralement dans cette énergie de dépression. Après, son sentiment de surpuissance est caractéristique de la bipolarité de type 1. Dans ce cas, les personnes peuvent présenter des dysfonctionnements de l’humeur et ont une impression de puissance extrême, au point où ils peuvent se jeter dans le vide en étant persuadés de pouvoir voler (ce qui est son cas, mais lui vole au sens propre. Ou du moins, grimpe et tisse sa toile, puisqu’il est également véritablement une araignée). Entre ses sentiments d’auto-reproche et ses questionnements internes, je pencherais donc plus vers un trouble dépressif (avec des aspects de bipolarité quand même présents).

C’est un homme hypersensible, il a un vrai sens de la justice, un instinct développé et il se sent en décalage par rapport à la société… Et si Spider-Man était en fait un HPI (Haut potentiel intellectuel) ?

En général, le HPI s’accompagne d’un haut potentiel émotionnel. Spider-Man, comme beaucoup de super-héros, a une sensibilité exacerbée. Il a aussi un sens aigu de la justice, un besoin de reconnaissance, un côté borderline, il se sent décalé par rapport aux autres, il a un idéal du Moi qui est très fort et, en même temps, il aime profondément l’humain et veut tisser des liens solides avec les autres… Effectivement, ce personnage pourrait être un haut potentiel, et pas qu’intellectuel, car il a développé des capacités physiques extraordinaires. C’est peut-être le meilleur diagnostic.

Pensez-vous que ses nombreux troubles peuvent s’aggraver s’il poursuit son activité de super-héros ?

Pour que ça fonctionne, il faut que ce soit contenu et qu’il puisse en parler à d’autres personnes. Il doit réfléchir et se demander pourquoi il a autant besoin de sauver le monde. Son activité peut aggraver son trouble dissociatif s’il perd de vue le réel. À partir du moment où Spider-Man prendra plus de place que Peter Parker, ça deviendra dangereux et pervers. Il sera persuadé qu’il sait ce qu’il faut faire, ce qui est bon, et pourrait utiliser ses pouvoirs au détriment des autres. Comme dirait Nietzsche, il doit se souvenir qu’il est humain, trop humain.

Quelles seraient vos recommandations pour aider Spider-Man ?

Je pense qu’il devrait intégrer une équipe et ne pas rester seul. Ses troubles sont relativement modérés, donc ça ne sera pas un obstacle à ses missions, il peut sauver le monde. Mais il a besoin d’être accompagné pour partager ses problèmes d’hommes (et de surhomme), et surtout pour pleurer. Il a besoin de toucher à sa vulnérabilité. Le problème des super-héros, c’est qu’ils oublient qu’ils sont vulnérables. Or, notre plus grande puissance part de ça.

Ensuite, je lui recommande clairement une bonne hygiène de vie : qu’il se repose, qu’il mange bien, qu’il écoute ses besoins… Il prend soin des autres, mais pas assez de lui. Je pense que la méditation serait une bonne solution pour qu’il apprenne à maîtriser le flot de ses pensées. Je lui conseille aussi de faire du sport, mais pas forcément en grimpant sur les immeubles. Qu’il accepte l’aide qu’on lui propose : un psy, des amis, une équipe… Il doit pouvoir s’appuyer sur quelqu’un. Et surtout, il est nécessaire de faire un travail sur le deuil. Aller sur la tombe de ses proches, écrire une lettre, regarder des photos… Il ne doit pas rester dans ce tabou et accepter ce qui est arrivé.

Emma Scali est psychanalyste, actrice, réalisatrice et autrice de Mon journal d’écriture thérapie – Je deviens le héros de ma vie aux éditions Hugo Doc, 192 p., 14,95 €.

Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste
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