Décryptage

Charles Burns, l’autre bande dessinée américaine

26 janvier 2024
Par Michaël Ducousso
Charles Burns réalise régulièrement des autoportraits où il se dote des attributs des monstres qu’il apprécie tant.
Charles Burns réalise régulièrement des autoportraits où il se dote des attributs des monstres qu’il apprécie tant. ©Charles Burns

Superstar issue de la scène underground, le créateur américain est une nouvelle fois mis à l’honneur à Angoulême avec Dédales, dont le troisième tome a été retenu dans la sélection officielle du FIBD 2024. L’occasion de (re)découvrir un artiste qui n’a cessé de se jouer des codes.

Dans un monde dominé par les comics de super-héros arpentant New York en tenues bariolées, il existe une autre vision de l’Amérique, de sa culture et de sa bande dessinée. Une vision plus sombre et plus intéressée aux marges de la civilisation états-unienne. Cette vision, c’est celle de Charles Burns, un artiste qui a souvent vu les choses en noir et blanc, mais dont l’œuvre révèle une subtilité et une complexité qui n’ont absolument rien de manichéen.

Punk et fan de Tintin ; Américain prisé par les Européens ; artiste discret à l’aura de rock star… Charles Burns, c’est tout cela en même temps. Pas étonnant, donc, que le jury du Festival d’Angoulême soit lui aussi tombé sous le charme de ses créations.

Après avoir décerné le titre d’Essentiel à son œuvre-phare, Black Hole, en 2007, le festival angoumoisin a fait de Charles Burns son invité d’honneur en 2020, avant d’inclure le tome final de sa trilogie Dédales dans sa sélection officielle pour 2024. Des distinctions amplement méritées par cette superstar de la bande dessinée américaine.

Une icône underground

Ce n’est pas parce qu’il n’affiche pas sa trogne partout, comme le faisait Stan Lee, que Charles Burns est inconnu pour autant. Loin de là, l’artiste de 68 ans peut compter sur une communauté de fans particulièrement enthousiastes dans le monde entier et notamment en France.

Cornélius a été la première maison d’édition à publier la nouvelle trilogie de Charles Burns. Une chance pour tous les fans francophones de l’artiste.©Charles Burns/Cornélius 2 023

« On a vendu sa dernière trilogie, Toxic, à 40 000 exemplaires, ce qui est très bien », assure ainsi Jean-Louis Gauthey, fondateur des éditions Cornélius qui publient ses œuvres en version francophone. Et d’ajouter : « Nous l’avons fait venir plusieurs fois en dédicaces à Angoulême et on s’est rendu compte qu’il y avait une forme d’hystérie autour de sa présence, à tel point que ça a provoqué des ruées de fans et qu’on a décidé de ne plus refaire de dédicaces. »

Une « burnsmania » justifiée par le talent de cet artiste au cursus éminent. Repéré par Art Spiegelman (auteur du célèbre Maus) dans sa revue RAW, Burns a par la suite mené une carrière exemplaire en signant dans la revue culte Métal hurlant, avant d’enchaîner les prix les plus prestigieux pour Black Hole, son chef-d’œuvre qui a même suscité l’intérêt d’Hollywood (même si l’adaptation cinématographique se fait attendre depuis bien longtemps maintenant).

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Personnalité très discrète, évoluant toujours dans l’ombre, Charle Burns n’en finit pourtant pas d’attirer les regards. La faute à un trait de dessin particulièrement remarquable qui repose, selon les dires de Jean-Louis Gauthey, sur « une façon très particulière d’encrer. En fait, tous les volumes sont dessinés avec des espèces de pointes effilées, donc ça donne un côté épais à ses personnages et il joue énormément du rapport entre le noir et la couleur. Tout cela contribue à créer une ambiance fantastique, un rapport perturbé à la réalité qui est présent dès son dessin, qui a quelque chose de glacé, de sensuel… » et de véritablement unique dans le 9e art, à mi-chemin entre le style classique des comic books et celui de la « ligne claire », une technique graphique popularisée, notamment, par Hergé. Cela n’a rien de surprenant venant de la part d’un artiste qui déclarait en 2014 : « Tintin correspond à l’idée que je me fais de la meilleure bande dessinée au monde. »

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Tintin au pays des punks

Cet amour pour l’œuvre de Hergé – assez inédit pour les Américains de sa génération –, il le doit à son père qui lui a offert une des premières éditions anglophones de ce classique de la BD franco-belge. C’est en lisant l’Île mystérieuse qu’il a trouvé ses premières inspirations. Dans cet album de Tintin, mais également dans les films, séries et comics de monstres, très en vogue durant son enfance, et enfin dans la scène punk de la fin des années 1970. Voilà qui explique le mélange détonnant présenté dans sa série Toxic, aussi baptisée « trilogie Nit-Nit » par les fans conquis par les aventures du Tintin punk de Burns.

Invité d’honneur du FIBD en 2020, Charles Burns avait réalisé cette affiche mettant en scène l’enfant qu’il était en train de découvrir la BD de Tintin qui l’a tant marqué.©Charles Burns/FIBD

Et si les faciès cauchemardesques des freaks qui peuplent son œuvre ont tapé dans l’œil du lectorat, c’est le talent avec lequel Charles Burns met en scène la jeunesse américaine, perdue face à ses émotions, qui a conquis le cœur du public. Comparé parfois au réalisateur David Lynch, Charles Burns a une vision unique de son pays et des décennies durant lesquelles il s’est lui-même construit. Voilà pourquoi les thèmes de la jeunesse, mais également des cauchemars et des angoisses qui terrifient les adolescents, reviennent régulièrement dans ses intrigues, et en particulier dans Dédales.

Impossible de ne pas voir les références à L’Île mystérieuse dans Toxic.©Charles Burns/Cornélius 2010

Cette marque de fabrique, couplée à ses qualités de dessinateurs, a permis à l’artiste de se frayer une voie à part sur le marché américain, « un marché très particulier, vraiment binaire, comme l’explique Jean-Louis Gauthey. Là-bas, vous faites soit du super-héros, soit du roman graphique. Il n’y a rien au centre. »

Très influencé par le monde de la musique, notamment par les scènes punk et rock des années 1970-1980, Charles Burns a fait une incursion dans cet univers en dessinant la jaquette de l’album Brick by Brick d’Iggy Pop.

Pas même Charles Burns, qui se joue des classifications et des segments marketing pour se placer au-dessus de la mêlée. Une liberté d’esprit qui a fait son succès et qui lui a permis d’être édité par Pantheon – « l’équivalent de Hachette aux États-Unis » – et par Cornélius, qui publie en exclusivité mondiale sa dernière trilogie mise à l’honneur durant la 51e édition du Festival international de la bande dessinée, cette année.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste