
Loin d’être un outil de propagande nationaliste, le super-héros dévoile l’idée que les artistes de Marvel se font d’une Amérique idéale.
Avec Captain America: Brave New World, Anthony Mackie se lance dans un défi de taille : succéder au Steve Rogers de Chris Evans qui a contribué à façonner l’univers Marvel au cinéma. Que le bouclier du héros change de main, passe encore ; mais qu’un vétéran afro-américain remplace un héros de guerre WASP, cela ça n’a rien d’anodin.
Surtout lorsque l’un des adversaires de ce nouveau Captain America n’est autre que le Président lui-même ; un va-t-en-guerre capable de se transformer en monstre cochant toutes les cases du masculinisme toxique. Non, vraiment rien d’anodin… On pourrait presque croire qu’avec son héros tricolore, Marvel cherche à défendre une vision critique des États-Unis, bien plus nuancée que ne le laisse croire l’allure patriotique du personnage. C’est bien le cas et ce n’est pas nouveau.
Une certaine idée de l’Amérique
Dès sa première apparition, Captain America a frappé les esprits de ses compatriotes en balançant un crochet du droit à Hitler en couverture de son premier comics. On est en décembre 1940, soit un an avant l’entrée en guerre des États-Unis et, pour ses créateurs Joe Simon et Jack Kirby – tous deux d’origine juive –, cette décision dépasse le simple engagement.
« C’est une véritable prise de risque personnelle, assure Xavier Fournier, co-commissaire de l’exposition Marvel, super-héros et Cie qui se tient actuellement à la Cité de la BD d’Angoulême. À l’époque, la moitié de la population américaine ne voulait pas aller faire la guerre en Europe, et le Bund germano-américain remplissait des stades entiers et défilait dans les rues avec des drapeaux nazis. »

Autant dire que, dans un contexte pareil, Captain America ne se fait pas que des amis et ses créateurs reçoivent même de nombreuses menaces de mort. Mais l’entrée en guerre du pays, après Pearl Harbor l’année suivante, a finalement donné raison aux deux artistes et « Captain America est devenu le héros qui a été validé au regard de l’histoire. Un héros avec une vision idéaliste de son pays », ajoute le spécialiste.
Une vision particulièrement vertueuse, voire chevaleresque, tout à fait assumée par le personnage avec son bouclier et son costume en mailles, qui affronte des savants fous cachés dans de sombres châteaux, sans doute occupés précédemment par des sorciers maléfiques.

Comme l’explique l’historien William Blanc dans Super-héros, une histoire politique, cette imagerie n’a rien d’un hasard et renvoie au mythe arthurien, dont les États-Unis sont très friands au début du XXe siècle et qu’ils utilisent volontiers pour se représenter en champions du progrès venus sauver la vieille Europe.
Impossible avec une telle genèse de voir Steve Rogers comme un simple pantin au service du gouvernement. Toute son histoire éditoriale est d’ailleurs marquée par de régulières oppositions au pouvoir en place, de façon plus ou moins déguisée, comme dans la saga L’empire secret. Captain America y affronte une organisation fasciste secrète et pourchasse son leader jusque… dans le bureau ovale de la Maison-Blanche.

Comme le précise Xavier Fournier, cette histoire est publiée en 1975, alors que la présidence Nixon est entachée par le scandale du Watergate. « Et même si l’on ne voit pas le visage du Président dans la BD et qu’il n’est même pas nommé, c’est une position éditoriale extrêmement forte dans une œuvre à destination de la jeunesse. Surtout qu’après cet événement, Captain America rejette son costume et son identité super-héroïque pour devenir le Nomade. »
Un héros d’opposition qui n’échappe pas aux récupérations
Si cette série et sa conclusion sont particulièrement célèbres, elles ne sont finalement que représentatives des valeurs exprimées tout au long de sa carrière par un héros avant tout indépendant et progressiste. « Il y a bien eu quelques épisodes profondément anticommunistes et même xénophobes sur certains points, lors d’une tentative de relance du personnage dans les années 1950, concède Xavier Fournier. Mais cela n’a duré que quatre épisodes qui ont fait un véritable bide. » Par la suite, même les versions les plus conservatrices, voire néonazies du personnage, se sont révélées être des impostures et pas Steve Rogers lui-même, qui aurait plutôt tendance à voter du côté démocrate.

En tout cas, pas pour Trump, comme l’a très clairement expliqué Neal Kirby après avoir vu des assaillants du Capitole arborer des emblèmes rappelant le costume du héros imaginé par son père : « Captain America est l’antithèse absolue de Donald Trump », a-t-il assuré avant de lister toutes les qualités du premier dont manque le second.
Cela n’empêche pourtant pas certains trumpistes de représenter leur président en Captain America. Malgré ses valeurs, il faut bien reconnaître que le héros patriote n’échappe à aucune récupération, au point que certains courants opposés se reconnaissent parfois dans ses combats. William Blanc prend ainsi pour exemple la saga de comics Civil War, dont une partie des propos se retrouvent dans le film Captain America: Winter Soldier.

Dans ces œuvres, l’Avenger s’oppose à un projet de régulation, de fichage et d’élimination préventive des individus représentant de potentielles menaces. « D’un côté, il y a ceux qui voient dans le choix de Captain America une critique de la politique sécuritaire des années Bush, après le 11-Septembre, poursuit le spécialiste. Mais de l’autre, on retrouve les tenants d’une tradition jeffersonienne qui fait débat depuis la fondation des États-Unis et qui oppose l’État fédéral aux pouvoirs locaux. Pour eux, Captain America s’oppose dans ces œuvres à un État central trop fort qui nuit à la liberté des citoyens… »
Le visage sans fard de l’Amérique contemporaine
Même si chaque camp voit en ce personnage ce qu’il a envie d’y voir, le MCU et plus généralement Marvel laissent peu de doutes sur les valeurs qu’ils défendent avec leur héros emblématique. Le passage de relais entre Steve Rogers et Sam Wilson marque bien évidemment la volonté de promouvoir la diversité, mais les engagements de l’ex-Falcon ne se limitent pas à la question des droits des Afro-Américains.
Dès son introduction dans le MCU, le côté vétéran du personnage campé par Anthony Mackie a influé sur sa relation avec Captain America. Comme le fait remarquer William Blanc, il a ainsi permis au héros d’une guerre juste, adulé de tous, de se confronter à la réalité des vétérans contemporains, revenus de conflits plus critiqués et qui ont parfois du mal à se reconstruire psychologiquement ou à survivre financièrement.
Un aspect encore plus détaillé dans la série Falcon et le soldat de l’hiver, dans laquelle le statut d’Avenger de Sam Wilson ne lui permet pas d’aider financièrement sa famille et où Isaiah Bradley, le super soldat afro-américain de la Seconde Guerre mondiale, vit oublié de tous dans un modeste pavillon…
« Cette question des vétérans – et notamment ceux issus des minorités – est particulièrement importante aux États-Unis où le Department of Veteran Affairs s’occupe de plus de 16 millions de personnes, insiste l’historien. Le fait que ce soit un aspect primordial du traitement du Falcon dans cette série la rend encore plus intéressante à mes yeux. C’est sans doute la série du MCU qui représente le mieux un des visages de l’Amérique contemporaine. »

Inutile, donc, d’expliquer pourquoi William Blanc attend avec impatience la sortie de Brave New World, même s’il ne cache pas quelques craintes. « C’est un film fait sous la présidence de Biden, mais avec la crainte d’un retour de Trump, qui s’est concrétisée peu avant sa sortie. Donc il va forcément y avoir une lecture politique. Mais, en voyant que Donald Trump avait nommé un trio d’acteurs – Sylvester Stallone, Jon Voight et Mel Gibson – comme ambassadeurs spéciaux à Hollywood, je me suis dit que ce Captain America marquera peut-être la fin du MCU critique, social et progressiste que l’on a connu jusqu’à présent et qui a abordé de nombreuses problématiques, sous couvert de divertissement. »