
La série révolutionnaire de l’univers Star Wars revient pour une deuxième et ultime saison, ce 23 avril. Douze épisodes pour clore une aventure qui a fait de la divergence une force.
La lutte continue pour Cassian Andor. De retour pour une saison 2, le rebelle campé par Diego Luna est embarqué dans de nouvelles missions, tandis que, tout autour de lui, les intrigues politiques se mêlent aux vies personnelles de résistants toujours sur la brèche. Bien loin des séries d’espionnage à la James Bond, pas tellement plus proche des produits Star Wars classiques faits d’élus aux pouvoirs magiques, Andor continue d’exploiter la veine qui a fait le succès de la première saison : l’exposition d’une lutte quotidienne contre la tyrannie. Ici, pas de Jedi ni d’empereur Sith, simplement des quidams, de toutes les classes sociales, confrontés à un État fasciste et à ses fonctionnaires zélés.
Ces inconnus qui vont nous manquer
En 2022, ces adversaires redoutables avaient mené la vie dure aux habitants de Ferrix au point de réveiller leur conscience révolutionnaire, y compris celle de Cassian Andor, pourtant pas idéaliste pour un sou. Trois ans plus tard, nous retrouvons le héros éponyme et ses compagnons clandestins pleinement impliqués dans une organisation à la structuration encore fragile et aux compétences limitées.

En témoigne la mission entamée dans le premier épisode – sorte de répétition à petite échelle des événements de Rogue One –, pour laquelle le héros n’est clairement pas assez préparé. Face à ces révolutionnaires parfois maladroits, l’Empire, lui, prépare activement l’asservissement d’autres planètes à grand renfort de plans ourdis par les plus grands cerveaux du « service public ».
Et au milieu de ça, la vie continue : les aristocrates chandriliens se livrent à leurs complexes rituels de mariage, les ouvriers agricoles triment pour livrer assez de grain à l’armée et les couples de bureaucrates fascistes doivent composer avec des belles-mères envahissantes. Bref, la vie, dans ce qu’elle a à la fois d’anodin et de terrible dans une tyrannie.

Mais chaque petite victoire, chaque moment de joie, chaque coup rendu à l’oppresseur rappelle que toutes ces étapes, en apparence insignifiantes, préparent le grand final du Retour du Jedi. Et en repensant au sourire béat de Luke Skywalker face aux Ewoks qui se dandinent avec sa sœur, on se dit que ce « fils de » ne serait jamais devenu le héros sauveur de la galaxie si des Luthen, des Andor et des Mon Mothma n’avaient pas souffert pour lui paver la voie.
Tant par leur simplicité que par leurs sacrifices, ces inconnus de la Résistance nous deviennent bien plus sympathiques que toute la dynastie Skywalker et on regrette de devoir les quitter si tôt. Cette deuxième saison de 12 épisodes marquera, en effet, la fin de la série, prologue du film Rogue One.

Son créateur, Tony Gilroy, espérait en tirer cinq saisons, mais son acteur phare prenant de l’âge durant la production, il aurait été compliqué, à la fin, de faire passer son personnage pour plus jeune que dans le film où on l’a découvert, en 2016.
Le fait que la série ait déjà coûté près de 645 millions de dollars à Disney
– devenant la production la plus chère de la franchise Star Wars – y est peut-être également pour quelque chose… Mais, si cette fin précoce est bien regrettable, le simple fait que cette œuvre ait pu voir le jour est déjà un petit miracle.
Le public rêve de nouveaux espoirs
Si les dystopies et les mondes postapocalyptiques sont monnaie courante en science-fiction, les histoires de rébellion, qui plus est de rébellions victorieuses, le sont un peu moins. Alors, voir apparaître un vade-mecum révolutionnaire sur la plateforme Disney+, c’était carrément inespéré.
Pourtant, on remarque depuis quelques années un réel engouement pour des œuvres de science-fiction plus positives, présentant des victoires populaires menant à un monde meilleur. Qu’elles soient étiquetées « Solarpunk » ou « Hopepunk », comme celles de Becky Chambers, elles donnent au public le goût d’avenirs enviables, qui méritent que l’on se batte pour eux.

Si elles ne conduisent pas au Grand Soir, elles produisent tout de même une petite révolution dans le monde de l’édition, à tel point que même Libertalia, pourtant spécialisé dans les essais de sciences humaines et de critique sociale, s’y essaie en publiant l’utopie Nouvelles de nulle part de William Morris ou le célèbre récit d’anticipation de Jack London : Le talon de fer.
Dans ce « classique des littératures du peuple », l’auteur de Croc-Blanc raconte, comme dans Andor, les tentatives – parfois infructueuses, mais finalement victorieuses – des révolutionnaires pour faire tomber une dictature fictive.
Si ces œuvres des XIXe et XXe siècles prouvent qu’utopie, lutte sociale et science-fiction ont toujours fait bon ménage, leur attrait est d’autant plus fort aujourd’hui et Nicolas Norrito, l’éditeur derrière Libertalia, cherche activement « des récits actuels où l’on est victorieux. Parce que la marche du monde ne va pas dans notre sens et je souhaite que l’on puisse parfois gagner, au moins à travers les littératures de l’imaginaire ».
Cela permettrait aussi de nourrir les débats avec des écrits souvent « moins fastidieux qu’un essai de sciences humaines, bien que les deux soient des outils complémentaires dans l’éveil des consciences ». Cette volonté éditoriale de publier des récits plus positifs fait doucement sourire Aude, autrice au sein des collectifs Les Aggloméré·e·s et les Ateliers de l’Antémonde.

Tentant de proposer Bâtir aussi aux maisons d’édition spécialisées dans l’imaginaire en 2017, on lui répondait : « L’utopie, ça ne se vend pas, ça n’a aucun intérêt. On ne peut pas raconter une histoire dans un monde qui se porte bien. » Aujourd’hui, c’est tout l’inverse, et pour cause : « Face au monde réel qui est devenu dystopique, il y a besoin de se faire du bien et de retrouver du désirable. »
La SF comme terrain d’expérimentations sociales et politiques
C’est cette recherche du désirable qui a motivé l’écriture de Bâtir aussi, en 2011. Face aux Printemps arabes, les trois militants politiques férus de science-fiction des Ateliers de l’Antémonde ont tout simplement voulu prendre plaisir à imaginer une révolution qui se généraliserait et produirait un monde plus enviable.
« On se retrouvait les week-ends pour visiter le monde de l’Haraka, qui s’en sortait bien, dix ans après une révolution anti-autoritaire. C’était de véritables bouffées d’air frais ! L’écriture devenait un espace d’exploration et un espace cathartique à la fois. »

La fiction permettait aux compagnons d’aventure des Ateliers de l’Antémonde de confronter leurs idées et de bâtir le monde meilleur qui allait avec, en faisant fi des dogmes et des lignes partisanes. « Cela nous a permis d’aborder des enjeux en les recroisant plutôt qu’en les cloisonnant et cela a apporté de la complexité dans nos réflexions. » Une démarche que ces artistes poursuivent avec des ateliers qui permettent au public de vivre ces moments de bonheur collectif, en confrontant leurs espoirs et leurs peurs à des réalités nouvelles.
« La littérature est rarement un endroit de propagande qui réussit, mais c’est un endroit de recherche, où on teste des postulats pour voir comment ils fonctionnent. On n’écrit pas des histoires pour convaincre, mais pour continuer de poser des questions. » Au lecteur, ensuite, de s’en saisir ou pas. Voilà pourquoi l’autrice de SF Ketty Steward se méfie des ouvrages qui lui vantent un futur meilleur.

Déjà, parce que ce futur est désiré par l’auteur et pas forcément par son lecteur, mais aussi parce que tout le monde n’en aura pas la même lecture. « Je ne pense pas qu’Elon Musk et moi retenions la même chose des livres de science-fiction que nous avons lus, résume-t-elle. On s’approprie les choses et on en fait ce qu’on a besoin de faire. Et avec la même lecture, on peut arriver à des comportements et des interprétations qui vont être totalement différents. »
Certains spectateurs d’Andor loueront cette ode à la révolution antifasciste, tandis que d’autres y verront l’apologie d’une bureaucratie particulièrement efficace, servie par des fonctionnaires très chics dans leurs costumes dignes d’Hugo Boss. D’autres encore n’y verront qu’une énième production Star Wars dans une galaxie d’œuvres déjà très (trop) peuplée. Et ce sont peut-être ces spectateurs-là qui auront la lecture la plus juste d’Andor : ce n’est qu’une œuvre de plus. Mais une œuvre qui apporte un point de vue différent, et c’est pourquoi elle est essentielle dans un univers fictif de moins en moins original.