Décryptage

Après Silo et The Last of Us, à quand une bonne série post-apocalyptique française ?

26 avril 2023
Par Marine Durand
L'adaptation de ”The Last of Us” a été un véritable succès critique et public.
L'adaptation de ”The Last of Us” a été un véritable succès critique et public. ©HBO

De The Last of Us et son champignon colonisateur ayant ravagé l’espèce humaine, à Silo qui imagine une Terre où l’air serait devenu irrespirable, les séries post-apocalyptiques n’ont jamais autant séduit. Mais si le public français plébiscite ces grosses productions américaines, les créations hexagonales se font bien rares dans ce domaine. Une question de budget ? Oui, mais pas seulement.

Le 21 novembre dernier, une page s’est tournée pour The Walking Dead. Après 177 épisodes, 11 saisons et des dizaines de récompenses, le show de zombies d’AMC a pris fin, laissant ses fans orphelins… Au moins jusqu’à la diffusion du spin-off, The Walking Dead : Dead City, annoncé prochainement sur OCS.

La série, adaptée des comics de Robert Kirkman, s’est imposée comme une référence dans l’univers post-apocalyptique en plus d’être un succès planétaire. Elle n’est pas la seule fiction récente à projeter ses personnages dans un futur où une partie de l’humanité a été décimée.

The Walking Dead©OCS - AMC Film Holdings LLC

Dans l’incontournable The Last of Us, c’est une infection par le cordyceps, un champignon parasite, qui est responsable de l’extinction partielle du genre humain. La mini-série Station Eleven, adaptée d’un roman de la Canadienne Emily St. John Mandel et diffusée en octobre dernier sur Syfy, se déroule 20 ans après une épidémie de grippe dévastatrice, mais joue le pas de côté en suivant une troupe de théâtre ambulant qui parcourt les États-Unis pour jouer du Shakespeare.

Quant à Silo, transposition à l’écran d’une trilogie de l’Américain Hugh Howey, qui débarque en mai sur Apple TV+, elle nous emmène dans un immense bunker en sous-sol où sont réfugiés quelques milliers de survivants, tandis qu’en surface, la Terre est devenue toxique.  

Un risque financier important

On pourrait continuer la liste encore longtemps tant le genre attire les showrunners. Aux États-Unis, tout du moins. Car de notre côté de l’Atlantique, hormis le collectif Les Parasites qui signait en 2019 la brillante mini-série L’Effondrement (Canal+), basée sur les thèses de la collapsologie, on dénombre bien peu de productions qui osent se projeter dans un futur où une partie de la civilisation a disparu.

Silo©Apple TV+

Pour Monica Michlin, professeure d’études américaines contemporaines à l’université Paul Valéry de Montpellier, l’explication est d’abord à chercher du côté de la littérature. « La plupart des récits adaptés en séries sont des BD ou romans américains ou anglais, ayant rencontré un vrai succès, avec des prix littéraires, de fortes ventes. Donc le marché est considéré comme acquis par les producteurs américains et les chaînes câblées, ou les plateformes ; les lectrices et lecteurs ayant aimé le roman visionneront la série, et s’y ajouteront des spectateurs et spectatrices venus d’autres univers. » La logique est la même lorsque la série est l’adaptation d’un jeu vidéo à succès, comme The Last of Us, précise l’enseignante. 

L’effondrement©Canal+

À ce risque financier minime s’ajoute la réalité du marché des plateformes américaines, d’après la chercheuse, qui a écrit sur les Formes d(e l)’Apocalypse dans la revue scientifique TV/Séries. L’audience des plateformes américaines est mondiale, « alors que les séries françaises sont moins souvent achetées aux USA ». Le danger de ne pas entrer dans ses frais est donc plus grand lors de la création d’une fiction française. Or, produire une série post-apocalyptique coûte cher.

Là encore, le petit poucet français, sans avoir à rougir, ne peut rivaliser avec les blockbusters américains. À titre d’exemple, chaque épisode de The Last of Us a coûté autour de 10 millions de dollars (un peu plus de 9 millions d’euros), quand le budget de Versailles (Canal +), la série française la plus chère de l’histoire, se montait à 30 millions d’euros pour l’ensemble de la première saison.

Un imaginaire américain

Producteur de films et séries (notamment Dix pour cent) chez Mother Production, Harold Valentin voit aussi dans ce retard français une question d’imaginaire et de géographie. « La France est un pays inséré au sein de l’Europe, les possibilités de s’y cacher sont moindres que sur le territoire américain ou aux confins des pôles. D’ailleurs, notre capacité à inventer des territoires mystérieux est conditionnée par cette géographie. Et on le ressent dans la littérature fantastique française, beaucoup plus psychologique que tournée vers les monstres, avec des auteurs comme Gaston Leroux ou Guy de Maupassant », observe le codirecteur du cursus « Écriture et création de séries » à la Fémis.

Station Eleven©Ian Watson HBO Max

Et puis, au pays de Julie Lescaut ou, plus récemment, d’Engrenages, il n’est pas forcément évident d’imposer une nouvelle culture sérielle. Historiquement, les grands succès en prime time à la télévision sont plutôt « les récits dans lesquels le flic combat des malfrats en ayant des problèmes à la maison », estimait l’an dernier le comédien et scénariste Simon Astier, créateur de la série de science-fiction Visitors (Warner TV), auprès de Numerama. 

« C’est notre tradition française et c’est ce que les gens aimaient voir par millions de millions de pelletées tous les soirs à la télévision. » D’ailleurs, les séries de genre ont peiné à séduire quand elles étaient made in France, en dehors des Revenants, de Fabrice Gobert (Canal+, 2012-2015), sur la crête entre le réel et l’irréel, et unanimement saluée.

Real Humans©SVT1 - Sveriges Television

Ni la série d’horreur Marianne, ni le feuilleton de science-fiction Osmosis, ni La Révolution, un programme mêlant l’histoire et le fantastique, trois productions Netflix France, n’ont été reconduites pour une saison 2. De quoi rendre plus que frileuses les autres plateformes de SVOD.

Bientôt du « post-apo » à la française ?

Les verrous sont encore bien présents. Mais pour Monica Michlin comme pour Harold Valentin, ils ne devraient pas tarder à sauter. « En France, nous vivons aussi une crise environnementale, des pandémies, la crainte de la guerre et du retour du fascisme, etc. Le propre du récit post-apocalyptique est de parler en réalité de notre présent, en ”pré-voyant” ce à quoi le présent, si nous n’agissons pas maintenant, nous mènera », observe la première.

Le second constate un intérêt qui se développe auprès des nouvelles générations, et prévoit un appétit pour ce genre de récits, citant le travail de Julia Ducournau, qui a ouvert une voie encore peu explorée avec l’inclassable Titane, Palme d’or à Cannes il y a deux ans. À la Fémis, les élèves d’Harold Valentin lui ont proposé l’an dernier des projets de séries abordant le genre fantastique.

Les Revenants©Canal+

De son côté, le magazine So Film a misé sur deux appels à projets, « séries action/thriller », mais aussi « série fantastique/anticipation », pour sa première résidence « séries » qui a démarré en janvier. Reste que des zombies tricolores, tout en démarche brinquebalante et silhouette décharnée, ne sont pas près d’arriver sur nos écrans.

Le post-apocalyptique et l’effritement de notre monde, « il y a 36 manières d’en parler » analyse Harold Valentin. « Il faut réinventer ces récits-là, sans nier la culture dont on est issu. » Pour lui, les bases du fantastique à la française se situent davantage du côté de L’Effondrement, série à la portée politique ou du feuilleton britannique Years and Years, que de The Walking Dead.

Years and Years©BBC One - Studiocanal

« Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est comment on construit l’avenir. Quelle sera la place des machines, de la nature, dans le monde de demain ? Comment notre cerveau va-t-il résister aux addictions, aux grands bugs du moment ? », ajoute encore le producteur, qui mentionne la série suédoise Real Humans (2012) et ses robots humains comme un exemple de show de science-fiction réussi… et avec des moyens européens.

20€
25€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par