Critique

Critique de The Last of Us : le jeu méritait-il vraiment une adaptation en série ?

16 janvier 2023
Par Valérie Précigout (Romendil)
La série “The Last of Us” est disponible en France sur Prime Video depuis le 16 janvier.
La série “The Last of Us” est disponible en France sur Prime Video depuis le 16 janvier. ©HBO

The Last of Us a marqué l’histoire du jeu vidéo et le voilà maintenant prêt à bouleverser le monde des séries. Après avoir pu visionner l’ensemble des épisodes, nous allons chercher à déterminer quel est le sens de cette adaptation. Voici notre critique, garantie sans spoiler.

À l’issue d’un insoutenable suspense, on a (enfin) su où et quand la série The Last of Us serait accessible en France. Quelques heures seulement après son lancement sur HBO Max, les abonné·e·s de Prime Video ont finalement appris qu’ils et elles avaient rendez-vous le 16 janvier sur la plateforme d’Amazon pour découvrir l’adaptation de jeu vidéo la plus attendue de l’année. Il faut dire que The Last of Us est un cas véritablement à part dans l’industrie, la création de Naughty Dog étant parvenue à redéfinir les contours du jeu vidéo en termes de narration et d’émotion dès la sortie du premier volet sur PlayStation 3 en 2013.

Bien plus qu’un divertissement calibré selon des objectifs purement ludiques, The Last of Us relate une histoire bouleversante qui a marqué durablement les joueuses et les joueurs avec des personnages trop humains pour accepter de faire passer la raison avant le cœur. Mais alors que Joel et Ellie sont entré·e·s dans la légende, fallait-il vraiment prendre le risque d’écorner l’aura qui entoure le mythe TLoU en cédant à l’exercice périlleux de l’adaptation en série ?

Si les inconditionnel·le·s du jeu vidéo sont sans doute déjà partagé·e·s entre l’angoisse et la curiosité, le grand public peut quant à lui se demander si la série s’adresse aussi à celles et ceux qui sont resté·e·s à l’écart du phénomène durant toutes ces années. Nous vous livrons ici quelques éléments de réponse, garantis sans spoiler.

L’émotion d’abord

Dans la veine des autres productions du studio Naughty Dog (Uncharted), le jeu vidéo The Last of Us doit une bonne partie de son succès à sa dimension narrative remarquable, dans le sens où elle se veut extrêmement cinématographique. Mais partir d’une approche aussi réaliste est loin d’être un avantage dans le cas d’une adaptation en série, qui ne peut légitimer son existence qu’à la condition d’apporter une valeur ajoutée au matériau initial.

Alors comment aller au-delà des raisons pour lesquelles le jeu a tant marqué les esprits quand il ne s’agit plus seulement de tenter d’égaler le caractère émotionnel bouleversant de l’histoire de Joel et Ellie, mais carrément de le dépasser ? Peut-être en faisant accepter aux fans de nouveaux visages, de nouveaux éléments narratifs et même des variations sensibles dans le déroulement du scénario ?

Or, comme on a pu le constater sur les réseaux sociaux, tout le monde n’a pas accueilli avec enthousiasme le choix des acteurs principaux, ce qui peut se comprendre tant il est difficile de se détacher de l’image que l’on a de Joel et d’Ellie. Un duo caractérisé par un lien absolu, que le destin a pourtant réuni par hasard alors que ni l’un ni l’autre n’était préparé·e aux drames à venir. Il faut donc ici faire confiance aux deux cocréateurs de la série, Craig Mazin (Chernobyl) et Neil Druckmann (producteur, scénariste et réalisateur du jeu TLoU), convaincus d’avoir décelé en Pedro Pascal (The Mandalorian) et Bella Ramsey (Lyanna Mormont dans Game of Thrones) cette étincelle qui nous ramènerait aux personnages originaux.

Non, Joel et Ellie ne seront définitivement pas les mêmes dans la série que ce duo ayant affronté tant d’épreuves dans le jeu vidéo, mais qu’importe si l’essentiel est là. Et l’essentiel, c’est précisément l’émotion que l’on s’attend à recevoir de plein fouet tandis que les protagonistes de The Last of Us vont devoir, une fois encore, apprendre à surmonter leur douleur, leur colère et leur désespoir pour tenter de survivre, réunis pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Et s’il valait mieux voir la série sans connaître le jeu vidéo ?

Une anecdote intéressante évoque le fait que les cocréateurs de la série n’ont pas encouragé l’acteur et l’actrice à jouer au jeu vidéo. Ils souhaitaient au contraire que Pedro Pascal et Bella Ramsey découvrent le déroulé des événements au fur et à mesure, histoire de mieux se laisser porter par les bouleversements de l’intrigue. Une démarche qui s’inscrit totalement dans la logique du jeu vidéo, dans lequel c’est la narration qui influe sur le gameplay (mécaniques de jeu) et non l’inverse.

Tout comme les joueuses et les joueurs, Pedro Pascal et Bella Ramsey n’ont donc aucune idée de la cruauté avec laquelle les créateurs de The Last of Us vont les malmener sur le plan psychologique. Dès les premières minutes de la série, et conformément au début de l’aventure vidéoludique, Joel va subir l’impensable.

©HBO Original, Amazon Prime Video

Une tragédie qui le hantera pour le restant de son existence, mettant à mal sa propre humanité et ses valeurs morales pour, à terme, choisir de se dévouer entièrement à la protection de celle qui deviendra progressivement son unique raison d’avancer : Ellie. De son côté, la jeune fille sait que le poids de son secret renferme peut-être le seul espoir de l’humanité de surmonter le mal mystérieux qui est en passe de l’anéantir.

Alors elle s’y accroche comme elle peut pour ne pas craquer malgré les épreuves qu’elle subit, malgré l’apocalypse qui l’entoure et malgré l’horreur à laquelle ressemble désormais le monde extérieur. Ne faire confiance à personne, tuer ou être tuée, avancer coûte que coûte dans l’espoir de mettre fin au cauchemar. Mais rien ne va se passer comme prévu.

Le cordyceps : de la réalité au cauchemar

Le prologue de la série doit nous rappeler un élément fondamental. C’est en visionnant un documentaire de la BBC intitulé Planète Terre que les créateurs du jeu vidéo (Bruce Straley et Neil Druckmann) ont découvert l’existence du cordyceps. Ce champignon tueur bien réel parasite le corps des fourmis pour s’infiltrer dans leur cerveau et infecter ses hôtes, ce qui a pour effet de les désorienter complètement. Comble de l’horreur, les racines du champignon finissent par sortir de leur crâne, explosant en libérant des spores mortelles qui se propagent ensuite comme un virus pour décimer toute la colonie.

Dans The Last of Us, cette abomination mute pour s’attaquer aussi aux êtres humains, le cordyceps décimant plus de la moitié de la population ! Tout individu infecté devient bien plus qu’un simple zombie rongé d’agressivité, il est physiquement défiguré par le champignon qui se décline à travers une galerie des horreurs insensée.

©HBO Original, Amazon Prime Video

Si la série fait le choix de réduire au maximum l’apparition des infectés pour mieux doser ses effets, le jeu nous a appris à bien les connaître. Premier stade de l’infection, les Coureurs sont les seuls à conserver une apparence encore à peu près humaine et se ruent sur leur cible dès qu’ils la détectent. Déjà partiellement dévorés par le cordyceps qui leur ravage le visage, les Rôdeurs sont à moitié aveugles et repèrent leurs victimes à distance grâce à des capacités d’écholocalisation très développées.

Privés de toute trace d’humanité, les Claqueurs sont reconnaissables à ces excroissances qui remplacent totalement leur tête et à leur extrême dangerosité. Enfin, les Colosses incarnent le quatrième stade d’évolution de l’infection qui affecte intégralement le corps des individus en le recouvrant de plaques fongiques pour le rendre incroyablement résistant. Afin de traduire l’effroi qu’inspire ce « bestiaire » unique en son genre, la série opte pour une raréfaction des scènes impliquant les infectés.

©HBO Original, Amazon Prime Video

Comme ils l’avaient déjà indiqué en amont, les cocréateurs ont bien compris que le dosage d’action et de violence devait être reconsidéré à la lumière de cette adaptation, car son impact n’a pas le même sens dans le cadre d’un jeu vidéo et dans celui d’un média passif comme une série. C’est la raison pour laquelle il a été décidé dès le départ de supprimer toute la violence qui n’était pas essentielle afin que celle-ci ait encore plus de force sur le plan émotionnel.

Tout est donc affaire d’angoisse et de tension face à une menace qui nous échappe et qui dépasse le caractère rationnel des personnages, obligés de puiser ailleurs les ressources qui leur permettront de survivre, quitte à changer eux-mêmes drastiquement. L’évolution de Joel et Ellie constitue l’un des aspects les plus délicats que tente de s’approprier la série et elle y parvient plutôt très bien.

Des ajouts salvateurs ou superflus ?

Parmi les arguments légitimant une adaptation du jeu en série, il y a évidemment la question des ajouts narratifs visant à approfondir encore davantage le background des personnages. Cela se traduit notamment par l’intégration de scènes supplémentaires et de nouveaux dialogues visant à offrir une interprétation parfois légèrement différente de l’histoire originale. La série peut surtout s’accorder le temps nécessaire pour fouiller le passé de ses personnages secondaires afin de s’assurer que l’on s’attache vraiment à eux.

Car ce n’est plus seulement l’histoire de Joel et Ellie, c’est aussi celle de toutes celles et ceux qui, à un moment ou un autre, ont été amenés à croiser leur route. Tout est affaire d’émotion : accepter de plonger dans ces histoires annexes est indispensable pour s’imprégner de la détresse qui ronge une humanité ne sachant plus si elle doit ou non s’accrocher à la vie. Les cocréateurs avaient également évoqué l’apparition d’individus totalement inédits.

©HBO Original, Amazon Prime Video

Ces derniers ont été ajoutés spécialement pour la série dans le but d’accentuer encore un peu plus la dérive de l’humanité lorsqu’elle est confrontée à l’apocalypse et à sa propre survie. Car ce ne sont finalement pas les infectés qui sont le plus à craindre dans l’univers de The Last of Us. L’homme est un loup pour l’homme et Joel en a eu la preuve dès les premières minutes de cette tragédie. La série a donc largement de quoi surprendre au-delà des moments les plus marquants du jeu d’origine. Pas question en tout cas de modifier les scènes qui ont le plus bouleversé les joueuses et les joueurs et qui continuent de les hanter depuis déjà dix ans.

L’intérêt de cette adaptation est surtout de présenter des points de vue extérieurs à ceux de Joel et Ellie, en prenant garde à ne pas s’y attarder plus que nécessaire. La série apparaît donc à la fois comme un complément utile au jeu et comme une porte d’entrée autonome au monde de The Last of Us pour les novices. L’interprétation des acteurs principaux traduit d’ailleurs avec justesse l’évolution de la relation ambivalente qui caractérise le duo, mais c’est bien lorsqu’on les voit interagir avec d’autres personnages que toute la complexité de leur caractère émerge.

Une question d’ambiance et d’immersion

Si le meilleur moyen d’entrer dans un univers est de se laisser porter par son atmosphère sonore et musicale, le fait de savoir que l’on retrouve Gustavo Santaolalla (déjà compositeur du jeu) derrière la bande originale de la série a tout pour nous rassurer. Proposée aussi bien en VO qu’en VF sur Prime Video, la série s’approprie l’ambiance du jeu d’origine en ponctuant parfois les moments clés de quelques accords de guitare sèche.

Et, tout comme son modèle vidéoludique, elle n’oublie pas non plus de s’appuyer sur l’alternance bienvenue entre les scènes d’action très rythmées et les respirations plus calmes, quasiment contemplatives. Rien n’a été oublié, ni ces gracieuses preuves de vie qui déambulent au milieu du chaos, ni la tension qui monte crescendo jusqu’au final tant redouté. Alors, qui de la série ou du jeu vidéo remporte la palme de l’immersion et de l’émotion ? C’est maintenant à vous de vous faire votre propre opinion sur la question.

À lire aussi

Article rédigé par