
Depuis les années 1960, les adaptations sur grand écran de la bande dessinée Astérix ont connu des hauts et des bas. À l’occasion de l’arrivée du Combat des chefs sur Netflix, faisons le point sur cette histoire mouvementée.
En 1967, le réalisateur Ray Goossens est mandaté par les éditions Dargaud pour réaliser un dessin animé basé sur la licence Astérix, au sein du prestigieux studio Belvision, déjà chargé des adaptations animées de Tintin. Initialement pensée comme une série télévisée, l’adaptation de Goossens utilise des procédés novateurs comme l’animographe, supposés permettre de réduire les coûts de production.
Le résultat, au rendu proche de la limited animation, peine à convaincre les auteurs de la bande dessinée. René Goscinny et Albert Uderzo, tenus à l’écart du projet et n’étant pas alors propriétaires de leurs personnages, découvrent le film alors qu’il est déjà terminé. Horrifiés par le résultat, ils exigent et obtiennent la destruction de deux autres films de ce qui devait initialement être une trilogie. L’histoire d’Astérix au cinéma commence mal, d’autant que le film est un succès, mais pas le triomphe attendu, avec « seulement » deux millions d’entrées, un box-office relativement modeste pour une telle licence à une époque de fréquentation extrêmement élevée des cinémas.
Des adaptations chaotiques
Dès lors, c’est un parcours en forme de montagnes russes qui s’engage pour le village d’irréductibles Gaulois, avec près d’une vingtaine de productions en six décennies, pour le meilleur et pour le pire. Pendant longtemps, si on excepte quelques curiosités télévisuelles en prise de vue réelles, ce seront surtout des adaptations animées de qualité extrêmement variables. Directement pris en main par Goscinny et Uderzo, Asterix et Cléopâtre (1968) est par exemple considéré comme bien meilleur que son prédécesseur, et attire presque quatre millions de personnes en salle. Le résultat ne satisfait toujours pas vraiment les auteurs, mais le film devient culte, notamment grâce à la qualité indéniable de ses gags et de ses chansons.
Le premier projet qui trouvera grâce à leurs yeux est l’herculéen Les douze travaux d’Astérix en 1976 : ce long-métrage extrêmement ambitieux, produit pendant plus de cinq ans, constitue la première histoire entièrement originale d’Astérix à l’écran, et certaines de ses séquences sont restées cultes plus de 50 ans plus tard. Immense succès populaire, le film est aujourd’hui l’un des plus rediffusés de l’histoire de la télévision française, avec plus de 50 passages à la télévision, généralement pendant les fêtes de fin d’année.

Mais Astérix, c’est aussi une série de dessins animés ultérieurs dont la production se déroule plutôt mal et qui sont accueillis de manière de plus en plus tiède. Astérix et la surprise de César (1985) peine à convaincre la critique, Astérix chez les Bretons (1986) a du mal à se monter et attire moins de deux millions de spectateurs, et Astérix et le coup du menhir voit son scénario confus et sa réalisation en demi-teinte être sanctionnés d’un lourd échec en France. Il n’est sauvé du naufrage que par sa coproduction avec l’Allemagne de l’Ouest, où le film sera un succès de Noël.
En 1994, c’est une société allemande qui s’occupe d’ailleurs du portage à l’écran d’Astérix et les Indiens, fréquemment considéré comme le plus faible et le moins drôle de tous les dessins animés de la licence. Et cette fois-ci, pas de miracle : le film fait un flop dans le monde entier, sera vivement critiqué par les ayants droits de Goscinny et signera pour longtemps la fin des adaptations animées de la saga (à l’exception d’un anecdotique Astérix et les Vikings en 2006, qui sera lui aussi un échec).
Du miracle Chabat à la catastrophe olympique
C’est par le film en prise de vue réelle qu’Astérix va revenir sur le devant de la scène, avec Astérix et Obélix contre César en 1999. Si le long-métrage de Claude Berri mettant en vedette Christian Clavier et Gérard Depardieu est généralement considéré un quart de siècle plus tard comme un navet, il a à l’époque fait sensation. Notamment pour des histoires de gros sous davantage que pour son scénario : monté par plusieurs sociétés de production pendant près de dix ans, le blockbuster atomise tous les budgets records pour un film français, avec plus de 40 millions d’euros au compteur, ce qui reste encore monumental en 2025. L’avalanche d’acteurs célèbres impliqués, le coût exorbitant des droits, la distribution internationale et les mois de tournage seront cependant compensés par le fait qu’il s’agit d’un des films français les plus vus de tous les temps, avec 25 millions de spectateurs en salle dans le monde entier.
Bien que peu convaincus par le résultat à l’écran, les ayants droits font néanmoins confiance à Claude Berri pour réitérer ce miracle économique. Ce dernier confie alors les droits du prochain film à Alain Chabat, qui commence alors à se faire un nom en dehors de sa troupe de comiques des Nuls (il vient de remporter un César pour Didier). Berri lui donne carte blanche et un budget pharaonique. Le résultat est le fameux Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, qui engrange en 2002 14 millions d’entrées en France en quelques semaines et double presque la mise à l’international. Le film reprend davantage l’univers absurde et référentiel des Nuls qu’il ne crée une aventure Astérix à part entière (il peinera ainsi à convaincre Uderzo, peu client de ce registre humoristique), il est un triomphe critique et commercial. Qui parvient d’ailleurs à effacer la réception très tiède du film de Berri par la presse cinéma.
La suite sera beaucoup moins reluisante : le troisième film en prises de vue réelle est un cauchemar à monter, en raison de très fortes divergences entre Uderzo et les producteurs. L’écriture du script repart à zéro plusieurs fois, le scénario est réécrit par différents auteurs et les parties ne s’entendent même pas sur l’album à adapter. Le tournage, le montage et la postproduction sont un enfer.
Le résultat, plombé par un budget de près de 80 millions d’euros, est le calamiteux Astérix aux Jeux olympiques de 2008 qui reçoit, de très loin, le plus mauvais accueil critique de toutes les adaptations des aventures d’Astérix à l’écran. Au point d’en devenir culte, dans le mauvais sens du terme. Le film s’écroule rapidement au box-office et il lui manque plus de trois millions de spectateurs pour rembourser son budget.
Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté connaît le même sort en 2012, même s’il reçoit des critiques moins dures. Quant au triste Astérix et Obélix : l’empire du Milieu de Guillaume Canet, sorti il y a moins de deux ans, il est possible que vous ayez oublié jusqu’à son existence, tant il a été boudé par le public français.
Le retour d’une cash machine
Pourtant, plus de 20 ans après le succès du film de Chabat qui semblait appelé à ne jamais se renouveler, les adaptations de la BD semblent se porter au mieux grâce au grand retour des dessins animés, qui tentent de renouer avec une dynamique créative originale et inventive, notamment en mélangeant des gags venus des albums à l’univers d’un auteur comique en vogue.
C’est donc logiquement Alexandre Astier, alors en pleine hype grâce au succès de Kaamelott, qui est choisi en 2010 pour coécrire Astérix : le domaine des dieux, qui sort en avril 2014 et connaît un gros succès au box-office. Pour la première fois depuis longtemps, une adaptation de la licence connaît un gros succès à l’étranger, en particulier parce qu’il repose assez peu sur des références franco-françaises, mais aussi grâce à son animation 3D soignée et une esthétique assez proche des albums originaux.

Le succès du Domaine des dieux va de massivement convaincre qu’il est possible, avec un budget relativement modeste de 30 millions d’euros, de connaître un succès au box-office mondial avec un long-métrage mettant en scène le village gaulois. En 2018, une suite est donnée au film, toujours écrite par Alexandre Astier et Louis Clichy, qui signent ici une histoire complètement originale – une première depuis 1976. La critique est unanime : Astérix : le secret de la potion magique est l’un des meilleurs films de la licence. Avec près de huit millions d’entrées dans le monde (dont la majorité hors de France), il signe le retour en grâce définitif des buveurs de potion magique dans le club des licences qui comptent au niveau mondial.
C’est donc sans surprise que le géant de la SVOD Netflix a sélectionné le projet d’adaptation suivant : Astérix et Obélix : le combat des chefs, une minisérie en cinq épisodes diffusée à partir du 30 avril et réalisée au sein du studtio toulousain TAT par… Un certain Alain Chabat, l’homme qui a réussi à amener plus de 20 millions de personnes à suivre les aventures d’Astérix et Obélix à l’écran.
Alors, on garde quoi ?
Alors, si on souhaite se mettre à jour avant la série de Chabat et effectuer une petite rétrospective télé, que garde-t-on dans ces très nombreux projets Astérix ? Il faut hélas noter que la majorité a eu du mal à passer à la postérité, qu’ils aient été couronnés de succès ou non à l’époque. Sur les films en prise de vue réelle, Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, malgré un humour assez ancré dans la pop culture française de 2002, est resté culte. Le très innocent Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté pourra, lui aussi, amuser les enfants avec son humour très axé sur des chutes, des glissades et des accents étranges.
C’est sans doute du côté de l’animation qu’on sauvera davantage de projets : l’humour et les chansons d’Asterix et Cléopâtre font encore mouche, Les douze travaux d’Astérix en 1976 a vu certaines de ses expressions entrer dans le langage courant, et les films d’Astier sont des longs-métrages d’animation tout à fait solides et drôles, qui mélangent savamment l’humour de l’auteur de Kaamelott à celui de Goscinny.
À n’en pas douter, la série de Chabat devrait s’inscrire dans cette dynamique et rejoindre le club très fermé des adaptations réussies et mémorables de la bande dessinée française la plus vendue de tous les temps. Réponse définitive le 30 avril, donc !