Décryptage

Astérix : pourquoi les films d’animation d’Alexandre Astier sont-ils les meilleurs ?

07 février 2024
Par Robin Negre
Astérix et Obélix version 3D.
Astérix et Obélix version 3D. ©SND

À l’occasion des 65 ans de l’irréductible héros, mais aussi de la ressortie en salle des deux films d’animation réalisés par Alexandre Astier et Louis Clichy, L’Éclaireur s’intéresse aux plus célèbres Gaulois vus par le prisme de l’animation 3D avec un constat simple : Astérix et Obélix fonctionnent toujours mieux au cinéma quand ils sont animés.

En 2010, les amateurs de bandes dessinées, et en particulier d’Astérix commencent à trembler. Pour la première fois, le héros le plus emblématique de la culture française va avoir droit à une adaptation cinématographique en animation 3D, créant une rupture avec la 2D habituelle ou les itérations live. L’image se dessine alors presque d’elle-même, celle d’un Astérix mal modélisé, dans une 3D grossière et déjà datée, qui ne serait pas au niveau des standards établis par les mastodontes américains Disney, Pixar ou DreamWorks.

Heureusement, l’équipe en charge du projet réunit de talentueux animateurs et les deux réalisateurs à la tête du film ont la véritable ambition de rendre hommage à Astérix, tout en le modernisant. D’un côté, un ancien animateur Pixar, Louis Clichy et de l’autre, un scénariste singulier, Alexandre Astier, créateur de Kaamelott.

La bande-annonce d’Astérix – Le Domaine des dieux.

Quand Astérix – Le Domaine des dieux sort sur grand écran en 2014, le résultat est largement à la hauteur des attentes et montre que les adaptations cinématographiques du héros créé par René Goscinny et Albert Uderzo peuvent enrichir le mythe et coexister avec la BD.

Renouer avec l’animation

Astérix au cinéma n’a rien d’un long fleuve tranquille. Entre les premiers films d’animation, sympathiques, mais légèrement fauchés – excepté probablement Les Douze Travaux d’Astérix (1976) –, et les différentes adaptions live plus ou moins ratées (surtout ratées), le personnage a, semble-t-il, du mal à avoir la même portée en dehors des cases de BD. Il faut dire que le poids de l’héritage est énorme.

Astérix est une icône française, trop importante pour être maltraitée et trop importante pour être laissée tranquille. Quand l’idée d’un nouveau film d’animation émerge, l’envie est de renouer avec l’esprit emblématique de la bande dessinée, tout en permettant une forme d’expérimentation, grâce à la 3D et à la direction artistique choisie.

Astérix – Le Domaine des dieux.©SND

Astérix – Le Domaine des dieux adapte l’un des albums préférés d’Alexandre Astier, dans lequel les Gaulois sont confrontés à leur ego, leur cupidité et leur luxure. En créant un contexte visant à détruire le mode de vie classique des habitants – et les intégrer à cette Gaule romaine moderne –, le plan de César est d’une rare malice et offre un propos éminemment politique tout en étant particulièrement drôle.

C’est la force première des films de Clichy et d’Astier : ne pas se contenter de rire, mais convoquer tout l’aspect émotionnel possible pour faire craindre la véritable disparition des irréductibles. C’est la tension et l’émotion qui intéressent le scénariste. Sans frémir pour la victoire, sans mériter le banquet final, il n’y a pas d’intérêt à faire un film selon lui.

La bande-annonce d’Astérix – Le Secret de la potion magique.

Cette idée, Alexandre Astier la pousse à son paroxysme avec le second film, Astérix – Le Secret de la potion magique (2018), dans lequel Panoramix se blesse et réalise qu’il n’est pas immortel. Il lui faut un successeur afin de transmettre le secret de la potion magique et permettre au village de lutter encore et toujours contre l’envahisseur, même sans lui.

Pour la première fois, une histoire d’Astérix touche du doigt la fin possible de ses aventures et questionne le temps qui passe et la mort. C’est particulièrement ambitieux de la part d’Alexandre Astier, qui voulait impérativement écrire une histoire originale, sans adapter un album connu. Le film s’inspire de certaines BD et utilise des références déjà vues ailleurs, mais invente un antagoniste inédit, Sulfurix, et pose avec émotion un propos sur l’harmonie, le passage du temps et la nature.

Astérix – Le Secret de la potion magique.©SND

Astérix en animation, à travers ces deux films, parvient à rester au plus près de l’univers dépeint par René Goscinny et Albert Uderzo, tout en s’offrant la possibilité d’aborder des thématiques actuelles et nouvelles.

C’est surtout la confirmation d’un élément clé : Astérix est un personnage « cartoonesque ». Il répond à des exigences visuelles que seul le dessin – dans le sens le plus large du terme – est capable de reproduire. Astérix en live action, en dépit de la qualité intrinsèque des films, reste perpétuellement une « parodie », plus ou moins bonne, de ce que représente la création de René Goscinny et Albert Uderzo.

La dramaturgie et les conflits sont présents dans les deux films.©SND

Les acteurs ne peuvent jamais disparaître complètement derrière le costume, ils ne sont que des comédiens grimés, essayant de ressembler à des héros de BD. C’est une cour de récréation, une blague plus ou moins réussie. En renouant avec l’animation, les personnages existent à nouveau et l’aspect le plus émotionnel d’Astérix peut ressortir.

L’insurmontable enjeu : Obélix et la potion magique

La série d’albums Astérix a touché différentes thématiques tout au long de son existence. C’est à la fois la vie d’un village de fous totalement dysfonctionnel, la découverte d’un pays occupé et de ses différentes régions, la tentative désespérée de conserver son identité face à l’envahisseur ou encore l’appel de l’aventure et du voyage à travers le monde.

Astérix, c’est aussi l’affrontement entre les Gaulois et les Romains, alors que toute la Gaule est occupée. Mais, derrière ce postulat intervient l’élément imbattable : la potion magique du druide Panoramix. Avec celle-ci, les villageois sont invincibles. Rien ne les blesse et aucune armée ne peut en venir à bout. En ce sens, il est difficile de croire en une quelconque défaite des protagonistes, par la force, et ça, René Goscinny et Albert Uderzo ou Alexandre Astier et Louis Clichy l’ont très bien compris. Pour créer des enjeux plus effrayants, il faut se débarrasser du druide, de la potion magique et d’Obélix, arme secrète indestructible.

« Ah, ça va pas être la même limonade là ! »©SND

Les deux films d’animation traitent cette idée. Dans Le Domaine des dieux, Obélix est immobilisé et dans Le Secret de la potion magique, tout tourne autour du mystérieux breuvage. Cet élément narratif parvient enfin à enrichir les films d’une dramaturgie et d’un troisième acte satisfaisant.

Car les coréalisateurs, même en poussant le curseur le plus loin possible, n’oublient jamais que chaque histoire doit se terminer par un banquet final. Le moment de la résolution narrative, après être passé au plus proche de la destruction, a ainsi cette satisfaction cinématographique émouvante, accentuant encore une fois l’importance de l’émotion et de l’authenticité.

Astérix – Le Domaine des dieux et Astérix – Le Secret de la potion magique sont les deux meilleures adaptations d’Astérix.

Tout en relevant le défi de la 3D – avec une excellente animation –, les films n’oublient pas que le personnage fonctionne avant tout quand il existe pour lui-même et par lui-même, sans se regarder à travers le poids de l’héritage ou en se dissimulant derrière un comédien. C’est à la fois l’application simple de la formule de René Goscinny et Albert Uderzo, l’incorporation d’une touche de modernité et d’un propos personnel, et un subtil dosage entre l’humour et l’émotion pour que l’un ne prenne jamais le dessus sur l’autre.

C’est peut-être ça, finalement, le vrai secret de la potion magique.

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