Le maître du polar est de retour avec La Faille ; un roman dans lequel ses personnages préférés, Sharko et Lucie, rencontrent la mort, les expériences de mort imminente, et tout un tas de situations mystérieuses et passionnantes. On a rencontré l’auteur à l’occasion de sa séance de dédicace à la Fnac Montparnasse.
Vous êtes le plus gros vendeur de polars en France. Quels sont vos secrets de fabrication ?
Il faut que je vous dise tout alors ? Attention, mes concurrents vont écouter [rires]. Un bon polar, c’est avant tout une histoire forte qui va pousser le lecteur à tourner les pages. Pour ce faire, différents ingrédients sont nécessaires. En tant que lecteur et auteur, j’aime entrer directement dans l’enquête. Il faut donc une scène d’ouverture très forte, qui va soulever de nombreuses questions.
Il nous faut donc une bonne histoire, une bonne enquête et de bons personnages. Le héros doit être particulièrement fort pour porter le livre. Il doit nous donner envie de le suivre dans cette aventure. J’aime quand mes protagonistes ont des failles, des passés torturés ou assez lourds, avec des zones d’ombre que je vais pouvoir éclaircir dans le roman. Pour le reste, il n’y a pas de secret. Les chapitres doivent être entraînants, avec beaucoup d’actions et de rebondissements. Il doit toujours se passer quelque chose, que ce soit au niveau de l’enquête ou des personnages.
Vos romans sont toujours très réalistes. Quel est votre processus d’écriture ? Vous documentez-vous sur Internet, ou préférez-vous vous rendre sur le terrain, auprès de flics et de psys ?
Cette phase préparatoire fait partie intégrante de l’écriture du livre et de ma manière de travailler. Elle me permet de constituer les fondations de l’histoire que je vais raconter. J’accumule de la documentation littéraire ou scientifique, puis j’assimile toutes les informations pour les comprendre et les retranscrire de manière simple dans mon livre. Je les vulgarise avec des mots simples, pour expliquer toutes ces notions qui sont parfois compliquées.
Une enquête policière est aussi constituée de toute une série de procédures, d’intervenants, de phases, et de beaucoup de métiers qui se mélangent. J’ai développé toutes ces connaissances au fil des années. Quand j’écris un livre, je ne me dis pas : “Tiens, je vais aller passer 15 jours à la brigade criminelle”, car je côtoie déjà ces personnes depuis longtemps. Je vois ces flics trois ou quatre fois par an, mais je connais leur quotidien. En revanche, je les contacte quand j’ai des questions plus précises, sur des petits détails.
Olivier Norek, qui écrit aussi des polars, nous avait confié qu’il comprenait très bien le métier, car il était lui-même flic. Peut-on écrire des enquêtes réalistes quand on ne connaît pas ce milieu de l’intérieur ?
Je connais vraiment les éléments importants et les différentes phases d’une enquête. Après, les policiers restent des êtres humains. Quand je mange avec eux, ils me parlent de leurs affaires en cours et je leur pose plein de questions qui touchent à l’intime. Je leur demande si ça leur fait encore quelque chose de découvrir un corps après dix ans de métier, ce qu’ils ressentent…
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Dans mes polars, toutes ces informations sont plus importantes que les procédures pures. Je mets rarement la partie judiciaire et toute la paperasse en avant, car je préfère rester avec ce qui me semble le plus intéressant : l’enquête, les policiers et leur humanité.
Dans la vingtaine de romans que vous avez écrits, vous avez abordé de nombreuses thématiques comme la schizophrénie, l’amnésie, la pandémie, ou encore les rêves. Qu’est-ce qui vous intéresse dans tous ces sujets si sombres ?
Ils ne sont pas sombres à la base ; c’est moi qui leur donne cette teinte [rires]. Le point commun à tous ces sujets, c’est la science. J’aime essayer de comprendre le fonctionnement de l’être humain. J’ai fait des études scientifiques et j’ai toujours eu cette curiosité.
Du coup, je ne traite que des thématiques qui m’intéressent. Par exemple, celle de la mémoire revient beaucoup dans mes romans. C’est fascinant de se demander comment elle fonctionne, comment elle peut sélectionner ou effacer certains souvenirs…
Les sujets auxquels je m’intéresse nous concerne tous et touchent de nombreux domaines. Je parle aussi des virus et de la mort, qui peuvent être traités d’une manière sociétale, historique, ou encore artistique. Les pistes de réflexion sont nombreuses. Mes livres sont avant tout des enquêtes policières qui permettent de s’intéresser à des sujets de société actuels.
Parmi toutes ces thématiques, laquelle vous passionne le plus ?
La mémoire ! J’en parle dans plusieurs de mes livres, c’est une thématique très romanesque. Un personnage complètement amnésique qui a oublié une partie de sa vie, c’est fascinant. Finalement, les héros de thriller sont des gens ordinaires qui vivent des situations extraordinaires.
Le sujet de la mémoire est donc très porteur, mais il faut réussir à le renouveler. Il a déjà été traité de nombreuses fois dans les romans policiers, donc il faut l’aborder d’une manière originale, avec son propre univers et ses personnages – et je pense que c’est la partie la plus difficile.
Avec La Faille, vous vous attaquez justement à une sacrée thématique : la mort. Comment réinventer un sujet comme celui-là ?
Il y a effectivement plein de polars et de livres qui ont déjà abordé la question des expériences de mort imminente (EMI). Cependant, la plupart des auteurs ne se concentrent que sur ce sujet ; ils parlent de tunnel et de toutes ces choses qu’on connaît déjà. Dans La Faille, ça ne concerne que dix pages. Je traite la thématique de la mort à travers d’autres dimensions pour avoir une idée globale.
Je parle donc de ces EMI, mais j’essaie aussi de comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau au moment exact de la mort, comment on peut revenir en arrière grâce à la réanimation… Je base mes recherches sur des données très récentes et je reviens aussi sur des sujets éthiques et actuels, comme les questions sur la fin de vie. Ce roman est donc unique et très contemporain.
Avez-vous déjà vécu une expérience de mort imminente ?
Non, mais j’ai lu beaucoup d’articles, écouté des témoignages et vu des reportages. En réalité, ce sujet m’intéresse depuis très longtemps. Je traîne cette thématique depuis des années et j’aime bien me dire que la science n’apporte pas de réponse à toutes les questions qu’on se pose.
Les EMI divisent et entretiennent ce mystère : d’un côté, les scientifiques trouvent des explications rationnelles, et de l’autre, des témoins peuvent rétorquer : “Comment j’ai pu voir le chirurgien en train de prendre sa pince dans son tiroir alors que j’étais allongé sur un lit, dans une salle d’opération et anesthésié jusqu’au dernier degré ?”
Le livre marque aussi le grand retour de Sharko et Lucie Hennebelle. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce duo ? A-t-il une place particulière dans votre vie ?
En général, je les mets en avant un livre sur deux. J’alterne pour laisser la place à d’autres personnages, mais ces deux-là tiennent évidemment une place importante dans ma vie, puisqu’ils représentent à peu près la moitié de mes romans. Je les connais bien, ils appartiennent à mon univers et je dirais même qu’ils font partie de moi. J’aime bien écrire des histoires avec eux, mais je n’en suis pas prisonnier pour autant.
Ressentez-vous parfois le besoin de faire une pause avec eux ?
J’ai besoin de respirer, et eux aussi. Ce serait très pesant d’écrire toujours avec eux, car ils vivent énormément de choses. Quand je sors d’un livre comme La Faille, j’aime réfléchir à une nouvelle histoire. Si je repars sans cesse avec les mêmes, je risque de m’essouffler. Je suis très heureux de les retrouver à chaque fois, mais la difficulté est de leur donner du grain à moudre, comme on dit, et pas seulement à travers l’enquête.
Ils ne font pas que résoudre des crimes, ils traversent aussi tout un tas d’émotions. L’histoire qu’ils vont vivre dans le livre doit les transformer. J’aurais pu le dire tout à l’heure, mais un bon polar, c’est un polar qui transforme les héros. Il faut toujours se renouveler, et ce n’est pas évident avec des personnages récurrents.
Ces histoires sombres vous transforment-elles aussi, en tant qu’auteur et être humain ? Empiètent-elles sur votre vie privée ?
Je découvre en effet des choses terribles et terrifiantes sur notre société et les personnes qui nous entourent. Certains disent que mes histoires sont horribles et délirantes, mais elles sont vraies. Il suffit de regarder les faits divers pour constater que la réalité est parfois pire que la fiction. Ça me rassure en tant qu’auteur, car je me dis que mes intrigues sont réalistes, mais ça me terrifie en tant qu’humain.
J’essaye de mettre une distance avec toutes mes recherches et mes découvertes, mais je dois avouer que ça me touche. Ça me travaille parfois la nuit, parce que la barrière de la conscience s’efface. Il m’arrive de faire des transferts, et de me dire que toutes ces situations pourraient arriver à mes proches.
Mais globalement, je parviens à maintenir cette distance “médicale” entre ce que je découvre et ce que je suis. Ça me permet de rester objectif par rapport à ce que j’écris. La subjectivité, je la mets dans mes personnages et leurs émotions. Quand un de mes héros découvre un corps, je suis obligé de me demander ce qu’il ressent et ce qu’il pense.
Il y a toujours des choses difficiles à écrire dans les romans, et dans La Faille en particulier, parce qu’il est lié à la fin de vie. C’est compliqué de se mettre à la place des parents ou du mari qui voit son proche allongé dans un lit et qui doit prendre une décision pour lui.
Vous l’avez dit : La Faille s’intéresse à la mort. Quel est votre avis sur la question ? Préférez-vous les réponses scientifiques ou mystérieuses ?
Je pense que c’est bien de s’intéresser à cette part de mystère inexplicable. J’ai tendance à croire à tout ce qui est un peu paranormal. Je ne parle pas de tous ces trucs de Ghostbusters, mais on a tous déjà été témoins de phénomènes étranges. J’ai déjà vécu des expériences personnelles où je me suis dit : “Là, il se passe quelque chose”, comme quand j’entends un jouet se déclencher tout seul dans la nuit.
Après, je côtoie depuis quelques années des médecins légistes et des policiers, et j’ai déjà vu des cadavres. Quand on assiste à ce genre de scène, on se dit que tout s’éteint et que le cerveau s’arrête au moment de la mort, tout simplement. Pour répondre à votre question, je suis un peu entre les deux. Je préfère rester entre la science et le mystère, et on verra une fois que ça arrivera.