Entretien

Mahaut Drama : “Ne perdons pas notre humanité !”

04 mars 2025
Par Samuel Leveque
Mahaut Drama.
Mahaut Drama. ©Fifou

À 30 ans, l’humoriste Mahaut Drama sort un récit autobiographique. L’occasion de faire le point sur sa vie et sur ses combats, à quelque jours de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes.

Humoriste engagée ayant acquis une notoriété certaine à la radio et à la télévision avec ses chroniques féministes et son sens du spectacle, Mahaut Drama triomphe aussi dans le milieu du stand-up depuis près de dix ans. Alors qu’elle fête ses 30 ans, elle sort le 20 mars prochain Que jeunesse se passe, un récit autobiographique sensible et intime. À l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars, l’artiste hyperactive et touche-à-tout a accepté de répondre à nos questions.

Couverture du livre de Mahaut Drama, Que jeunesse se passe.©Robert Laffont

Après le dessin, le stand-up, le journalisme, la radio et le podcast, vous vous lancez dans l’exercice du roman autobiographique. Comment avez-vous appréhendé ce passage à un nouveau format ? Était-ce difficile de changer de registre pour se lancer dans un long texte introspectif comme celui-ci ?

Merci pour cette question et j’ai peur de répondre à côté. Comme je suis plus dans l’action que dans la réflexion, comme je n’intellectualise pas 1000 ans, je n’ai pas réfléchi à appréhender un long format. Je l’ai juste fait. J’ai toujours voulu écrire un livre, depuis que j’ai 17 ans. C’était assez naturel de me lancer dans cette aventure. La seule chose difficile, avec ma personnalité, est le rapport au temps long. Accepter que le chemin d’écriture dure plusieurs mois. Un an et demi dans ce cas précis.

J’étais parfois impatiente, j’aurais voulu claquer des doigts et que les pages soient écrites pour que ce soit déjà fini. Et en même temps, pour une fois, j’ai dû me discipliner autour d’un projet, longtemps. En tournée, dans des cafés, dans des trains, cette rédaction est devenue mon endroit.

Une des choses frappantes dans votre récit, c’est le rapport aux mensonges et aux non-dits, qui sont très présents dans votre parcours familial (votre mère qui fait semblant de ne pas entendre certaines informations, les non-dits au sein de la famille). Alors, est-ce que pour être une bonne humoriste, il faut savoir un peu jouer avec la vérité ?

L’humoriste se base à 95 % sur la réalité, les 5 % restants sont une exagération de ce qui lui est arrivé. Un prolongement de la vérité pour que la farce saute aux yeux. Alors, on joue, mais avec les mêmes éléments que les autres : le réel, puis avec des outils comme l’absurde et le rire.

Chronique de Mahaut Drama.

On vous connait pour votre côté cash et vos valeurs féministes, mais le roman aborde aussi des questions très intimes liées aux violences sexistes et sexuelles. Idem pour la grossophobie, qui apparaît ensuite dans votre parcours et devient un thème récurrent. Était-ce difficile d’en parler longuement et de manière analytique, ou au contraire une nécessité qui s’est imposée naturellement ?

Ce qui est étonnant, c’est que certes je parle de choses très intimes, mais je ne suis pas rentrée dans une analyse psycho profonde : d’ailleurs, je ne porte pas de jugement sur ce qui m’arrive dans le roman, je laisse au lecteur le choix d’en faire un ou non. C’est presque comme si je n’avais pas d’opinion sur mon passé, c’est juste là. Peut-être cette distance est-elle la preuve que je suis encore spectatrice de ce qui m’est arrivé : je le sais, je le raconte, mais je ne ressens rien.

Quant à l’agression dans l’enfance, elle est fondamentale dans ma construction amoureuse, physique et mentale, alors c’était libérateur de la raconter. Devenue adulte, quand je l’évoquais dans ma famille au sens large, les gens semblaient le découvrir, maintenant, ils ne pourront plus l’ignorer.

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La grossophobie aussi, elle a toujours été là, ça me fait du bien que les gens prennent conscience de ce qui m’est arrivé. Des difficultés que j’ai surmontées. Je ne sais pas pourquoi ça me libère, il faudrait que je me renseigne. Que j’aille enfin voir un psy ?

À ce propos, qu’auriez-vous envie de dire à une adolescente ou à une jeune jemme de 2025, à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes ?

Ne t’adapte pas à un monde taré où les droits régressent, laisse le monde s’adapter à ta nature. 
Vive les monstres !

Le roman semble être un message de la Mahaut qui vient de fêter ses 30 ans à la Mahaut du passé qui multipliait les excès dans les soirées parisiennes. Où est-ce que vous vous voyez pour vos 40 ans ? Encore dans d’autres disciplines artistiques ou toujours un couteau suisse touche-à-tout ?

J’aime le stand-up depuis le début, car il est comme un couteau suisse, il me fait l’effet d’un tronc d’arbre duquel partent de multiples branches auxquelles je veux me balancer : chroniques, théâtre, comédie, tournée, écriture de série, contenus sur les réseaux, mode, livre, cinéma… J’ai toujours rêvé de vivre ça dans ma vie : le goût de l’éclat et du succès, puis passer à autre chose, à un autre chapitre radicalement différent. À 40 ans, pourquoi pas, je serai une décoratrice d’intérieur mariée pour la huitième fois. Je veux faire mieux que ma mère qui a eu trois maris, j’ai beaucoup d’ambition.

Mahaut Drama. ©We Love Comedy

Vous avez fait beaucoup pour la scène de l’humour queer en France, qui a longtemps été invisibilisée. Quels sont les derniers artistes qui vous ont particulièrement touchée et que vous auriez envie de faire découvrir aux lecteurs et lectrices de L’Éclaireur ?

Mamari est incroyable, elle parle notamment d’inceste et de santé mentale avec brio et elle est à mourir de rire. Noam Sinseau, l’étoile du voguing qui illumine les planches de stand-up est aussi à découvrir au plus vite. Sinon, côté allié bienveillant et talentueux, il y a le génial Pierre Hillairet à découvrir sur scène et sur les réseaux !

Même pour les artistes hyperactifs, les journées ne durent que 24 heures. Est-ce qu’il y a une chose à laquelle vous n’avez jamais de temps à consacrer et que vous regrettez ? Ou une cause que vous voudriez mettre en lumière, mais sur laquelle vous n’avez pas matériellement le temps de vous engager ?

Évidemment, j’aimerais avoir le temps de faire du sport, de voir un acupuncteur, et de dessiner une BD. Mais si on me demande mon projet d’humanité, je crois que venir en aide aux réfugiés est plus important que diminuer ma cellulite en bavassant sur la façon dont ma mère m’a mal parlé en 2009. Utopia 56 et le BAAM, pour ne nommer que ces associations, font un travail incroyable et ont besoin de bras, de temps et d’énergie. Ne perdons pas notre humanité.

Chronique de Mahaut Drama dans Quotidien.

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