
Inspirée par l’univers humoristico-féministe de la BD Peau d’homme d’Hubert et Zanzim, Léna Bréban imagine une comédie musicale pop et burlesque, rythmée par les créations musicales de Ben Mazué et le jeu prodigieux de Laure Calamy, au Théâtre Montparnasse à Paris. Rencontre avec une metteuse en scène engagée.
Quand vous avez lu la BD Peau d’homme d’Hubert et Zanzim pour la première fois, avez-vous immédiatement perçu une potentielle adaptation théâtrale ?
Léna Bréban : Je suis une grande fan de BD et j’avais lu Peau d’homme (Glénat) à sa sortie, en 2020. Je m’y suis intéressée parce qu’à l’époque j’écrivais une série sur la sexualité. Avec mon co-auteur, on envisageait de l’adapter, mais quelque chose ne fonctionnait pas avec le format série. Mais l’histoire et le propos de la BD ne m’ont pas quittée, et de fil en aiguille, l’idée de l’adapter au théâtre s’est imposée. La bande dessinée, c’est très théâtral ! J’aime les représentations claires et le dessin permet ça, puisqu’il fonctionne aussi avec des signes distinctifs entre les personnages.
Quand j’ai lu Peau d’homme, je me suis dit que tout était parfait pour que je m’en empare. Cette histoire dans laquelle Bianca, une jeune femme noble, souhaite connaître son mari avant le mariage et se glisse dans une peau d’homme qui se transmet chez les femmes de sa famille, prend des allures de conte. Le récit déroule un questionnement passionnant autour des identités de genre. On a toujours l’impression que les contes sont des univers lointains, alors qu’ils racontent quelque chose de très juste sur notre réalité. En lisant la BD, j’ai eu l’impression que les auteurs, Hubert (scénario) et Zanzim (dessin), cherchaient la même chose que moi : parler de choses profondes, mais en se marrant, tout en ayant l’air de rien.
Le propos de la pièce fait écho à l’actualité. Est-ce que cela a fait partie de votre réflexion au moment de la création ?
L. B. : Ça l’a énormément nourrie. La pièce est rythmée par la montée d’un extrémisme religieux qui impose un tabou total de la sexualité, sous toutes ses formes. J’ai voulu montrer que, très souvent, lorsque les extrêmes religieux, ou tout autre type de fanatismes, prennent le pouvoir, les femmes sont les premières cibles. À un moment donné, les femmes se retrouvent mises sous cloche, comme pour annuler leur dimension corporelle et les invisibiliser.
« Le message de Peau d’homme, c’est d’assumer qui l’on est, peu importe le regard des autres. »
Léna Bréban
Ça fait bien sûr écho à la condition actuelle des Afghanes qui n’ont plus le droit de parler et de chanter en public, et qui sont barricadées à l’intérieur des maisons. J’ai aussi beaucoup pensé à Donald Trump, réélu Président des États-Unis, tout au long de l’écriture. La première de la pièce a eu lieu trois jours après son investiture en janvier. Vincent Vanhée, l’acteur qui joue le prêtre extrémiste dans la pièce, a eu l’idée de reprendre l’une des phrases issues de son discours d’investiture dans la pièce. Ça fonctionne terriblement bien.
Vous transformez cette BD en une comédie musicale. Pourquoi ce choix ?
L. B. : J’adore les comédies musicales ! J’aime leur côté burlesque, un peu kitsch et très pop. Lorsque je monte un spectacle, je me débrouille toujours pour que mes acteurs chantent à un moment ou à un autre. Il y a quelque chose dans la pluridisciplinarité des arts qui me touche. Cette approche musicale correspondait totalement à l’univers de Peau d’homme. Les chansons permettent de faire des gros plans sur les personnages qui racontent ce qu’ils vivent à l’intérieur. La musique prend le relai de la dramaturgie.
Ben Mazué est le compositeur des parties musicales. En quoi son univers collait-il à l’adaptation que vous aviez en tête ?
L. B. : On aimait notre travail respectif. Donc, quand j’ai cherché un compositeur, Ben Mazué était une évidence. Il parle avec une grande honnêteté du sentiment amoureux, que ce soit du point de vue masculin ou féminin. De mon côté, je voulais écrire un spectacle burlesque, mais je voulais quelqu’un qui apporte un contrepoids de délicatesse et de tendresse. J’ai écrit une première phase d’adaptation, puis j’ai attendu qu’il écrive les chansons. C’était un moment suspendu pour moi, je me posais plein de questions : est-ce que ça allait me plaire ? Est-ce que ça allait plaire à Laure Calamy et à la troupe ? Mais j’avais confiance, je sentais que Ben comprenait ma vision. C’est comme si vous confiiez à quelqu’un une liste d’ingrédients, mais sans recette, et qu’il revenait avec un gâteau délicieux, alors que vous n’aviez jamais imaginé qu’il puisse créer quelque chose d’aussi magnifique. Il a su amener une couleur musicale différente de la mienne. J’ai l’impression qu’on a dansé ensemble, cette collaboration a été géniale !
Le rôle principal de cette histoire, Bianca, qui se glisse dans la peau d’homme pour devenir Lorenzo, est incarné par Laure Calamy. Est-ce l’actrice que vous aviez en tête dès le début ?
L. B. : C’est toujours compliqué de se lancer dans l’écriture. On a l’impression d’être devant l’Himalaya et qu’il faut gravir la montagne. La première scène que j’ai écrite n’est pas dans la BD, mais j’avais la vision du personnage de Bianca, cette jeune femme qui n’a reçu aucune éducation sexuelle, qui revêt pour la première fois la peau d’homme et qui découvre son nouveau sexe masculin. Si j’avais un corps d’homme, la première chose qui me fascinerait, si j’étais une jeune fille qui ne connaît rien au monde, c’est cette sorte de chose qui pend et qui fait peur. Je trouvais ça très marrant !
Mais pour écrire, j’avais besoin de penser à une actrice qui aurait la folie nécessaire pour l’incarner, j’avais besoin d’entendre sa voix dans ma tête. Et Laure Calamy, qui est une grande amie dans la vie, m’est apparue naturellement, sans pour autant espérer qu’elle interprète le rôle. Dès qu’elle a lu la BD et mon projet d’adaptation, elle a été partante. Peau d’homme aborde des sujets qui nous sont chers, à Laure et à moi. C’est la continuité de discussions que l’on a dans la vie de tous les jours.
Laure Calamy n’est pas chanteuse professionnelle. Comment a-t-elle appréhendé cet aspect de la pièce ?
L. B. : C’était nouveau pour moi aussi. Surtout qu’une majorité d’acteurs et actrices de la troupe ne pratiquaient pas le chant de manière professionnelle. Pendant les répétitions, on a pris du temps pour faire des “musicales”, c’est-à-dire des parties où ils travaillaient uniquement la respiration et le placement de leur voix. On ne dirait pas comme ça, mais les créations de Ben Mazué sont complexes parce qu’il a un phrasé très particulier. Mais Laure adore les challenges. Pour avoir vu, la transformation des morceaux au fil des répétitions, c’est impressionnant de voir la progression de toute la troupe.
Avez-vous rencontré les créateurs de la BD originale ? Qu’ont-ils pensé de cette adaptation ?
L. B. : On a dîné ensemble. Je leur ai raconté ce que j’avais en tête, mais sans rien leur faire lire. C’est la grande force des artistes : se faire confiance entre eux. Zanzim et l’ayant droit d’Hubert, décédé en 2020, ne m’ont d’ailleurs rien demandé. Lorsqu’ils sont venus voir la pièce, j’appréhendais… Mais ils ont adoré ! C’est ça qui est génial avec cette aventure : des auteurs de la BD à la troupe, on s’est trouvés facilement. Je n’ai choisi que des gens pour qui il était important de porter ces thématiques. Peau d’homme, c’est un spectacle que l’on porte avec son talent et, surtout, avec ses convictions… et son humour bien sûr !

Avez-vous déjà souhaité enfiler cette peau d’homme ?
L. B. : Lorsque que j’ai commencé à diriger des projets, en tant que metteuse en scène, j’ai été confrontée à une forme de misogynie. Dans les théâtres, les équipes sont encore majoritairement masculines, de la direction aux techniciens. Souvent, ce sont des gens formidables. Parfois, beaucoup moins. Quand j’ai dû imposer mes décisions, certains avaient du mal avec accepter que ce soit moi, une femme, qui soit détentrice de l’autorité. Dans ces moments-là, j’ai parfois regretté de ne pas avoir une peau d’homme. Mais je regrette aussi d’avoir eu tendance, dans le passé, à gommer mes attributs féminins, c’est-à-dire à ne pas mettre de jupe ou de robe, alors que j’aime ça, simplement pour être considérée sur un pied d’égalité. Mais maintenant, j’assume ! Je fais même exprès, je porte des jupes et je mets des paillettes. C’est ça qu’il faut faire ! Et c’est le message de Peau d’homme : assumer qui l’on est, peu importe le regard des autres.