Entretien

Des clichés à l’inclusivité, la (lente) évolution des représentations de la sexualité dans les séries

24 novembre 2021
Par Agathe Renac
Dans “Normal People”, Connell et Marianne entretiennent une relation intense.
Dans “Normal People”, Connell et Marianne entretiennent une relation intense. ©Starzplay

D’Hélène et les garçons à Sex Education, la représentation de la sexualité dans les séries a évolué. Charline Vermont, créatrice du compte Instagram « Orgasme et moi », décrypte pour nous cette transformation.

Grand Army, You Me Her, Genera+ion… Les séries d’aujourd’hui proposent des représentations plus inclusives et réalistes de la sexualité. Cette évolution prend notamment en compte les orientations, les identités de genre et la vision du couple. Charline Vermont est autrice, formatrice en santé sexuelle et praticienne en sexothérapie. Son compte Instagram Orgasme et moi permet à des centaines de milliers d’abonnés d’accéder à une éducation positive à la sexualité. Elle déconstruit des clichés longtemps véhiculés dans des séries qui ont marqué plusieurs générations.

À travers quelles séries avez-vous découvert la sexualité ?

Je n’étais pas une enfant des séries. J’avais deux parents médecins, dont une mère gynécologue-obstétricienne qui me parlait de ses cas cliniques. Donc ma vision de la sexualité a d’abord été médicale. Je n’avais pas la télé à la maison, je la regardais chez mes potes. À cette époque, la représentation de l’amour était gaguesque. Dans Le Miel et les Abeilles, il y avait énormément de minaudage ; les filles se demandaient : “Et si je fais ça, qu’est-ce qu’il va dire ?” Il fallait absolument qu’elles soient parfaites et les mecs devaient éloigner celui qui osait approcher leur chérie… C’était très stéréotypé. Mais, le pire, c’est que ça fonctionnait. Toute la France des années 1990 a été éduquée avec les programmes d’AB Productions et les plus alternatifs regardaient Friends, qui avait le mérite d’être drôle.

Ces programmes “alternatifs” véhiculaient-ils aussi des clichés à ce sujet ?

L’épisode où Rachel et Monica énumèrent les zones érogènes des femmes à Chandler est la seule scène où on parle de plaisir féminin. Sinon, c’était de la blague grivoise et hyper hétéronormée. Il y avait peu de représentations différentes dans les séries quand j’étais jeune. Je regardais aussi Sex and the City, qui est sûrement celle qui a le mieux vieilli (et qui va avoir droit à une suite). Samantha était libérée et ça faisait un bien fou. Elle assumait et vivait sa sexualité sans se prendre la tête, mais il y avait aussi l’idée sous-jacente qu’elle devait trouver le prince charmant et se ranger. Il y avait énormément de toxicité : les filles se mettaient en quatre pour garder leur partenaire et ça passait aussi par le sexe. Il y a ce mythe collectif qui fait des ravages chez les jeunes couples, où les jeunes femmes se persuadent qu’elles doivent se forcer à coucher avec leur mec pour le garder, même si elles n’ont pas envie et même si elles ont mal. Dans la série, il y avait aussi Mr. Big qui ne répondait pas aux messages et jouait au fuis-moi-je-te-suis en permanence. Est-ce que vous avez déjà vu une meilleure définition de la toxicité ?

En 2020, les personnages LGBTQIA+ représentaient 10,2 % des protagonistes récurrents sur les networks américains, contre 6,4 % en 2018. Comment étaient-ils représentés dans les séries de votre jeunesse ?

Dans Le Miel et les Abeilles, on était sur du 100 % cis-hétéro (cis, pour cisgenre, une personne dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance, ndlr), avec une féminité et une masculinité surjouées. Le seul personnage gay était le mec musclé qui tenait la salle de sport dans Les Filles d’à côté. Il avait un rôle ultracaricatural, mais c’était la seule personne LGBTQIA+ qui avait le droit d’exister. Dans les années 2000, The L Word montrait une autre réalité, mais c’était plus confidentiel. On en parlait dans les bars gays, on était une petite poignée de personnes à avoir accès à ce modèle. C’était perturbant pour les personnes LGBTQIA+ de grandir avec des séries comme Friends ou Sex and the City qui étaient vraiment hétéros et cis-normées. Au-delà de la sexualité, il y avait un problème de représentation de diversité ethnique et de corps. Dans The L Word, on parle de meufs blanches et hyper bien gaulées. C’est un peu une représentation fantasmée des lesbiennes. Mais ça avait le mérite d’exister.

Quelles séries apportent un regard pertinent sur la sexualité aujourd’hui ?

Il faut relire Les Sentiments du prince Charles de Liv Strömquist et Commando Culotte de Mirion Malle, qui dissèquent la représentation de la sexualité et de l’amour dans la pop culture. J’ai aussi mis une story à la une sur mon compte dans laquelle je conseille des programmes qui visibilisent des minorités et qui nous font évoluer en termes de réflexion autour des sexualités. Grey’s Anatomy est le parfait exemple de cette transformation des représentations à l’écran. Elle fait le pont entre un ancien monde qui montre des sexualités standardisées et un nouveau, plus ouvert. Cette série s’était lancée avec quasiment que des personnages hétéros et, petit à petit, elle a accueilli des protagonistes gays, lesbiens, trans…

Masters of Sex analyse la sexualité et parle de physiologie du plaisir. En termes de représentation, il y a Orange Is the New Black, Euphoria, Sense8You Me Her, Newness et Wanderlust déconstruisent le couple exclusif et mettent notamment en lumière le polyamour. Grand Army est l’anti Gossip Girl. Ça parle de gamins privilégiés qui fréquentent un lycée de l’Upper East Side. Une meuf hyper cool est entourée de mecs hyper cool. Un soir, ils ont bu et elle va subir une agression sexuelle. La série tourne autour de ces questions : comment va-t-elle réussir à parler et à vivre son traumatisme ?

Sex Education a été salué pour son caractère inclusif et réaliste. La série a-t-elle eu un impact chez les jeunes ?

Je trouve ce programme exceptionnel. Quelques dizaines de comptes éduquent et sensibilisent les internautes à la sexualité sur les réseaux sociaux, mais cette superproduction répond à des questions que je reçois tous les jours dans mes DM. Ce sont de vraies interrogations de jeunes de 16 ans qui commencent leur sexualité. La série a une force de frappe bien plus importante que nous et c’est génial. Je sais que les parents s’en méfient, mais il faut les apaiser. Tout ce qui est lié à l’éducation sexuelle ne donne pas forcément envie de faire du sexe. Toutes les études convergent sur le fait que plus on a des conversations avec son ado à ce sujet, plus leurs premiers rapports sont tardifs.

Ça leur permet aussi d’être plus exigeants, car ils savent de quoi il s’agit. Ça leur explique qu’ils sont légitimes d’exprimer leur consentement, d’attendre d’être en confiance… Les parents peuvent flipper et avoir l’impression que leur enfant leur échappe, mais il faut les laisser vivre leur propre vie. Toutes ces séries leur permettent de faire des choix en conscience et certaines scènes feront écho à des situations qu’ils rencontreront. Par exemple, Sex Education aborde le vaginisme. Hier, une gamine m’a dit qu’elle pensait que c’était normal d’avoir mal lors des rapports avant de lire sur mon compte que ça ne l’était pas. Ces sujets sont ultra-importants et on n’en parlait pas à mon époque. Donc je conseille fortement aux parents de regarder ces programmes avec leur ado, ça peut ouvrir une connexion plus forte entre eux et ils pourront se confier plus facilement.

Y a-t-il eu des évolutions et des mesures prises au niveau des établissements scolaires en ce qui concerne l’éducation sexuelle ?

Le phénomène est trop récent pour voir l’impact qu’il a eu au sein de ces institutions. Mais, lors de ma dernière intervention en lycée, j’ai parlé de fierté menstruelle. J’ai dit aux élèves : “On va se mettre d’accord sur le vocabulaire et on ne va pas parler de fille qui a ses règles, mais de personne menstruée. Est-ce que tout le monde est OK avec ça ?” Une personne de 16-17 ans s’est levée et m’a dit qu’iel était non-binaire. Iel a rappelé qu’iel n’était pas une fille, qu’iel avait ses règles et que c’est important pour iel que tout le monde comprenne qu’iel s’inclut dans les personnes menstruées. C’est incroyable. À partir de quel moment iel s’est questionné ? J’ai commencé à déconstruire le genre 20 ans plus tard. Je me dis que les séries où les personnes non-binaires sont représentées (comme dans la dernière saison de Sex Education) vont dans le bon sens. Tout comme les parents, j’incite aussi le personnel de l’éducation à regarder ces programmes pour qu’ils comprennent où en sont les jeunes. C’est une force sur laquelle on peut capitaliser pour avancer dans les réflexions et déconstructions.

Les séries semblent donc avoir évolué sur les représentations lors de ces 20 dernières années. Que reste-t-il à déconstruire ?

Je continue à croire que la pop culture est à la fois le reflet de notre société et le ciment de celle de demain. C’est en changeant les représentations et les mots que les mentalités évoluent. Je suis très heureuse de vivre à mon époque et de voir que mes enfants grandissent sans les bouses que j’ai pu voir quand j’étais petite. Quand je fais des interventions sur le consentement, je parle de Barney dans How I Met Your Mother (dont le spin-off se dévoile progressivement). Cette série me faisait beaucoup rire, mais elle expose des situations vraiment problématiques, comme le “naked man”, qui est un délit d’exhibitionnisme et peut être traumatisant pour la personne qui le subit.

Maintenant, j’attends une chose des séries : qu’elles parlent de dépistage, que les personnages mettent des capotes, et qu’on arrête de réduire le sexe à la pénétration. Elle concerne 73 % des actes sexuels dans les films classiques. Pourtant, je rappelle qu’il n’y a que 6 % de personnes à clitoris qui arrivent à jouir avec cette pratique. Les choses changent, mais montrez-nous des ethnies et des corps différents, parlez d’autres réalités de couple (il n’y a pas que la monogamie exclusive qui existe) et montrez-nous plus de sexe oral !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste
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