Critique

Immortels de Camille Kouchner : un roman au-delà des genres

04 avril 2025
Par Thomas Louis
Immortels de Camille Kouchner : un roman au-delà des genres
©Benedicte Roscot

Après l’impact et le succès de La familia grande, Camille Kouchner se lance dans la fiction. Avec Immortels, elle met en lumière une amitié entre une fille et un garçon, à la lumière d’une histoire commune. À l’occasion de cette sortie inédite, L’Éclaireur a pu découvrir l’œuvre, mais surtout s’entretenir avec son autrice.

Tout commence avec un personnage : « K », comme « Kouchner ». Celle que l’on peut aussi imaginer s’appeler « Kamille » est à l’hôpital. Pour l’autrice : « K, c’est abandonner le patronyme, tout en assumant cette troisième voix dans le roman, celle qui analyse et qui critique. »

Cette voix est émise depuis un lit d’hôpital. Un cancer. Une nuit. Une chambre. Et la pensée fait le reste. Elle s’adresse à « Ben », son ami de toujours, qui n’est plus là.

« Me souvenir de moi, c’est me souvenir de toi. Seule, je n’existe pas. Pour me faire advenir, il me faut te chercher en vie. »    Camille Kouchner

Le roman d’une génération

Ensemble, on découvre qu’ils ont tout vécu. Ils ont traversé l’époque des années 1970 avec la fougue que l’on imagine très vite. Leurs premiers pas, le printemps de Bourges, les échanges musclés entre les parents, leurs mères Béa et Suzanne, l’une au quatrième étage, l’autre au cinquième. Et puis l’élection de Mitterrand en 1981. Aujourd’hui, K se remémore tout ça.

Camille Kouchner, l’autrice, explique l’idée de départ, directement liée au titre du livre : « Il répond à la question qui est à l’origine du roman : que fait-on de son enfance ? Fille ou garçon, comment devient-on homme ou femme ? Et lorsque l’on est désignés comme tels, abandonne-t-on l’enfant que l’on a été ? Ces adultes qui se sont connus très jeunes maintiennent leurs liens par-delà leurs assignations. Ensemble, ils resteront ces enfants immortels. »

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Car oui, à travers des adresses directes à Ben, K tente d’élucider l’épineuse question de soi. Celle qui nous tient pour toute une vie, dans une société où chaque étiquette vaut pour essence.

Fille. Garçon. Ben et K ont grandi ensemble. Ils se sont construits sur ce lien. Un lien qui a mis en lumière certaines assignations que K tente de comprendre aujourd’hui, et que l’autrice d’Immortels nous explique : « J’ai voulu écrire un roman qui rassemblerait les émotions et expériences d’une génération, la mienne, dans un certain milieu, celui dans lequel j’ai évolué. Passer par des personnages composites et raconter l’histoire de ceux qui aujourd’hui ont 50 ans et que l’on entend moins que leurs aînés. »

CAMILLE KOUCHNER ARTICLE

Il apparaît ainsi que K parle non pas en son nom, mais au nom d’un pan d’une société qui a connu la portée contestataire qui tapissait les pièces. Une cellule familiale qui, par ailleurs, s’émiette progressivement au fur et à mesure que les personnages grandissent, évoluent, et mettent en surbrillance l’une des questions du livre selon son autrice : « Se construit-on de l’intérieur ou nos identités sont-elles façonnées par l’extérieur ? »

Le sujet est vertigineux et les personnages parviennent, dans leur construction et le corps que Camille Kouchner leur donne, à nous faire toucher du doigt certaines réponses.

L’identité au coeur du livre

C’est un fait, Immortels est le livre sur l’identité. Celle qui nous définit, celle qu’on nous assigne, à nous et rien qu’à nous. Jusqu’à nous faire prendre conscience qu’on ne formera pas, jamais, une équipe avec quiconque. Que l’on sera toujours voué à la solitude identitaire.

À travers une « conversation des sexes » avec Ben, K nous montre que son parcours de femme n’a pas été des plus clairs. Elle qui, sans cesse en bouillonnement, pensait pouvoir être indifférenciée (sous-entendu, ne pas être une « femme »), Camille Kouchner nous précise que « [sa] vie d’adolescente, puis d’adulte [lui] a montré le contraire. La question est donc [en effet] de savoir si en acceptant l’identité qu’on [lui] donne, elle est condamnée à vivre seule. »

La place que la société nous attribue est largement questionnée dans Immortels. K a la parole, mais on comprend très vite que Ben aussi s’est questionné. Il y a sans cesse, en creux, des avis, des opinions, des carcans et des codes dont on ne parvient jamais vraiment à se séparer. L’autrice de poser d’autres réflexions : « La question est comment accueillir ces constructions. Les rejeter, faire avec ? Comment résiste-t-on à la construction sociale de l’identité sexuelle ? » 

Toutes ces questions répondent à un style, celui de Camille Kouchner. Les phrases sont brèves, parfois sèches, et font écho à ce que la narratrice nous raconte, que l’autrice précise : « Une nuit, l’hôpital. Un cauchemar, un rêve, la réalité. Chaque pensée arrive comme par effraction. » C’est cette même effraction qui permet de questionner l’amitié, le genre, l’assignation, la différence entre l’existence et l’essence. Et Camille Kouchner ajoute, comme une conclusion : « Et c’est valable pour les filles comme pour les garçons. »

À noter que l’audiolivre du roman (lu par la comédienne et écrivaine Isabelle Carré) est désormais disponible sous le label Cascades.

Immortels, de Camille Kouchner, Seuil, 224 p., 20 €, en librairie depuis le 4 avril 2025.

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