Entretien

Swann Périssé : “L’humour est une manière de dire qu’on n’a pas peur de l’autre”

11 avril 2025
Par Claire Ferragu
“Bouffons ! – L'humour est-il un sport de combat ?”, de Swann Périssé et Guillaume Meurice Faubourg éditions, 104 p., 10 €.
“Bouffons ! – L'humour est-il un sport de combat ?”, de Swann Périssé et Guillaume Meurice Faubourg éditions, 104 p., 10 €. ©Faubourg éditions

Dans Bouffons ! – L’humour est-il un sport de combat ?, fruit d’une longue conversation à la fois drôle et sérieuse, Swann Périssé et Guillaume Meurice interrogent le rôle de l’humour dans notre société. L’humoriste, youtubeuse et militante revient, pour L’Éclaireur, sur la création de cet ouvrage.

Au fil de votre conversation-fleuve avec Guillaume Meurice, qu’avez-vous découvert sur lui ?

J’ai découvert quelqu’un qui est devenu humoriste d’une façon très différente de la mienne. Lui, ça lui est un peu tombé dessus et il n’a pas du tout l’impression de fournir d’efforts dans son travail ; il l’envisage de façon très spontanée. Alors que moi, j’ai l’impression de charbonner comme une acharnée, d’étudier minutieusement le métier.

Vous a-t-il fait prendre conscience d’un nouveau rôle de l’humour ? Que vous a finalement appris cette discussion ?

C’était très intéressant de voir les limites qu’on se posait selon notre façon de pratiquer l’humour. Guillaume a été renvoyé de France Inter dans le cadre de la ‘Jokergate’, comme on l’appelle entre nous. Lui dépendait d’un patron, d’un collectif. Alors que moi, je fais de l’humour sur Internet, seule. On pourrait donc croire que j’ai la liberté totale de faire des blagues comme je veux, où je veux, quand je veux.

« Aujourd’hui, on a un couloir devant nous et un champ créatif exceptionnel pour pouvoir écrire de nombreuses vannes depuis notre point de vue de femme. »

Swann Périssé

En réalité, il y a des limites à faire des blagues sur les réseaux sociaux, parce qu’il y a des sujets qui sont censurés. Certaines façons de les aborder font que les algorithmes, ensuite, nous cachent. Sur Internet, quand on parle de sexualité et qu’on est une femme, ou quand on veut parler de la situation à Gaza, par exemple, il y a quand même une censure, mais qui est beaucoup moins directe et beaucoup moins attribuable, nommable, que quand tu te fais virer de France Inter. Ensemble, on a constaté que la liberté de l’humour est délicate, selon les plateformes sur lesquelles il est diffusé. C’était passionnant.

Dans l’ouvrage, vous questionnez le sexisme du milieu. Percevez-vous une pression supplémentaire en tant que femme humoriste ?

Oui, bien sûr. Il n’y a qu’à se référer à tous les articles qui sont sortis sur le #MeToo stand-up, notamment les accusations d’agressions sexuelles et de viols envers plusieurs humoristes. C’est quelque chose qui témoigne du sexisme et du machisme du milieu, même s’il y en a dans beaucoup d’autres. C’est un secteur très précaire, ce qui, selon moi, amplifie le phénomène, car tu es vraiment à 50 € près au début, alors tu te retrouves parfois obligée d’accepter des choses inacceptables.

Heureusement, cela évolue et, même si elles sont encore moins nombreuses, de plus en plus de femmes prennent la parole, vont sur scène, remplissent des salles avec des milliers de spectateurs par semaine, en disant ce qu’elles ont à dire et en surmontant ce sexisme ambiant. Il y a un énorme public qui a envie d’entendre le point de vue des femmes sur la société, simplement, via l’humour. Aujourd’hui, on a un couloir devant nous et un champ créatif exceptionnel pour pouvoir écrire de nombreuses vannes depuis notre point de vue de femme. Le mien, celui d’une femme de 35 ans, a encore été très peu entendu.

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Pourquoi est-ce important, en 2025, d’écrire un livre et de créer une discussion autour de l’humour, de sa place dans la société et de la façon dont on l’appréhende ?

C’est important, parce qu’avec la montée de l’extrême droite partout dans le monde, la parole libre et la comédie vont être de plus en plus remises en question. Par exemple, Donald Trump a interdit les subventions à des recherches scientifiques qui contenaient certains mots. C’est vraiment de la censure pure. Que va devenir l’humour là-dedans ? Les humoristes sont des gens malpolis qui mettent les pieds dans le plat. C’est important de savoir ce qui va advenir de nous et les risques d’une société qui censure les humoristes ou qui les méprise, les cantonne à certains sujets. Il faut aussi s’interroger sur la façon dont on peut s’emparer de notre pouvoir, celui de faire rire les gens pour parler de certains sujets.

Où est-ce que vous situez votre rôle en tant qu’humoriste dans la société ? Pensez-vous avoir également un rôle d’informatrice auprès du public ?

C’était une différence entre Guillaume et moi. Lui disait qu’il n’essayait pas du tout de convaincre les gens, qu’il exposait juste son point de vue. Moi, à l’inverse, je disais que j’essayais de convaincre et de vulgariser. Le pouvoir de l’humour, c’est de faire visualiser soudainement à des gens des images claires, des métaphores. Par exemple, dans mon spectacle, j’explique le viol par surprise. Je dis que tu peux adorer une pratique sexuelle, mais que si on te l’impose par surprise, ce n’est pas agréable. Je dis aussi que c’est comme si ton plus grand rêve dans la vie, c’était de faire un saut en parachute, et un jour, tu es dans un avion parce que tu fais un voyage et ta copine ouvre la porte de l’avion, te pousse en disant : “Surprise, c’est un saut en parachute !” Il y a vraiment peu de chances que tu apprécies de réaliser le rêve de ta vie. Tu risques plus de mourir d’une crise cardiaque.

Donc, avec des blagues, des comparaisons ou des images auxquelles tout le monde s’identifie, on peut expliquer des sujets épineux, denses, dont on ne comprend pas toujours les enjeux. Je pense que ça peut même permettre à certaines personnes de se réintéresser à la politique, d’impliquer les citoyens qui, tout à coup, comprennent un truc qui a l’air obscur et terrifiant. Voilà notre différence avec Guillaume. Mais nous étions d’accord sur le fait que les gens font bien ce qu’ils veulent. Ce n’est pas parce qu’ils vont rigoler à nos blagues qu’ils vont forcément adhérer ou changer d’opinion. Mais, au moins, s’ils ont entendu des points de vue différents, c’est toujours ça de gagné.

L’humour serait-il alors une mise à distance du réel ou plutôt, justement, une façon de s’ancrer profondément dans celui-ci ?

Je pense que Guillaume dirait que c’est une mise à distance du réel. Ainsi, on reprend le pouvoir sur la détresse, sur la peur. Je suis d’accord avec ça. C’est une façon de dire qu’on n’a pas peur de l’autre, d’oser s’emparer des sujets. Pour moi, c’est aussi une façon de remettre des questions inconnues au goût du jour, des questions oubliées, pas forcément sexy de prime abord.

On parle aussi de communauté, de public : doit-on finalement rire de nos communautés, de ce que l’on connaît avec un public qui partage ses paradoxes ? Est-ce qu’on a besoin de codes communs pour rire ensemble, de faire preuve d’empathie ?

Oui, je pense qu’on a besoin de codes communs, ou au moins d’avoir beaucoup d’autodérision. Le public ressemble souvent à son humoriste. Je peux me permettre de me moquer des gens qui me ressemblent, car je pratique l’autodérision, donc il y a des gens qui s’identifient. Pour faire rire, il faut se mettre à la place de l’autre, essayer de comprendre d’où il vient, ce qu’il pense.

Il y a quelque chose que vous dites dans le livre : l’avenir du stand-up n’est pas de vouloir faire rire à tout prix, mais réside plutôt dans les choix de sujets. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Quand tu es humoriste depuis dix ans, tu sais faire rigoler un peu sur n’importe quel sujet. Et, en tant qu’artiste, il faut choisir les sujets que l’on traite. Je trouve cela intéressant d’avoir quelqu’un qui est capable de faire rire de tout et n’importe quoi, et qui choisit de ne pas parler de tel ou tel sujet… C’est comme avec les médias. Par exemple, si on martèle une histoire de crime contre une femme blanche mineure absolument atroce, tout le monde va développer de l’empathie envers elle. Et si, à côté de ça, on ne parle jamais de crime racial, comme cela s’est passé récemment au Havre, avec un homme tué pour des raisons purement racistes, cela oriente le spectateur vers l’idée qu’on ne fait du mal qu’aux jeunes femmes blanches et mineures.

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Je suis tombée des nues de découvrir dans le livre de Salomé Saqué que la deuxième menace terroriste en France, c’était l’extrême droite, après les attentats djihadistes. Et c’est la première aux États-Unis. C’est fascinant de se rendre compte que, dans les médias, on nous martèle avec l’idée que l’islamisme radical ou même l’islam tout court serait l’unique menace, alors que l’extrême droite est un immense danger pour la vie des gens. Ainsi, les sujets abordés en tant qu’humoristes sont essentiels, parce que nous sommes des vecteurs d’idées dans la tête des gens.

Pourquoi faites-vous de l’humour, finalement ?

Tout simplement parce que c’est ce que j’aime le plus faire. J’aime réussir à faire passer une idée qui fait éclater de rire les gens. C’est vraiment ma passion.

Vous parlez également de revanche, dans le livre…

C’est sûr que plus il m’arrive de drames, de souffrances, de frustrations, plus j’ai besoin d’en faire des blagues. C’est aussi un exutoire.

Est-ce d’abord pour les autres ou pour vous que vous pratiquez l’humour ?

Honnêtement, c’est d’abord pour moi. Je pense qu’il faut vraiment militer et lutter dans ce qu’on fait de mieux. Et moi, ce que je fais de mieux, c’est des blagues.

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