
Créateur de contenu, acteur et humoriste, Jérémy Nadeau excelle dans tous les domaines. Après avoir joué dans des séries comme Furies ou Cœur noir, celui qui compte plusieurs millions d’abonnés sur les réseaux sociaux se lance un nouveau challenge : passer de l’écran à la scène avec son spectacle Beaucoup trop. Un défi relevé haut la main, qui nous a fait passer par toutes les émotions. Rencontre.
Votre premier spectacle se nomme Beaucoup trop. Vous êtes beaucoup trop quoi ?
Déjà, beaucoup trop fier de notre travail avec Kaza, qui est le co-auteur de ce projet. C’est un spectacle qui me ressemble et qui évolue tout le temps. En réalité, le “beaucoup trop” fait référence à l’une de nos règles : toujours aller beaucoup trop loin dans les blagues. On ne sait pas que c’est la vanne de trop tant qu’on ne l’a pas faite. Ce titre fait aussi écho à une appréciation que j’avais eue dans un bulletin, plus jeune. On me disait que je travaillais bien, mais que j’étais beaucoup trop dissipé, que je faisais beaucoup trop le con, tout le temps.
Finalement, il y a beaucoup trop de raisons pour lesquelles ce spectacle s’appelle Beaucoup trop. La question principale de ce stand-up, c’est “Qu’est-ce qu’un homme ?”. Quand j’étais plus jeune, je pensais qu’un homme ne devait pas avoir de défaut. Au final, je me rends compte que j’en ai beaucoup trop et que j’ai beaucoup trop d’addictions, notamment à mon téléphone et aux réseaux sociaux.
Votre spectacle est particulièrement bien écrit et certaines phrases nous font (beaucoup) réfléchir. Quel a été votre processus créatif ?
C’est difficile de quantifier la durée d’écriture parce qu’il n’y a pas vraiment eu de début. Quand Kaza m’a rejoint, je venais de commencer le stand-up et j’avais déjà écrit des sketchs. Ensuite, on en a imaginé de nouveaux ensemble et ce projet a nécessité un travail d’environ deux ans et demi. On a réfléchi à une construction solide, pour ne pas avoir une simple succession de blagues. On voulait que ce spectacle repose sur un vrai fil conducteur avec un début, un milieu et une fin. On s’est inspirés de beaucoup de séries et on a imaginé trois ou quatre boucles qui s’ouvrent et se ferment.
Vous abordez de nombreuses thématiques intimes, telles que l’enfance, les relations, ou encore le quotidien. À quel point ce spectacle est-il autobiographique ?
À 99 %. Tous les sketchs partent d’anecdotes réelles, pour mon plus grand bonheur – ou pas. Ensuite, je brode autour et j’enjolive ces histoires pour faire rire les spectateurs.
Est-ce difficile de se livrer au public ? C’est comme si vous vous mettiez à nu, finalement…
C’est exactement ça. Durant le spectacle, je dis : “Pour vous, c’est un spectacle, pour moi, c’est une thérapie”, mais c’est pas une blague. Je me livre au public tous les soirs. Grâce à ma vie, je trouve des vannes et grâce à mes vannes, je comprends des choses sur ma vie. Plus je creuse des sujets, plus je réalise certaines choses. Par exemple, toute la partie sur ma vision de l’homme parfait est réelle. J’ai essayé d’être ce mec parfait, bien et lisse toute ma vie. Au final, je me rends compte que j’ai perdu du temps à essayer d’être quelqu’un d’autre que moi-même et je n’aurais jamais eu cette prise de conscience sans le stand-up et sans ce spectacle.
Votre enfance et les rapports avec vos parents occupent une grande place. Quels souvenirs conservez-vous de cette période ?
C’était génial. Je n’ai pas eu une enfance difficile. Dans le spectacle, je parle beaucoup du divorce de mes parents, mais je n’évoque pas ce qu’il s’est passé avant. J’ai grandi dans les meilleures conditions possibles.
Considérez-vous cette période comme la meilleure de votre vie ?
Non, la meilleure période de ma vie n’est pas encore arrivée. Je n’ai pas encore fait mon meilleur spectacle. [Rires]
Avez-vous néanmoins gardé votre âme d’enfant ?
Évidemment ! Je suis un gosse. Parfois, j’ai entre 7 et 77 ans. Je peux me coucher à 21h30 avec une tisane nuit tranquille et me réveiller à 2 heures du mat’ parce que j’ai envie de jouer à la console. C’est ça, être adulte : c’est pouvoir faire des trucs de vieux et de jeunes sans que personne ne nous dise quoi que ce soit.
Vos parents sont-ils d’accord avec les portraits que vous faites d’eux dans le spectacle ?
Je fais des vannes hard sur ma mère, mais elle n’est évidemment pas comme ça. Si je disais simplement qu’elle aime les pierres et la lithothérapie, ce ne serait pas drôle. J’exagère la réalité et les traits de personnalité de chacun, mais ces exagérations sont nécessaires pour le spectacle. Mes parents ont validé et adoré le texte. Ils le connaissent par cœur.
La gestuelle a une part très importante et se révèle être un ressort comique très efficace. Quel rapport entretenez-vous avec votre corps et avec le regard des autres ?
Avec Kaza, on voulait que notre spectacle soit différent et ce jeu corporel s’est imposé naturellement. Le stand-up m’a aidé à gagner de l’aisance pour les séries, mais le tournage de ces dernières m’a aidé à développer mon jeu pour la scène. Les deux exercices sont complémentaires et ce jeu corporel apporte une dimension visuelle intéressante. Un pote humoriste est venu voir mon spectacle et m’a dit : “Quand tu joues, on respire.”
C’est toujours plus drôle de voir quelqu’un interpréter sa vanne à fond. Quand tu lis le script d’une comédie, ce sera forcément moins impactant que de voir des mecs l’incarner. Ça permet d’imposer une “vision comique”. Certains sketchs fonctionnent uniquement si on les joue à 100 %. Au début, j’ai peur de les tenter parce que certaines vannes sont vraiment hard, mais si je ne les joue pas à fond, personne ne rira. Et on le voit dans le spectacle. Au début, ça rigole doucement. Et plus je vais loin, plus ça se marre.
En revanche, le regard des autres est un vrai sujet. D’où cette question au centre du spectacle : qu’est-ce qu’un homme parfait ? Je pensais qu’on pouvait trouver cette validation à travers le regard des autres. Si t’es tout seul sur une île déserte toute ta vie, tu n’as pas de notion de perfection parce que tu n’as pas de comparaison. C’est important de savoir que ce regard existe, mais il ne faut pas lui accorder trop d’importance, car on risque d’essayer d’être quelqu’un d’autre pour plaire à des personnes qui n’en ont rien à faire de nous. Sartre avait raison : l’enfer, c’est les autres – et surtout leur regard.
Dans votre stand-up, vous évoquez la pratique du cirque durant votre enfance. Vous a-t-elle permis de vous approprier votre corps et justement de vous affranchir du regard des autres ?
Complètement. Le combo cirque-théâtre-sport m’a aidé à être beaucoup plus à l’aise. Je le conseille à tout le monde. J’ai toujours eu plus ou moins envie de monter sur scène ou de jouer dans des films. Quand j’avais 10 ans, je refaisais des scènes de longs-métrages et des sketchs avec mon meilleur pote. On se filmait avec notre vieille caméra, c’était génial. En réalité, j’ai commencé le théâtre un peu par hasard à 16-17 ans, après avoir arrêté l’athlétisme en raison d’une blessure. Ça m’a ouvert à un nouveau monde et ça a été un vrai déclic.
Le spectacle aborde aussi un sujet essentiel : la masculinité toxique. Vous insistez sur la nécessité de se montrer vulnérable et de montrer ses émotions. Espérez-vous avoir un impact sur la mentalité de certains spectateurs ?
Le premier objectif de ce spectacle, c’est de faire rire le public. Je pense qu’aucun spectateur n’a pris des billets en se disant : “Ouh, j’espère qu’il va bien me faire réfléchir !” [Rires] Je ne fais pas d’humour politique, mais ça viendra peut-être. Dans Beaucoup trop, je parle de moi, mais c’est un prétexte pour parler des autres. J’évoque des sujets plus ou moins graves, comme les addictions, la recherche de la perfection ou encore le rapport aux femmes. Si je peux permettre aux spectateurs de repartir avec le cerveau un peu plus rempli et le cœur un peu plus léger, j’ai tout gagné.
Avez-vous déjà été confronté à des blagues qui ne fonctionnent pas ? Comment accueillez-vous les bides ?
Évidemment ! Surtout quand je testais mes vannes dans des comedy clubs. Avec le temps, on n’apprend pas à ne plus bider. On apprend à gérer le bide. Au début, on se dit : “Ok, mince, c’est pas drôle…” et les spectateurs sont mal à l’aise. Ça me fait penser à un livre que je suis en train de lire sur la compassion. L’auteur affirme que c’est un sentiment presque diabolique, parce qu’on partage les émotions de quelqu’un d’autre. Ceux qui n’en ont pas sont beaucoup moins tristes.
Si on fait le parallèle avec le stand-up, un spectateur qui assiste à un bide va ressentir de la compassion et partager la gêne de l’humoriste. C’est juste horrible et personne ne passe un bon moment. Aujourd’hui, j’assume l’échec sur scène. Quand ça ne marche pas, je dis : “Ok, bon, ça, c’était pas drôle. Au suivant.” Si tu n’es pas mal à l’aise, le public ne le sera pas non plus. C’est ça, aussi, se détacher du regard des autres : c’est s’en foutre de ne pas être drôle devant eux.
Ces bides vous ont finalement permis d’avoir un rapport à l’échec beaucoup plus sain.
Bien sûr, il faut accepter l’échec. Quand tu fais une vanne pas drôle devant tes potes, t’es rarement très mal à l’aise. Ce n’est pas agréable, mais tu détournes le truc en rigolant. J’essaie de faire la même chose devant le public. Je tente des vannes, quitte à me planter, juste pour être sûr de ne pas passer à côté d’un truc super. L’échec fait partie du processus. On n’apprécie pas autant la victoire si on ne l’a pas connu.
Vous l’affirmez à plusieurs reprises durant votre spectacle : vous avez à cœur de devenir une meilleure personne. Pensez-vous avoir atteint votre objectif ?
Je ne pense pas qu’on peut devenir une meilleure personne si on se dit qu’on a déjà atteint cet objectif. C’est quelque chose qu’on essaie d’atteindre toute sa vie. Il ne faut jamais arrêter d’évoluer pour devenir quelqu’un de meilleur. Quand j’étais petit, je pensais qu’être un homme, c’était être courageux, fort et parfait. J’ai grandi avec cette idée qu’il ne faut pas avoir de défaut ni de faiblesse. Mais il faut être conscient de ses faiblesses et travailler dessus. Tout simplement.
On vous a vu sur YouTube, sur Netflix, sur Prime Video, sur les planches… C’est quoi la prochaine étape ?
J’adorerais que ce soit le cinéma. J’espère que ça viendra. On travaille aussi sur un deuxième spectacle dont je ne peux pas encore parler. Les prochaines échéances que je peux évoquer, c’est la sortie de Cœur noir d’ici deux ou trois mois et la dernière tournée du spectacle qui commence en avril et se termine en décembre. Il y a aussi plein d’autres projets qui sont encore secrets, mais que je révélerai dans quelque temps.
Jérémy Nadeau se produira à la Scala jusqu’au 29 mars, les jeudis, vendredis et samedis à 21 heures. Il est aussi en tournée dans toute la France. Réservations disponibles sur le site de l’événement.