Entretien

Guillaume Meurice : “Mes parents m’ont toujours dit que ce n’était pas grave d’être différent et de ne pas suivre le troupeau”

06 septembre 2023
Par Agathe Renac
Guillaume Meurice : “Mes parents m’ont toujours dit que ce n’était pas grave d’être différent et de ne pas suivre le troupeau”
©Magali Ruelland

Qui dit rentrée, dit course aux bonnes résolutions. Pourtant, il n’y a pas de mal à être imparfait. Dans Petit Éloge de la médiocrité, Guillaume Meurice nous apprend à déculpabiliser, et ça fait du bien. Rencontre.

Le déclic de ce livre, c’est un message de Philippe qui vous réveille un matin en vous disant que vous êtes “nul nul nul” et “médiocre”. Finalement, la réussite ne commence-t-elle pas quand on a une base de haters ?

Répondre aux mails des haters, c’est un peu ma grande passion. Plus ils sont virulents, plus ça m’amuse. Je dois dire que c’est assez chronophage, mais je le vois comme un moment ludique. En fait, j’aime bien me mettre d’accord sur nos désaccords. Le Philippe en question était plutôt cordial, mais ça ne me pose pas de problème qu’on m’insulte. C’est une manière comme une autre de dire bonjour (rires). J’ai tendance à répondre : “Ok, merci de m’avoir écrit, mais avec quoi n’es-tu pas d’accord exactement ?”

Quand j’ai voulu lui répondre, je me suis interrogé sur moi-même. Je me suis demandé pourquoi il aurait tort, et pourquoi il fallait être autre chose que médiocre, finalement. En creusant un peu la question, j’en suis venu à la conclusion que tout le monde l’est et que ce n’est pas un problème. Le point de départ de ce livre, c’était donc cette question : Que pouvons-nous faire de notre médiocrité ?”

Ces messages négatifs n’ont donc aucun impact sur votre santé mentale ? Comment faites-vous pour vous protéger ?

C’est émouvant et flatteur de se dire qu’une personne qui ne m’aime pas va prendre du temps dans sa journée pour me le dire. D’autant plus que je ne fais pas ce métier pour être aimé. Mon objectif, c’est plutôt de m’amuser. Je ne vois pas ces messages comme un échec, mais comme un élément qui fait partie du processus.

©Magali Ruelland

Généralement, si tu réponds à un mail très virulent avec politesse, le suivant est beaucoup plus apaisé. Ça se calme très rapidement. On est plus sur quelque chose qui est de l’ordre d’un crachat ou d’un cri. Certains font de la boxe ou du sport, d’autres se défoulent à travers des messages.

Vous commencez votre livre avec cette citation de Churchill : “Le succès, c’est d’aller d’échec en échec, sans jamais perdre son enthousiasme.” Avez-vous connu l’échec ? Que vous a-t-il appris ?

Je le rencontre tout le temps ! Mais ce n’est pas grave. Il y a aussi cette phrase de Beckett qui dit : “Rater, rater encore, rater mieux.” J’aime bien le concept de rater mieux. L’idée n’est pas d’arrêter de rater, mais de comprendre ce qu’on a fait de mal et de réessayer.

« J’ai énormément de chance de pouvoir faire ce métier. Je gagne de l’argent en faisant des blagues. C’est un peu absurde, je suis l’équivalent du Schtroumpf farceur. »

Guillaume Meurice

Je pense qu’il faut juste être curieux. Même les concepts et avancées scientifiques sont basés sur l’erreur. On expérimente, on échoue, on ajuste, et on continue jusqu’à trouver une solution.

Vous n’avez donc jamais perdu votre enthousiasme, malgré les échecs ?

Non. J’ai un exemple concret qui me vient en tête. Quand j’ai commencé la scène, je jouais devant dix personnes. Les autres le voyaient comme un échec, mais je venais tout juste de démarrer, donc je me disais que c’était normal. Ce n’était pas une galère. Les critères de réussite n’étaient pas remplis – je ne gagnais pas beaucoup de thunes et j’avais peu de spectateurs –, mais j’étais trop heureux d’être là et d’explorer ce nouveau monde. La réussite ne veut rien dire pour moi.

C’est une façon de penser qui est bien plus saine pour sa santé mentale !

C’est bien pour tout le monde, et c’est pour cette raison que j’ai fait ce bouquin. Cette manière de penser est plus proche de la réalité. Dans mon livre, je prends l’exemple des toiles de maître. De Vinci a retouché La Joconde des dizaines de fois et on n’est même pas certain qu’il était satisfait de son travail final. Aujourd’hui, on dit que c’est un chef-d’œuvre. À l’époque, il s’est peut-être dit qu’il avait foiré sa toile. Donc cette idée de réussite est très subjective et rend beaucoup de gens malheureux.

©Magali Ruelland

Dans votre livre, vous dites : “J’aime flâner, m’arrêter, glander. J’aime l’aventure avec ce qu’elle comporte de tâtonnements, de ratés, d’échecs. C’est pourquoi je suis heureux d’être médiocre.” Qu’est-ce que la médiocrité a apporté de positif dans votre vie ?

Ce n’est pas tant la médiocrité, mais le rapport que j’entretiens avec elle. Quand on est lucide, on est plus serein. Le système capitaliste nous pousse à vivre dans une fiction ; on doit ressembler à telle personne, porter tels vêtements et posséder tels biens pour être heureux. Mais, quand on sort de ce schéma, on ressent beaucoup moins de pression et on est plus épanouis.

Qu’est-ce qui a forgé votre pensée ? Est-ce un déclic, une rencontre, une situation ?

Je pense que c’est essentiellement mon éducation. Mes parents m’ont toujours dit que ce n’était pas grave d’être différent des autres et de ne pas suivre le troupeau. Avec le recul, je me dis qu’ils m’ont énormément aidé.

« J’imagine des extraterrestres regarder notre monde comme une téléréalité. Ils doivent bien se marrer en se disant qu’on est sacrément cons. »

Guillaume Meurice

On passe notre temps à chercher inconsciemment une sorte de validation sociale, mais on n’en est jamais satisfait. Une personne qui a un million de followers en veut quatre, celle qui en a 12 en veut 100… Il n’y a pas d’issue. C’est une course sans fin. Quand tu sors de cette compétition, elle te paraît ridicule et tu te sens plus apaisé.

Dans le livre, vous êtes dur avec vous-même et…

Tu trouves ?

Oui ! Vous dites que vous êtes nul et médiocre, alors que vous faites partie des humoristes les plus appréciés de France. Portez-vous réellement ce jugement sur vous, ou était-ce simplement pour le livre ?

Une de mes éditrices m’a dit exactement la même chose, en soulignant le fait que ce que je disais pouvait être vu comme de la fausse modestie. En réalité, je me vois vraiment comme une personne médiocre. Quand tu crées, tu passes ta vie à rater des choses. Qu’il s’agisse des chroniques à la radio ou du spectacle, je me dis tout le temps que j’aurais pu mieux faire.

« L’idée est de trouver des solutions collectives, et non pas individuelles. Après, mon but était quand même de faire du bien aux lecteurs. Je voulais les rassurer en leur disant que c’est normal de se sentir comme une merde. »

Je vois toutes mes failles, mais elles m’aident à progresser. Donc non, il n’y a aucune fausse modestie. Un semblant de notoriété ne va pas changer la personne que je suis ni la manière dont je me vois.

Avez-vous un rêve ultime, qui vous rendrait fier de vous-même – et non plus médiocre ?

Non, je n’en ai jamais eu. Mais j’ai énormément de chance de pouvoir faire ce métier. Je gagne de l’argent en faisant des blagues. C’est un peu absurde, je suis l’équivalent du Schtroumpf farceur.

Dans votre livre, vous soulignez aussi la médiocrité de la société. Quel est le top 3 des comportements les plus nuls de l’être humain ?

Cette question est beaucoup trop verticale, je ne peux pas faire de classement ! Mais je dois avouer qu’on est particulièrement nuls quand on se considère comme l’espèce la plus intelligente de la biosphère alors qu’on détruit notre écosystème, qui est notre seul moyen de survie. C’est quand même la plus belle connerie.

On a aussi longtemps cherché le propre de l’homme, ce qui est hyper prétentieux. On a analysé du côté de la génétique et de l’anatomie, mais ça n’a pas marché, puis on s’est rendu compte qu’on n’était pas les seuls à rire.

Aujourd’hui, 3,5 millions d’animaux sont tués chaque jour en France pour la consommation. C’est un truc de malade. Finalement, l’être humain s’octroie le droit de vie ou de mort sur des personnes qui sont des autres êtres vivants juste parce qu’ils ne nous ressemblent pas. Dans notre cerveau, la différence entraîne forcément une hiérarchie. On est vraiment idiots. J’imagine toujours des extraterrestres regarder notre monde comme une téléréalité. Ils doivent bien se marrer en se disant qu’on est sacrément cons.

Et vous la regarderiez avec eux, cette émission ?

Je la regarde tous les jours et j’en fais des chroniques (rires) ! Mon but n’est pas de pointer du doigt certains comportements ou personnes, mais d’expliquer pourquoi ils peuvent être problématiques.

J’imagine que vos amis les extraterrestres mangent du pop-corn en analysant les politiques actuels…

Le piège, c’est la structure dans laquelle ils sont. On dit souvent qu’ils sont nuls, mais s’ils ne l’étaient pas, ils ne seraient pas là. On ne peut pas reprocher à ces personnes d’être médiocres, alors que c’est précisément la raison pour laquelle la structure les a choisis. Le problème dans la politique, c’est que ceux qui s’investissent sont rapidement dégoûtés par ce système.

« La compétition nous ralentit, nous amène à tricher et à nous pousse à ne pas être toujours intègres. »

Guillaume Meurice

Pour monter les échelons, il faut faire des compromis, trahir ses potes ou alors négocier des places. C’est un taf pas très glorieux. Quand il n’y a plus de dégoûtés, il n’y a plus que les dégoûtants. Cette formule n’est pas de moi, mais elle fonctionne bien. Il faudrait une structure collective.

Quel système pourrait être mis en place pour accéder à une structure parfaite ?

La structure parfaite n’existe pas, mais ce n’est pas compliqué d’en imaginer une qui fonctionnerait mieux. Il faudrait une proportionnelle intégrale à l’Assemblée nationale pour plus de représentativité, virer le Sénat et le remplacer par une assemblée de citoyens tirés au sort, un conseil économique et social constitué d’experts qui répondent à des questions précises, et des conventions citoyennes qui sont écoutées.

Ce ne serait pas parfait, mais bien plus démocratique et efficace. D’autant plus qu’on travaille déjà collectivement au quotidien. Dans le boulot, on coopère toute la journée avec d’autres personnes, on aide des associations… On voit bien que les projets avancent grâce à la coopération. À l’inverse, la compétition nous ralentit, nous amène à tricher et nous pousse à ne pas être toujours intègre. Donc ce que je dis là n’est pas totalement révolutionnaire. Ça existe déjà. Il faut juste le développer.

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Vous critiquez aussi les coachs de développement personnel. Pourtant, votre livre m’a fait beaucoup de bien. Au final, ne faites-vous pas, vous aussi, partie de ce clan du bien-être ?

Je suis un coach en développement collectif ! Je comprends ce que tu dis, mais je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas un livre de développement personnel dans le sens où l’idée est de trouver des solutions collectives, et non pas individuelles. Après, mon but était quand même de faire du bien aux lecteurs. Je voulais les rassurer en leur disant que c’est normal de se sentir comme une merde.

Est-ce qu’il y a au moins un être humain qui ne vous inspire pas de la médiocrité ?

Aucun. C’est même pire que ça, toutes les idoles que j’avais m’ont déçu. Ce n’est pas leur faute, c’est juste des personnes que je surestimais quand j’étais gamin et qui ont évolué d’une façon qui ne me ressemble pas. Quand tu connais les gens, tu te rends compte que tout le monde a ses travers et ses failles. Et c’est normal.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste