Entretien

Olivier Norek : “Avec mes 17 ans de police, je ne pourrais écrire que trois épisodes d’une série”

13 avril 2022
Par Agathe Renac
Olivier Norek.
Olivier Norek. ©Bruno Chabert

Après avoir traqué des criminels pendant 17 ans, Olivier Norek a décidé de raconter ses histoires dans des polars. L’Éclaireur lui a fait passer un interrogatoire pour décrypter les séries policières et percer les secrets du métier.

Du flingue à la plume. Le virage peut paraître étonnant, mais Olivier Norek le trouve logique et sensé. Pendant presque 20 ans, le capitaine a travaillé au service de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. En 2013, peu après son premier succès littéraire (Code 93), il s’est mis en disponibilité. Malgré cette distance, il confie qu’il fera toujours partie de « cette grande famille qu’est la police ». Aujourd’hui, il consacre son temps à l’écriture de livres et de scénarios, notamment pour les séries Engrenages et Les Invisibles (qui a reçu le prix Vidocq à Séries Mania cette année).

L’Éclaireur a profité de la sortie de son dernier roman, Dans les brumes de Capelans, pour avoir son avis d’expert sur la représentation des flics à l’écran. Sans surprise, l’écrivain sait raconter des histoires. On aurait pu échanger avec lui pendant des heures, captivés par ses anecdotes et son expérience. Cette interview sera donc suivie par un deuxième épisode, centré sur le métier de policier et ses secrets.

Quels sont les clichés les plus récurrents dans les séries policières ?

Ah, les clichés… J’adore ça ! Déjà, dans les séries, il y a toujours le flic qui a tout compris et le reste de l’équipe qui reste dans l’ombre. En réalité, chaque membre est capital et on travaille tous ensemble. Contrairement à ce qu’on voit à la télé, les équipes ne se limitent pas à deux personnes (comme les Américains), mais elles peuvent être composées de quatre, cinq, parfois huit membres. On est tous complémentaires : un flic va faire l’enquête de voisinage pendant que l’autre travaille sur la téléphonie et un autre encore sur les réseaux sociaux.

Tiens, les réseaux sociaux… Parlons-en ! On nous voit comme les Big Brother et on entend souvent : “Vous nous écoutez, vous nous surveillez. Vous connaissez le lieu où j’ai eu mon permis de conduire, mes antécédents judiciaires, vous savez si j’ai payé mes impôts… Vous en savez trop.” Ça me fait rire, parce que les gens remplissent eux-mêmes les plus gros fichiers d’informations que sont Facebook, Instagram et Twitter. Quand on cherche quelqu’un, c’est la première chose qu’on regarde. Par exemple, le braqueur sur lequel on enquête a fêté son anniversaire et a publié une photo. On y voit ses potes, dont deux de ses complices. Et il va nous dire : “Mais c’est pas moi, en juillet, j’étais à Ibiza !” Bah non, en juillet t’étais à Créteil et on a une photo qui le prouve.

On voit aussi les différents services se battre pour récupérer une affaire. Cette petite guerre interne existe-t-elle sur le terrain ?

C’est vrai qu’on voit souvent cette situation dans les séries : il y a un meurtre, une équipe est sur l’affaire et d’autres flics, furieux, arrivent et disent que c’est leur territoire, donc leur enquête. Dans le 93, on a des centaines d’affaires par an, donc si un autre service veut en reprendre une, on leur donne avec plaisir. Personne ne va se battre, sauf si c’est un énorme cas médiatique qui va faire briller notre brigade. Mais, dans la réalité, on est très souvent confrontés à des histoires tristement banales pour lesquelles personne ne va se battre.

« Si je commettais un meurtre, je serais plus rassuré de savoir que les flics s’occupent de mon affaire plutôt que les gendarmes. »

Olivier Norek

J’ai connu un équipage de police qui était sur un homicide et qui a bougé la victime dans la rue voisine pour qu’elle revienne aux flics du département limitrophe. Ils avaient trop de travail et ça les arrangeait qu’elle soit confiée à une autre équipe. Bon, c’est clairement une modification de scène de crime et c’est honteux, mais c’est un exemple – très rare – qui illustre bien la situation.

En parlant de rivalité, les séries montrent l’opposition entre la police et la gendarmerie. Existe-t-elle réellement ?

On voit le même phénomène dans les œuvres américaines avec le FBI et la CIA. Mais en vérité, on travaille très bien avec la gendarmerie. Nos méthodes sont différentes : les flics sont des bulldozers et les gendarmes des fourmis. L’une est civile et rock’n’roll, l’autre est militaire et très cadrée. Et quand on met ces deux services ensemble, on est inarrêtables. Nous, on met énormément de moyens, on peut bosser h24 quand c’est nécessaire.

Mais comme on a beaucoup d’affaires, certaines vont passer dans les classements sans suite ou sur le bas de la pile. Les gendarmes, eux, vont ouvrir des cellules d’enquête. Même 25 ans après la disparition d’un gamin, elles sont toujours actives. Ils n’abandonnent jamais et il y a toujours quelqu’un qui grattera pour connaître la vérité. Mais si je commettais un meurtre un jour, je serais plus rassuré de savoir que les flics s’occupent de mon affaire plutôt que les gendarmes.

La fiction dépeint des flics qui enchaînent les journées de travail et ne s’arrêtent jamais. Vous prenez le temps de dormir, parfois ?

Quand on a une affaire avec la possibilité de réitération (comme un violeur en série) ou un enlèvement avec demande de rançon, on va travailler h24. On n’est pas des super-héros, donc en général on met deux équipes sur l’affaire et elles se relaient toutes les 12 heures. Mais sinon, oui, on prend du temps pour nous et on se repose. On doit avoir la tête sur les épaules, être prêt physiquement et bien équilibré, parce qu’on a un flingue, une carte et qu’on fait appliquer la loi. Pour moi, un flic “chien fou” qui ne dort pas, qui est tout le temps au taquet et qui veut toujours aller au conflit est un élément négatif pour l’équipe. J’ai besoin de personnes qui ont une vie à côté et qui font attention à leur famille, à leurs enfants.

« Les flics borderlines comme on aime voir dans les séries, c’est exactement ce que je ne prendrai pas dans mon équipe. »

Si un poulet me dit qu’il va au théâtre ou au cinéma entre midi et deux, je le remercie et je lui dis d’aller s’aérer la tête. On est en plein milieu de la société, donc notre culture générale et nos connaissances de l’humain sont importantes pour les enquêtes. Certains s’excusent en me disant qu’ils doivent partir à 19 heures, mais pour moi c’est positif. Un flic qui est bien dans sa tête, c’est un flic qui ne fera pas de bavure. Donc les borderlines qu’on aime voir dans les séries, c’est exactement ce que je ne prendrai pas dans mon équipe.

On voit aussi les brigades enchaîner les enquêtes et résoudre des affaires de meurtre et de kidnapping toutes les semaines. Vous avez aussi ce rythme dans la réalité ?

Le service ne prend jamais de pause, c’est du 24h/24, 7j/7. Dans les séries, on voit toujours la même équipe pour des soucis de scénario et de budget, mais dans la réalité les flics prennent des breaks, il y a des roulements. Les fictions veulent montrer toutes les enquêtes possibles, donc ils vont suivre des meurtres, des agressions sexuelles, des enlèvements avec demande de rançon… Mais en fait, chaque infraction a son service spécialisé.

Et il faut être honnête : les histoires incroyables et complexes qu’on nous montre dans les séries, ce sont des affaires d’une vie. En 17 ans de métier, je n’ai eu que trois enquêtes de ce genre : le cannibale, le violeur en série et le mec aux 12 identités. Le dernier était un escroc financier qui utilisait plusieurs identités. À chaque fois que j’essayais de l’arrêter, il avait un train d’avance sur moi et je le ratais parfois de quelques jours. On a joué au chat et à la souris pendant neuf mois, avant que je l’attrape. Donc avec mes presque 20 ans de police dans le département le plus criminel de France, je ne pourrais écrire que trois épisodes d’une série !

Quelle série représente le mieux la réalité du terrain et le métier de flic ?

Aux États-Unis, la Bible ultime est The Wire. En France, Le Bureau des légendes illustre parfaitement les services de la DGSI, de la DGSE, des services d’infiltrés et les agents secrets. Après, ça dépend ce qu’on veut voir. Si on préfère une série ludique et grand spectacle, on peut regarder Braquo, où les flics tirent à la kalachnikov dans la rue et ont des Hummer et des Porsche Cayenne – qui est évidemment notre voiture de tous les jours. À l’inverse, si on a vraiment envie de voir ce qu’il se passe sur le terrain, il y a Engrenages. Ils travaillent avec des consultants chez les flics, les juges, les avocats, les ex-malfrats… Et ils ne commencent jamais l’écriture avant d’avoir parlé des heures, voire des semaines avec eux. Au début, je bossais pour cette série en tant que consultant, puis je suis devenu l’un de leurs auteurs pour la sixième saison.

Et vous avez pu écrire l’enquête de vos rêves ?

Le problème avec les séries, c’est qu’on est limité par le budget. Parfois, on ne peut pas montrer toute la complexité du métier, parce que ça coûterait trop cher. Quand on m’a proposé d’écrire le premier meurtre de cette nouvelle saison d’Engrenages, j’étais tellement excité que je leur ai fait un truc de fou. Ça commençait à la Gare du Nord, avec un meurtre dans l’Eurostar et des centaines de personnes qui sortent en criant. Les producteurs m’ont dit que le scénario était très bien, mais que tout le budget de la série allait passer dans ma scène d’introduction. Alors j’ai réécrit le passage.

Cette fois, il y avait une grue, et un cadavre se trouvait au bout du filin. La caméra suivait le réveil de cinq familles différentes qui voient passer le corps devant leur fenêtre. La production m’a dit que c’était super, mais qu’il fallait cinq appartements, cinq familles différentes, une grue, un cadavre… Bref. Au final, le corps a été découvert dans une poubelle. Ça nous a coûté quelques euros et un peu de maquillage. L’avantage quand t’es auteur de roman, c’est que t’es seul capitaine à bord et que tu peux tout inventer. T’es multimillionnaire, tu dois juste payer l’encre !

Certaines séries sont néanmoins très proches de la réalité et dévoilent même les secrets du métier. Des policiers regrettent d’ailleurs le fait que des malfrats se servent de ces informations pour dissimuler des preuves…

On a été confronté à ce genre de problème. Dans un épisode des Experts, un assassin passe la pièce à la javel pour flinguer l’ADN. Un jour, on arrive sur une scène de crime et les mecs de l’Identité judiciaire ont tenté de trouver de l’ADN, mais ils n’ont pas réussi : tout avait été passé à la javel. Oui, des criminels et des délinquants regardent des séries comme Engrenages en se disant que des techniques seront peut-être révélées.

Dans les brumes de Capelans est mon dernier roman et je parle du service de protection des repentis et des témoins, qui a ouvert il y a seulement quelques années. J’ai eu la chance de discuter avec eux et ils m’ont raconté toute leur histoire et leur fonctionnement. Dans mon intrigue, je pars de ces faits et je raconte une histoire vraisemblable. Elle est vraie, mais pas à 100 %. Par exemple, je dis qu’il y a 12 résidences surveillées dans le monde, mais c’est peut-être moins, peut-être plus. Je donne quelques techniques qui semblent réelles, mais qui ne sont pas tout à fait exactes. Je fais attention à ne pas empiéter sur le travail de mes collègues.

Dans les brumes de Capelans, d’Olivier Norek, Michel Lafon, 400 p., 20,95 €, en librairie depuis le 7 avril 2022.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste