Critique

Families Like Ours : une série catastrophe intimiste, signée Thomas Vinterberg

06 janvier 2025
Par Marion Olité
“Families Like Ours”, le 6 janvier sur Canal+.
“Families Like Ours”, le 6 janvier sur Canal+. ©Canal+

Le réalisateur de Festen et Drunk effectue sa première incursion dans le monde des séries. Cette fiction catastrophe prenante, diffusée à compter du 6 janvier sur Canal +, suit les aléas d’une famille danoise qui se retrouve réfugiée climatique.

Présentée à la dernière Mostra de Venise, Families Like Ours débute avec une terrible annonce pour le peuple danois : le gouvernement a décidé de préparer l’évacuation complète du pays. Le Danemark fait face à une inexorable montée des eaux et sera bientôt complètement submergé. Le récit débute six mois avant l’évacuation, alors que le pays s’organise pour envoyer ses habitants dans divers États européens alliés.

Laura (Amaryllis April Maltha August), une adolescente aux parents divorcés, doit choisir entre suivre Jacob (Nikolaj Lie Kaas), son père architecte, ou Fanny (Paprika Steen), sa mère journaliste, envoyés dans des pays différents. Et puis la jeune femme est amoureuse d’Elias (Albert Rudbeck Lindhardt), avec lequel elle veut aussi partir.

La série suit d’autres membres du groupe, comme l’oncle Nikolaj (Esben Smed), un cadre dans l’administration danoise, en couple avec Henrik (Magnus Millang) et qui obtient l’information de l’évacuation du pays avant tout le monde. En sept épisodes, on suit la dislocation progressive de cette famille danoise aisée, qui ne réalise pas tout de suite son nouveau statut, celui de réfugiée.

Derrière le scénario catastrophe, du pur Vinterberg

À première vue, le cinéma de Thomas Vinterberg peut sembler à mille lieues de cette histoire aux allures de Titanic – cette fois, c’est un pays entier qui coule – sur fond de crise écologique. En effet, le cinéaste danois a atterri sur la planète ciné avec Festen (1998), drame familial coup de poing sur l’inceste et film fondateur du Dogme95. Ce mouvement cinématographique danois, lancé sous l’impulsion de Thomas Vinterberg et Lars Von Trier, avait pour ambition de « déshabiller le cinéma, de le rendre le plus pur possible, expliquait le cinéaste au média Konbini. Nous avons essayé de nous débarrasser de tous les outils superficiels. »

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S’il a laissé les années Dogme derrière lui, Thomas Vinterberg a conservé son regard brut et décalé sur la nature humaine. En témoignent des films comme La chasse (2012) ou Drunk (2020), réflexions sur la noirceur de l’être humain portées par les performances marquantes de Mads Mikkelsen.

Le réalisateur aime explorer différents genres cinématographiques, du thriller (La chasse) à la comédie (La communauté, 2016) en passant par le film-catastrophe Kursk (2018), qui retrace la tragédie du naufrage du sous-marin russe K-141 Koursk. Avec ce film, Vinterberg bousculait déjà les codes du genre catastrophe, en délaissant les effets spéciaux pour rester au plus près de ses personnages.

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Dans Families Like Ours, on retrouve cette volonté de raconter les conséquences d’un événement extérieur de grande ampleur sur un groupe de personnes : ici, une famille. Le contexte géopolitique ou la façon dont le Danemark gère ses réfugiés climatiques restent en toile de fond. Les amateurs de fiction catastrophe spectaculaire passeront leur chemin.

Le naufrage d’une famille

Avec une mise en scène naturaliste, le réalisateur se concentre sur les dynamiques relationnelles dans la famille et la façon dont elles se retrouvent mises à nu par ce changement de paradigme. Laura se voit offrir une place à la Sorbonne en France, mais elle ne veut pas laisser sa mère précaire partir seule à Bucarest, sans savoir si elle la reverra un jour. Henrik doit faire face à la relation toxique qu’il entretient avec un frère brutal et homophobe. Jacob et sa femme subissent un déclassement qu’ils pensaient inimaginable il y a quelques mois.

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L’exploration des relations familiales reste le thème favori de Thomas Vinterberg, dont l’œuvre est fortement influencée par son compatriote Ingmar Bergman, autre grand cinéaste de l’intime. Et le réalisateur s’est aussi créé une famille de cinéma. On retrouve dans Families Like Ours des interprètes de ses précédents films, comme Paprika Steen (Festen), Albert Rudbeck Lindhardt (Drunk), Magnus Millang (La commune, Kursk) ou encore Thomas Bo Larsen (Drunk, La chasse, Festen).

Dans le rôle du père de famille dépassé par les événements, le réalisateur a recruté le très bon Nikolaj Lie Kaas, découvert dans Les idiots (1998) de Lars Von Trier. Cœur battant de la série, Laura est incarnée par Amaryllis April Maltha August, une jeune actrice prometteuse à laquelle on s’attache rapidement.

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De fait, la réussite du show repose sur les épaules de ce casting choral au diapason. Il est accompagné par une photographie sobre et réaliste, qui rappelle par quelques plans du Danemark progressivement submergé le drame climatique qui se joue. Les premiers épisodes ensoleillés au pays font place à la grisaille des accueillants (la France, l’Angleterre, la Roumanie…), métaphore du deuil que vivent les personnages déracinés.

Une série qui résonne avec l’actualité

C’est la première fois que Thomas Vinterberg se lance dans l’écriture et la réalisation d’une série. S’il estime avoir abordé l’histoire comme « un film très long », le réalisateur s’est plié aux spécificités de la narration sérielle. « J’ai dû créer des cliffhangers spécialement pour ce format, et adhérer à un nombre fixe de minutes par épisode, ce à quoi je ne suis pas habitué, expliquait-il à Cineuropa. […] Mais ma liberté créative a été totale. »

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La production souffre de quelques incohérences, mais on se laisse happer par le mélodrame familial qui se joue sous nos yeux. Prenant place avant l’évacuation, les premiers épisodes possèdent quelques longueurs. Mais le cinéaste parvient par la suite à tisser un récit de plus en plus haletant. Plus rythmée, la deuxième partie de la saison se révèle particulièrement intense, tandis qu’on suit l’épopée désespérée de plusieurs personnages.

Même s’il se défend de toute « intention politique ou moralisante », Thomas Vinterberg narre une histoire qui résonne fortement avec l’actualité. Families Like Ours est un récit de transfuge de classe comme on en voit peu, celui d’une famille qui vivait jusqu’ici dans le privilège et va découvrir la véritable injustice et le statut peu enviable de réfugié.

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Impossible de ne pas effectuer le parallèle avec les millions de réfugiés climatiques qui ne viennent pas de pays riches comme le Danemark, un phénomène qui va s’amplifier dans les prochaines années. On pense aussi au sort des Ukrainiens, dont les vies ont été bouleversées depuis que la Russie a envahi le pays en 2022, déclenchant une grave crise humanitaire. En échangeant les rôles, et en plaçant un peuple privilégié dans la situation de réfugiés sans papiers, le show invite à l’empathie envers des personnes trop souvent réduites à une foule indistincte et déshumanisée, dont on ne connait pas les histoires poignantes. En regardant cette série, on se demande : « Que ferions-nous à leur place ? ».

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Contrairement à la mordante Years and Years, mini-série anglaise de Russell T Davies qui suivait sur plusieurs décennies la destinée d’une famille anglaise face à la crise écologique et à la montée de l’extrême droite, Families Like Ours conserve une lueur d’espoir dans l’humanité et un étonnant sentimentalisme.

La série ne montre pas seulement la cruauté du monde et la décadence humaine, qui a entraîné celle de la planète. Elle place sa confiance dans notre capacité à nous aimer, à nous reconstruire ensemble et à être guidés par notre conscience du Bien. Après le deuil – de personnes disparues, d’un pays tout entier – vient cette pulsion de vie, matérialisée par une scène de célébration qui fait écho à celle de Festen. Avec cette production, Thomas Vinterberg poursuit une œuvre cohérente, qui nous incite à réfléchir aux douleurs, à la cruauté et aux joies de la condition humaine.

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