Décryptage

Les séries écologiques sont-elles à la hauteur du combat climatique actuel ?

25 octobre 2023
Par Samuel Leveque
“Extrapolations” est une série d'anticipation qui nous plonge dans un futur dystopique.
“Extrapolations” est une série d'anticipation qui nous plonge dans un futur dystopique. ©Apple TV+

Ce 25 octobre, Netflix lance en grande pompe la série La Vie sur notre planète produite par Steven Spielberg, retraçant des milliards d’années de vie sur Terre. L’occasion de se demander si nos productions audiovisuelles sont à la hauteur des enjeux actuels en matière de changement climatique et de prise de conscience écologique.

Prouesse technologique, regard inédit utilisant les dernières découvertes en matière de paléontologie, narration spectaculaire par Morgan Freeman himselfLa Vie sur notre planète promet de nous faire revivre la saga des cycles d’apparition et de disparition de la vie sur la planète bleue, tout au long d’une série documentaire.

Alors que nous vivons actuellement une sixième extinction de masse de la biodiversité, il est légitime de s’interroger sur l’utilité de ce genre de programme. Contribuent-ils à une prise de conscience écologique ? Ne sont-ils que de simples divertissements nous détournant des solutions à mettre en place ? Les spécialistes ont donné leur verdict.

Approche frontale ou poétique ?

Les séries, les documentaires et les fictions mettant en scène la nécessité de protéger les écosystèmes existent depuis bien longtemps. Des dessins animés parfois lénifiants des années 1990 (Captain Planet, SOS Polluards) aux grandes fresques contemplatives à la Yann Arthus-Bertrand (Home, Legacy), l’offre ne manque pas. Des études spécialisées sur le sujet démontrent même à quel point elles se sont multipliées de manière spectaculaire en quelques années.

Utopia, située dans un proche futur, proposait une approche très frontale de la crise climatique.

Dans l’univers des séries, certaines approches s’opposent. Il y a les documentaires éducatifs, souvent esthétisants, qui mettent en scène la nature pour nous en montrer la beauté et la nécessité de la préserver (comme Our Planet), et les shows qui ont opté pour un point de vue plus frontal, comme Utopia. Diffusée entre 2013 et 2014, la série britannique posait la question de l’urgence du combat écologique en y apportant des solutions si radicales qu’elles en devenaient moralement perturbantes.

Our Planet©Netflix

Pour l’écologue Michel Loreau, auteur du récent essai Nature That Makes Us Human et grand spécialiste des rapports entre fiction et écologie, ces deux approches sont complémentaires. « Le cerveau humain fonctionne en se racontant des histoires, détaille-t-il. Nous avons un fonctionnement neurologique très narratif. Nous avons besoin de nous raconter de belles histoires sur la nature pour appréhender ce à quoi elle ressemble, mais également des récits plus violents, et plus durs, pour comprendre les enjeux immédiats. »

Notre perception des problèmes écologiques comme enjeu narratif

Pour l’écrivain et réalisateur Cyril Dion, au travail sur la future série climatique We Could Be Heroes, les fictions ont un rôle essentiel pour nous faire comprendre des problématiques écologiques complexes. Elles nous permettent notamment de sortir de certains débats manichéens (comme l’énergie nucléaire) pour en illustrer les problématiques complexes. « La force d’une série, c’est qu’elle est incarnée, vivante, expliquait-il lors d’une conférence donnée à Series Mania en 2023. C’est quelque chose dont on a souvent besoin pour comprendre des questions aussi compliquées. »

Extrapolations©Apple TV+

W. Ian Lipkin, professeur d’épidémiologie et consultant sur la série télévisée Extrapolations, pense quant à lui que la fiction écologique est un moyen très important pour « élargir le cercle » des personnes qui ne se sentent pas immédiatement concernées. « Le plus grand ennemi de la cause climatique, c’est l’ennui, l’indifférence », complète-t-il.

Une réflexion qui explique la multiplication des formats narratifs affrontant directement la question climatique. Outre les possibilités qu’elles offrent en matière de storytelling, elles sont également un moyen d’aborder ces problèmes d’une manière captivante. Le journaliste scientifique Gayathri Vaidyanathan va dans ce sens et ajoute que « nous avons aussi besoin de séries qui dépeignent une possible utopie ».

Pour Michel Loreau, « si on ne nous présente que des histoires affreuses et apocalyptiques, il y a un risque de véritable paralysie. Si on se dit “à quoi bon, tout est foutu !” à longueur de temps, on aura du mal à changer nos modes de vie et notre manière de produire et de consommer. On pourra facilement se laisser séduire par n’importe qui arrivant avec un récit techno-solutionniste magique qui résoudrait soi-disant tous les problèmes sans que nous ne changions rien à notre quotidien. »

Un vecteur de prise de conscience, mais pas nécessairement une solution

Certains chercheurs rappellent aussi les limites des fictions climatiques d’anticipation, qui peuvent parfois utiliser leur médium pour faire passer des messages scientifiquement faux. Matthew Schneider-Mayerson, professeur à l’université de Colby dans le Maine, rappelle ainsi un exemple célèbre dans un article sur les « cli-fi » (la science-fiction à thématique climatique).

En 2004, le fameux auteur de polars Michael Crichton (Jurassic Park, Westworld) avait ainsi livré sous couvert de fiction une thèse climatosceptique, paranoïaque et complotiste dans son livre État d’urgence, régulièrement brandi par des adversaires de la cause écologiste comme un manifeste politique.

D’une manière générale, on nous invite à avoir beaucoup de recul sur les fictions et les documentaires traitant de la question du changement climatique, qui sont un bon outil pour réaliser l’urgence de la situation, mais pas nécessairement pour changer le monde en profondeur. Certes, les personnes fréquemment exposées aux fictions apocalyptiques et aux films de zombie seraient légèrement mieux adaptées et préparées aux changements brutaux, mais l’effet immédiat s’arrête là.

Pour Michel Leurot, « on peut raconter toutes les histoires qu’on veut et être très sensibilisés par des fictions de grande qualité, mais le vrai changement doit être à la fois politique et dans le changement radical de nos modes de comportement, de la prise en compte de nos besoins, et de notre manière de vivre en tant que société ».

The Fortress, série norvégienne de 2023 sur le thème des réfugiés climatiques.©Viaplay/Maipo Films

La multiplication des séries sur le thème du climat ou des documentaires sur l’écologie constitue un impressionnant outil de sensibilisation ou de choc, mais elle ne peut remplacer un véritable changement en profondeur des politiques climatiques, porté sur la durée par la sphère politique comme par la société civile.

À partir de
18,50€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par