Décryptage

Pourquoi Le Problème à trois corps est-il déjà la série SF la plus ambitieuse et la plus casse-cou de tous les temps ?

21 mars 2024
Par Olivier Ghis
“Le Problème à trois corps” est disponible sur Netflix depuis le 21 mars.
“Le Problème à trois corps” est disponible sur Netflix depuis le 21 mars. ©Netflix

Les créateurs de Game of Thrones se sont lancés dans un défi de taille : adapter un best-seller et un mastodonte de la science-fiction.

La fantasy et la SF ne comptent plus les œuvres littéraires cultes réputées compliquées, touffues et impossibles à porter à l’écran. On l’a vu avec les déboires du Seigneur des Anneaux (J. R. R. Tolkien), que Peter Jackson a mis près d’une décennie à adapter, le chemin de croix de David Lynch sur Dune (Franck Herbert) ou le laborieux casse-tête imposé aux scénaristes par la transposition de Fondation (Isaac Asimov), saga colossale qu’ils ont dû ramasser en version « light », au prix de coupes et de trahisons qui ont fait hurler les fans.

Sans oublier les errements d’autres monuments de la SF, tel que le vertigineux Hyperion (Dan Simmons), que Bradley Cooper tente de porter à l’écran depuis 2011. Projet maintes fois annoncé, d’abord en série puis en film, avant d’être systématiquement enterré. C’est dire l’effarant défi relevé par l’adaptation du Problème à trois corps, dont l’ambition dépasse, de très loin, toutes les œuvres précitées. Présentée en ouverture de Séries Mania vendredi 15 mars et diffusée sur Netflix à partir de ce jeudi, la série s’avère fascinante.

Une saga d’une ampleur inédite

D’abord parce que le roman – publié en 2008 sous la plume de Liu Cixin – ne se contente pas de renouveler radicalement la SF, il est aussi d’une ampleur inédite. Pour faire simple : il s’ouvre dans la Chine de 1967, secouée par la Révolution culturelle, pour s’achever à la fin des temps, aux confins de la galaxie.

On y voit la Terre aux prises avec l’explosion programmée du Soleil, l’humanité lancée dans une redoutable partie d’échecs avec une civilisation extraterrestre aussi avancée que malveillante, tandis qu’une poignée de scientifiques – pas forcément d’accord entre eux – tente de sauver l’espèce. Le tout dans un univers mystérieusement menacé d’effondrement.

Un exemple ultime de “hard SF”

Ensuite parce qu’il est complexe, souvent métaphysique, mais aussi diablement technique. En effet, son auteur, le Chinois Liu Cixin, longtemps ingénieur à la centrale électrique de Yangquan (au sud de Pékin), est un partisan de la « hard SF ». Autrement dit : une science-fiction où la rigueur scientifique n’est pas prise à la légère. L’intrigue doit ainsi coller aux théories des mathématiques, de la chimie ou de l’astrophysique. Bref, mieux vaut revoir certains passages deux fois.

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Disons même, pour être plus clair, que comparées au Problème à trois corps, des sagas comme Dune ou Star Wars semblent aussi simplettes que les aventures de Oui-Oui et de Fantômette. Sans oublier que Liu Cixin, par sa culture, déploie des codes narratifs parfois loin des canons de la SF mainstream, surtout occidentale. D’où de multiples digressions – tantôt poétiques, historiques ou méditatives – forcément déroutantes de prime abord.

Une adaptation attendue au tournant

Défi supplémentaire : ne pas décevoir. En effet, Le Problème à trois corps s’est vendu à plus de 35 millions d’exemplaires. Il est plébiscité sans réserve par les experts du genre, qui en font le plus fascinant, si ce n’est le plus puissant des romans de SF jamais écrits – rien que ça. L’ouvrage compte d’ailleurs parmi ses inconditionnels Mark Zuckerberg ou encore Barack Obama, qui a confié au New York Times que le livre lui a permis « d’avoir une perspective cosmique pendant la frénésie de la présidence ».

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La Maison-Blanche a même demandé à l’éditeur de Liu Cixin de lui envoyer en avance une copie des volets suivants (La Forêt sombre et La Mort immortelle, qui complètent cette trilogie). C’est dire les attentes qui entourent l’adaptation.

Équipe mythique et budget colossal

Pour s’emparer d’un tel monstre, il fallait trois hommes que la démesure n’effraie pas : les créateurs de Game of Thrones, David Benioff et D. B. Weiss, épaulés par le showrunner de True Blood, Alexander Woo. Tous fans – évidemment – de Liu Cixin, mais surtout connus pour leur exigence visuelle, leur refus du compromis (quitte à bousculer le « politiquement correct ») et leur suprême habileté à tenir, sur le temps long, les mille et un fils d’une trame complexe, entre action et réflexion, scènes épiques et profondeur psychologique.

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Netflix, de son côté, n’a pas lésiné sur les moyens, accordant à l’équipe pas moins de 200 millions de dollars. Autant de facteurs qui classent d’emblée la série comme l’adaptation SF la plus ambitieuse et, de facto, la plus périlleuse de l’histoire.

Une adaptation à la hauteur

Assurément, pour cette première saison, Netflix tient ses promesses. Non seulement la série parvient à rester fidèle au roman – ce qui, on l’a vu, n’est pas si simple – mais elle réussit, par l’image, à lui donner un nouveau souffle, une tension supplémentaire. On retrouve là toute l’inventivité visuelle du tandem Benioff-Weiss, servie par l’habileté narrative d’Alexander Woo. Résultat : on accroche très vite.

Sans jamais être égaré par les difficultés majeures du Problème à trois corps : ses allers-retours incessants dans le temps et son côté « hard SF », résolument scientifique. Sur ce dernier point, la série joue d’ailleurs finement la carte de la pédagogie, prenant le temps d’éclairer en quelques scènes, toujours bien amenées, les notions d’astronomie ou de mécanique quantique qui échapperaient au spectateur.

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L’enjeu devient alors captivant : comment sauver l’humanité, menacée par une civilisation extraterrestre bien plus avancée ? Quels moyens mettre en œuvre pour y parvenir ? Questions à la fois vertigineuses et très concrètes, portées par une galerie de personnages aussi contrastés qu’attachants. C’est l’autre réussite du show : un casting sans faute, où l’on retrouve avec plaisir des figures de Game of Thrones – John Bradley-West, Jonathan Pryce, Liam Cunningham – accompagnées de la troublante Eiza González (Mr. et Mrs. Smith) et de l’impeccable Benedict Wong (Marco Polo, Black Mirror).

Seul bémol : quelques parenthèses psychologico-sentimentales étirées, encombrant certains épisodes. Un péché véniel, qui n’affecte heureusement qu’à la marge la qualité de l’adaptation. Un premier pas réussi, donc. Même si l’essai, pour Netflix, reste à confirmer sur les saisons suivantes : car avec Le Problème à trois corps, la densité – comme la difficulté – va crescendo.

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