Avis aux fans de romances automnales et de grands espaces : la saison 6 de Virgin River débarque ce 19 décembre sur Netflix. Ce succès tranquille n’émeut pas vraiment la critique, mais réjouit chaque année son public. On a mené l’enquête pour trouver la recette magique de cette série pour laquelle l’expression « plaisir coupable » semble avoir été inventée.
Si nos goûts culturels sont forgés par la notion toujours discutable de « bon goût », je dois bien avouer que je ne crie pas sur tous les toits mon amour pour Virgin River, une série qui ne changera pas la face du monde. Mais cela ne m’empêche pas de prendre un grand plaisir à la visionner, et même de l’attendre chaque hiver. Basée sur les romans éponymes de Robyn Carr et développée par Sue Tenney, la production a été lancée en 2019 sur Netflix.
Cette romance rurale commence par l’arrivée de Mel Monroe (Alexandra Breckenridge), une citadine à bout de souffle, dans la petite ville reculée de Virgin River, en Californie. Sur place, elle fait la connaissance d’habitants hauts en couleur, à commencer par Vernon Mullins (Tim Matheson), un docteur têtu comme une mule avec lequel elle va devoir travailler, la mairesse Hope McRea (Annette O’Toole), au caractère tout aussi bien trempé ou encore Jack Sheridan (Martin Henderson), un ancien marine bourru et sexy qui gère un bar-restaurant, QG de toute la ville. La série tourne autour de la romance naissante et longtemps contrariée entre Mel et Jack. Mais, à l’instar d’un Gilmore Girls, les personnages secondaires constituent aussi l’âme du show et on a plaisir à suivre leurs péripéties de saison en saison.
Soif de grands espaces
Virgin River, c’est un peu L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux si le film de Robert Redford avait été une série. Elle y fait d’ailleurs référence dans sa saison 6, qui contient une intrigue autour d’un cheval blessé. Cette présence de la nature dans chaque épisode – soulignée dès le titre (« la rivière vierge ») – fait partie de son ADN. Avec son univers boisé et ses soirées plaid au coin du feu, ce show annonce l’arrivée de la saison automnale dans ce qu’elle a de plus réconfortant. Netflix l’a bien compris : cette production est généralement diffusée entre septembre et décembre.
C’est aussi la seule série devant laquelle je m’extasie sur les plans de transition (au moins un « Wow ! » par épisode) : des montagnes au lever de soleil, des rivières galopantes au milieu de forêts bordées de sapins, des cascades spectaculaires… Les réalisatrices et réalisateurs apportent autant d’attention aux plans de coupe qu’aux séquences parlées.
Cette imagerie sauvage joue à plein sur les fantasmes de grands espaces des citadins, en particulier après la crise du Covid en 2020. Le show nous plonge dans un monde rassurant, où la crise écologique n’existe pas et où la nature conserve toute sa majesté. Ce refuge visuel nous est offert par le Canada : tout est tourné à Vancouver et dans d’autres villes de la Colombie-Britannique.
Voir la nature déployer toute sa beauté sur un écran nous procure un plaisir immédiat, comparable aux sublimes photos des influenceurs voyage sur Instagram, hashtag #vanlife. La saison 6 de Virgin River possède des flashbacks durant les années 1970, dans lesquels la mère de Mel rencontre l’amour, évidemment à bord d’un van Volkswagen, qui l’emmènera… à Virgin River. Car tous les chemins mènent à Virgin River !
Trois louches de stéréotypes de genre…
En bonne romance hollywoodienne, Virgin River n’a pas peur des clichés. Son histoire d’amour repose sur un archétype genré : la love story entre une infirmière et un soldat. Mel prend soin de son homme viril, mais abîmé par la vie. Si elle est autant appréciée par les habitants de la ville, c’est parce qu’elle prend soin de tout le monde avec le sourire, tout en ayant un poste subalterne qui ne fait pas d’ombre au Doc.
Ce dernier peut alors développer avec Mel, prototype de la femme parfaite, une relation père-fille de substitution fort attendrissante. Prendre soin des autres en exerçant un métier mal rémunéré, c’est exactement ce qu’on attend des femmes dans notre société, où elles représentent 88 % du personnel infirmier et la majorité des métiers du care (auxiliaires de vie, aides à domicile…).
Les hommes de Virgin River doivent, eux, correspondre à la masculinité hégémonique : être forts et musclés, exercer un métier prestigieux (pompier, policier, marine, médecin…) et protéger ces dames. Tout en se défendant d’une quelconque idéologie, la série perpétue une vision genrée des rôles masculins et féminins. La saison 6, centrée sur les préparatifs du mariage de Mel et Jack, en fournit une preuve éclatante.
Le traitement des enterrements de vie de jeune fille et de garçon est digne d’une comédie romantique des années 1990. Affublées de roses et de tiare, les filles font du karaoké tandis que les garçons se lancent dans une partie de paintball et mangent des ribs. L’épisode du mariage coche toutes les cases attendues et effectue des clins d’œil aux classiques du genre comme Le Mariage de mon meilleur ami et Just Married (ou presque).
Les personnages LGBTQ+ se font rares à Virgin River : une apparition dans un épisode ou une courte intrigue en saison 5 (avec le passage d’Ava, la grande sœur lesbienne de Tara). On aurait tendance à oublier Hannah (Clare Filipow), seul personnage queer récurrent de la série, au temps d’écran microscopique en saison 6.
Côté diversité, le show fait aussi le minimum syndical. Il met en scène un personnage noir récurrent, Preacher (Colin Lawrence), le meilleur ami de Jack, qui a divers love interests au fil des saisons, dont deux femmes noires. On note la présence de personnages tertiaires racisés comme Denny Cutler (Kai Bradbury) ou Mike Valenzuela (Marco Grazzini), qui ne parlent jamais de leur double culture. Le racisme n’existe pas à Virgin River.
Mais alors, pourquoi continuer à regarder cette production en ayant conscience de toutes ses failles ? Comme la majorité des Français, j’ai reçu une éducation genrée. J’ai lu et visionné quantité de fictions qui reproduisent des tropes hétéronormatifs (l’élue qui va guérir son homme, le coup de foudre au premier regard, le mariage de princesse…). Notre cerveau aime la répétition et la catégorisation. Regarder des fictions comme Virgin River, qui proposent des variantes d’histoires que nous connaissons déjà, est familier et rassurant.
Ajoutez-y des paysages grandioses et des maisons de rêve, et vous aurez de fortes chances d’activer votre circuit cérébral de la récompense. Il s’agit du mécanisme par lequel notre cerveau mémorise un stimulus agréable, à travers la libération de dopamine. Au-delà des besoins primaires (manger, dormir, boire), il a été démontré que « la contemplation d’un tableau ou l’écoute d’un morceau de musique, quel que soit le style, peuvent stimuler, eux aussi, le circuit de la récompense ». En d’autres termes, mon cerveau aime Virgin River, qui le lui rend bien.
… pour une louche de modernité
Derrière ses airs de Petite Maison dans la prairie, la série instille tout de même un peu de modernité dans ses intrigues. Écrite par une writer’s room mixte, elle met en avant une belle variété de personnages féminins, de tous âges, et en particulier des femmes de 60 ans et plus qui se soutiennent les unes les autres. Hope, la mairesse tout feu tout flamme de la ville, est l’une des protagonistes les plus réussies du show.
Tantôt orageuse, tantôt touchante, elle fait face à diverses épreuves, dont un accident cardio-vasculaire. Virgin River a ceci de moderne qu’elle s’intéresse beaucoup à la santé mentale et à la meilleure façon de gérer ses traumatismes. Le personnage de Jack souffre de syndrome de stress post-traumatique suite à la guerre. Un état que la série n’oublie pas.
S’il a pour le moment vaincu son alcoolisme, il doit encore faire face à ses angoisses en saison 6, qui peuvent être déclenchées par une simple pluie qui tape contre le velux de sa chambre. Le couple qu’il forme avec Mel repose sur leur capacité à se confier l’un à l’autre.
Pour elle, c’est la peur de l’abandon, un rapport compliqué au deuil (elle a perdu son précédent mari, puis fait une fausse couche) et à la maternité. Dans la saison 6, Jack échange également avec sa sœur Brie Sheridan (Zibby Allen), survivante d’un viol conjugal et d’une relation sous emprise. Voir un frère et une sœur discuter de leurs traumatismes respectifs, s’écouter et se conseiller, c’est le genre de scènes qui fait du bien.
Des séries comme on en fait (presque) plus
Les personnages de Virgin River traversent régulièrement des crises de confiance en eux et s’en sortent grâce au système d’entraide de la communauté. Dans une société toujours plus individualiste où il est rare de connaître ses voisins, cette mise en avant du collectif réchauffe le cœur.
Avec ses intrigues soap assumées, le show est rythmé par les menaces du criminel du coin (de moins en moins crédible), des préparations de mariage et de naissance (après cinq saisons, Charmaine a enfin accouché, cédant sa place de femme enceinte à Lizzie !), des trahisons amoureuses et autres catastrophes naturelles (feu, éboulis). Chaque saison se compose de dix à 12 épisodes, et on se surprend à en vouloir plus, le season final arrivé. Rendez-nous les séries de 22 épisodes qui nous accompagnaient toute l’année dans les bons et les mauvais moments !
Virgin River, c’est le retour à une certaine simplicité du divertissement sériel, à une époque où l’art des séries a atteint une sophistication qui peut donner mal au crâne. Armée de sa douceur de vivre et de ses valeurs bienveillantes, elle constitue l’antidote parfait aux séries high concept à la Squid Game. Ici, on s’évade, on se gave de nature par procuration et on oublie le monde et ses vicissitudes pendant une heure. C’est parfois tout ce qu’on demande à une série.