Plus de 40 ans après sa parution, le manga Dragon Ball est devenu l’une des licences les plus porteuses de la pop culture mondiale, transcendant les générations. Un succès qui ne doit rien au hasard !
Le 12 juillet dernier, la plateforme de SVOD d’animation japonaise Crunchyroll a mis à disposition de ses abonnés les 131 épisodes de Dragon Ball Super, dernière série en date issue de l’univers créé dans les pages du Weekly Shōnen Jump par le dessinateur Akira Toriyama en 1984. Quarante ans après sa parution, cette œuvre fondatrice (qui a survécu à son auteur récemment disparu) continue de fasciner des générations de lecteurs et de spectateurs. Un phénomène qui s’explique en partie par le contexte de parution de ce manga, ainsi que par la place toute particulière qu’il occupe au sein de la pop culture japonaise.
Un manga de l’âge d’or du Shōnen Jump
Quand Akira Toriyama entame la rédaction de Dragon Ball, il n’est pas tout à fait un inconnu. Sa première bande dessinée majeure, le récit comique Dr. Slump, a ravi une génération entière d’enfants lors de sa parution hebdomadaire de 1980 à 1984. Elle a permis au dessinateur d’affiner un style mêlant rondeur, humour absurde et amour de la robotique et des véhicules de science-fiction. Malgré des relations tumultueuses avec son tantô Kazuhiko Torishima, Toriyama conçoit une série dans la même veine : une revisite comique du roman classique chinois Le Voyage en Occident.
Dans Dragon Ball, on suit initialement les aventures loufoques de Son Goku, un enfant sauvage à queue de singe accompagnant Bulma, une adolescente férue de science, en quête de sept boules magiques supposées exaucer un vœu une fois rassemblées. Le succès est assez rapidement au rendez-vous, mais le ton de la série se démarque très vite de la tranche de vie villageoise qu’était Dr. Slump.
Ici, les péripéties sont tournées vers l’action et les combats, avec de nombreuses références au monde du cinéma de Hong Kong. Plus le récit avance et plus Toriyama rivalise d’inventivité pour multiplier les tournois d’arts martiaux, les antagonistes iconiques et les enjeux dramatiques de plus en plus intenses.
Dès 1988, sous la pression de son éditeur, Toriyama abandonne progressivement la dimension comique du manga pour la remplacer par des influences plus proches de la science-fiction et du récit de super-héros : Goku se révèle être un extraterrestre, le scénario multiplie les voyages spatiaux, les mondes parallèles et les voyages dans le temps, et les combats prennent des dimensions dantesques aux conséquences planétaires.
Les différents arcs scénaristiques qui s’étalent de 1984 à 1995 ont ainsi largement contribué à définir le fameux « âge d’or du Shōnen Jump » : une période d’une dizaine d’années où le manga pour adolescents se transforme profondément sous la plume d’une jeune génération de mangakas audacieux réinventant les codes de la narration séquentielle.
Il faut dire que Dragon Ball reste, 40 ans après sa parution, un récit d’une incroyable vitalité et d’une redoutable efficacité. Des personnages iconiques, des changements de registre narratif tout en douceur, une intensité rarement vue dans des affrontements entre des personnages… Et quelques ficelles scénaristiques parfois un peu grossières, mais extraordinairement novatrices à leur époque.
Le trait toujours sublime de Toriyama et l’univers assez intemporel situé dans un futur indéfini mâtiné d’un peu de fantasy confèrent au tout une dimension universelle. Si on fait exception bien sûr quelques gags et quelques séquences aujourd’hui assez douteuses ou problématiques.
Près de 300 millions d’exemplaires écoulés
Immense succès dès sa parution, Dragon Ball est adapté à l’écran en série animée par Toei Animation en un temps record, dès 1986.
Un dessin animé qui s’exportera dans une grande partie de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique latine et fera découvrir l’animation japonaise à des dizaines de millions de téléspectateurs (l’Amérique du Nord, alors plus réfractaire au genre, devra attendre 1994 pour être touchée par le phénomène).
Dès lors, c’est une immense machine qui se met en marche : la série animée se voit adjoindre une série de films et d’OAV (des épisodes spéciaux destinés au marché de la VHS), des jeux vidéo sont publiés en série, et la production de produits dérivés explose dès le milieu des années 1980. Un second anime voit le jour en 1989 : Dragon Ball Z, dont le succès et la diffusion sont encore plus importants.
Le manga de Toriyama, lui, s’écoule à près de 300 millions d’exemplaires, soit environ 7 millions d’exemplaires par tome. Un chiffre colossal qui place Dragon Ball dans le top 10 des séries les plus vendues de l’histoire, n’étant dépassé que par quelques mastodontes éditoriaux comme One Piece, Astérix, Lucky Luke ou encore les Peanuts de Charles M. Schulz.
Ironiquement, ce succès sera en partie une malédiction pour Toriyama, lassé de la tournure prise par la série et épuisé par la nécessité de livrer 20 planches hebdomadaires pendant plus d’une décennie. Une série qu’il finit d’ailleurs par arrêter, épuisé, d’une manière assez précipitée au bout de 42 volumes, pour se consacrer à des récits plus courts, des travaux de character design et de l’illustration. Le tout en conservant un droit de regard sur certains produits dérivés. Hors de question pour les éditions Shūeisha, cependant, de laisser filer la poule aux œufs d’or.
Une franchise multimédia en plein renouveau
C’est une des raisons incontestables de la persistance du « culte » autour de Dragon Ball : son éditeur s’est rapidement entendu avec l’auteur de la série pour faire perdurer son univers après la fin de la bande dessinée. Les premières tentatives en sont d’ailleurs unanimement considérées comme catastrophiques, avec en particulier le dessin animé Dragon Ball GT diffusé en 1996. Un échec public et critique – notoirement détesté par Toriyama lui-même –, suivi par le tragique Dragon Ball Evolution, un nanar hollywoodien qui fait un flop complet en 2009, après quasiment une décennie de production.
Malgré cette « décennie perdue » des années 2000, Dragon Ball opère cependant un retour en grâce époustouflant : la popularité du manga et de son adaptation animée explosent tardivement aux États-Unis, particulièrement lors de la diffusion de Dragon Ball Z Kai en 2009, un remontage et une remasterisation complète de la série de 1989.
Fort de cette popularité retrouvée, l’éditeur lance ainsi une suite officielle au manga de Toriyama, passant discrètement l’héritage de Dragon Ball GT aux oubliettes. Dragon Ball Super est lancé en grande pompe en juin 2015 dans un manga et un dessin animé diffusés en parallèle, avec un nouveau dessinateur, Toyotarō, reprenant à s’y méprendre le style du dessinateur d’origine.
La machine médiatique pour faire fonctionner Dragon Ball Super est sans précédent : l’anime est diffusé de manière hebdomadaire non-stop pendant trois ans (un fait devenu rarissime dans le monde de l’animation japonaise), le manga compte 23 volumes et des dizaines de traductions, et quatre films d’animation à très gros budget sont produits pour soutenir la licence, avec des sorties mondialisées, façon blockbuster Marvel.
La réception critique de cette nouvelle série, qui n’hésite ni à multiplier la surenchère scénaristique ni à recycler de manière parfois éhontée de vieilles histoires de la saga, est assez mitigée. Néanmoins, le succès est au rendez-vous et parvient à initier une toute nouvelle génération de lecteurs à l’œuvre d’origine.
Au moment du décès d’Akira Toriyama, début 2024, la presse économique a souligné la popularité retrouvée de la licence, de nouveaux jeux vidéo spectaculaires font partie des grandes attentes de l’année et des événements promotionnels autour de la série peuvent attirer des dizaines de millions de spectateurs. Un regain de popularité qui justifie aux yeux de Glénat, éditeur historique de Dragon Ball en France, une nouvelle réédition de l’œuvre sous la forme d’une édition couleur attendue pour le second semestre 2024. Encore une occasion de découvrir les aventures de Goku et de ses vaillants compagnons.