Décryptage

One Piece, Dragon Ball… Pourquoi les mangas sont-ils si compliqués à adapter en films et séries ?

30 août 2023
Par Samuel Leveque
“One Piece” est l'une des séries les plus attendues de la rentrée sur Netflix.
“One Piece” est l'une des séries les plus attendues de la rentrée sur Netflix. ©Netflix

Des dizaines de productions en live action sont issues de mangas, et le résultat n’est pas toujours à la hauteur malgré quelques pépites. Pourtant, c’est bien normal : adapter ce type d’œuvres avec des acteurs en chair et en os est un exercice très délicat.

Les adaptations de vos mangas préférés en live action (avec des acteurs en chair et en os), comme la sortie imminente de la série One Piece sur Netflix, est tout sauf une anomalie ou une rareté. En réalité, des centaines d’exemples existent et les plus anciens remontent au début des années 1960. Dans le lot, il y a quelques pépites qui ont participé à la grande histoire du cinéma, à l’image du superbe Lady Snowblood de 1973, réalisé par Toshiya Fujita et idolâtré par un certain Quentin Tarantino.

Lady Snowblood (1974).©Toho Films

Cependant, les live issus de BD nippones ont acquis une réputation plutôt douteuse ces deux dernières décennies. Adaptations américaines à petit budget façon Dragon Ball Evolution, acteurs vêtus de perruques grotesques dans le film Bleach, bandes-annonces qui ont fait ricaner les internautes à l’annonce de la série One Piece

On ne compte plus les réactions crispées de lecteurs de mangas heurtés par des productions en deçà de leurs attentes. Le phénomène semble s’être amplifié ces dernières années, mais la problématique n’est pas récente.

La tentation d’imiter des produits pas totalement assimilés

Mettons un instant de côté les adaptations purement japonaises pour nous concentrer sur ce qui « fâche » souvent le plus : les films et séries réalisés par des occidentaux tentant de reproduire de manière maladroite les décors, costumes et autres coiffures propres au manga. Les superbes illustrations ou dessins animés sont parfois à la limite de l’inregardable lorsqu’ils sont incarnés par des comédiens.

C’est par exemple l’écueil dans lequel tombe Jacques Demy en 1979 quand il réalise un Lady Oscar de sinistre mémoire. Dans ce dernier, la malheureuse Catriona MacColl peine visiblement à comprendre ce qu’on lui demande de jouer, et pourquoi elle porte une véritable choucroute capillaire sur le crâne.

Idem pour le plus méconnu The Guyver (sorti en France sous le nom de Mutronics en 1990). Cette adaptation d’un joli manga SF des années 1980 s’est retrouvée défigurée par un film fauché, dans lequel les sublimes armures cybernétiques deviennent des bouts de plastique douteux portés par des comédiens peu convaincus.

The Guyver (1990).©New Line Cinema

On pourrait multiplier les exemples à l’envi, mais, à l’image d’Adam Wingard livrant une adaptation, disons « compliquée » de Death Note en 2017, ces adaptations ont un point commun : leurs réalisateurs sont souvent loin d’être des amateurs ou de simples exécutants. Néanmoins, ils sont tombés dans un écueil assez commun.

Plutôt que de tenter de différencier leurs films du matériau d’origine, ils y sont restés beaucoup trop fidèles, en copiant de trop près une esthétique avant tout pensée pour le dessin. On a ainsi pu reprocher à la série Cowboy Bebop de Christopher Yost, parue en 2021, de verser dans le « concours de cosplay » davantage que dans une œuvre parvenant à retranscrire l’idée du dessin animé de 1998.

Copier une “ambiance manga” ou s’en affranchir

À rebours de ces adaptations trop littérales pour ne pas être gênantes, on croise aussi des essais radicalement différents, partant du principe que porter à l’écran une BD sans aucune modification préalable revient à essayer de « filmer une bande dessinée ».

C’est par exemple le parti pris de Park Chan-Wook quand il se lance en 2003 dans une version très personnelle du manga Oldboy, ou encore du Français Sam Garbarski quand il propose un Quartier lointain très éloigné du récit d’origine de Jiro Taniguchi.

Ces adaptations très personnelles tentent avec plus ou moins de succès de gommer autant que faire se peut « l’esthétique manga » : pas de surjeu des acteurs et actrices, pas de zoom intempestif, pas d’effets pyrotechniques évoquant des bastons très « shônen », et pas de désir de coller de trop près au matériau d’origine.

Le résultat peut être tout à fait plaisant, même s’il tend à faire oublier complètement l’œuvre qu’il entend transposer. Mais, après tout, traduire, c’est trahir ! Cette approche n’est, néanmoins, pas une garantie de succès à tous les coups.

Un ciel radieux, autre adaptation très personnelle de Jirô Taniguchi par Nicolas Boukhrief en 2017.©Nicolas Boukhrief / Europacorp TV / Arte

Ce genre de production audiovisuelle s’affranchissant de sa source peut ainsi être un écueil tout aussi regrettable : le Nicky Larson et le Parfum de Cupidon de Philippe Lacheau en 2019 prenait ainsi le parti très clivant d’adapter non pas directement City Hunter, mais sa version française censurée, au doublage fantaisiste, en faisant baigner le tout dans un humour franchouillard qui a convaincu certains spectateurs, mais fait fuir une partie des amoureux du manga d’origine.

Idem pour le Speed Racer des sœurs Wachowski de 2008, beaucoup plus proche de l’univers de ces dernières que du manga de Tatsuo Yoshida… Et qui fut un des plus gros flops de leur carrière, laissant le public dubitatif devant cette adaptation personnelle et psychédélique d’un manga de course alors largement oublié.

Derrière l’ombre de quelques catastrophes, une forêt de live action tout à fait décents

Les fans les plus hardcores ont tendance à se concentrer sur les produits les plus clivants ou les plus ratés. Pour eux, « adaptation de manga » rime avec « énorme nanar ». Mais, en dehors de quelques chefs-d’œuvre évoqués plus haut (auquel il faudrait ajouter par exemple les films Baby Cart adaptant le manga Lone Wolf and Cub dans les années 1970) et de quelques catastrophes industrielles à la Dragon Ball Evolution, on trouve surtout des centaines d’adaptations de qualité tout à fait correcte, souvent (mais pas toujours) produites directement au Japon.

Alice in Borderland (2020)©Netflix

Pas moins de 400 longs métrages et autant de séries télévisées ont été inspirés par des mangas et des animes les plus populaires depuis une cinquantaine d’années, pour un résultat régulièrement plus qu’acceptable. Et pour cause : si les adaptations occidentales de mangas en live action sont, sauf exceptions, une tendance relativement récente qui explique en partie pourquoi elles peinent parfois à trouver leur ton, les Japonais sont quant à eux rompus à l’exercice.

Certains genres ne sont qu’assez rarement adaptés en dessin animé, passant directement par la case « drama » : c’est par exemple le cas des mangas shojo ciblant les jeunes filles ou ceux écrits pour des publics plus âgés (josei, seinen…). On a ainsi pu se régaler de séries comme Alice in Borderland, La Cantine de minuit ou encore Million Yen Women sur Netlfix, dont la qualité n’a rien à envier à celle de séries occidentales.

Il se peut d’ailleurs que ces adaptations occidentales ratées de mangas ou d’animes ne soient rien d’autre que cela : quelques accidents au sein d’une production qui commence lentement, mais sûrement à trouver son ton et sa méthodologie. Et qui, ne l’oublions pas, a d’ores et déjà livré des projets arrivant à la fois à capter l’essence du manga d’origine tout en y injectant une dose de création personnelle.

À l’image par exemple du Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez paru en 2019. Un film loin d’être sans défaut, mais qui arrivait à proposer de nombreuses idées pour transposer de manière très originale l’ambiance du Gunnm de Yukito Kishiro. Il n’y a aucune raison de penser que l’avenir ne réserve pas de nouvelles propositions du genre pour gommer peu à peu l’image cheap de ce type de live action.

À partir de
82,80€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par