Décryptage

J’ai enfin pris le temps de lire le phénomène manga Jojo’s Bizarre Adventure

13 août 2023
Par Samuel Leveque
“JoJo's Bizarre Adventure” est désormais une œuvre culte.
“JoJo's Bizarre Adventure” est désormais une œuvre culte. ©Hirihiko Araki/David Production

La publication du manga Jojolion vient de s’achever en France, et il m’a semblé intéressant de me plonger dans la franchise Jojo’s Bizarre Adventure, qui a pris une place très particulière dans la pop culture mondiale depuis quelques années.

À 63 ans, le mangaka Hirohiko Araki n’a plus rien à prouver. Il a vendu des dizaines de millions d’ouvrages, a reçu les médailles les plus prestigieuses du monde culturel, a été exposé au Louvre, et a même un prix littéraire à son nom. Pourtant, il n’est quasiment connu que pour une seule œuvre, qu’il dessine avec acharnement depuis 1987 : Jojo’s Bizarre Adventure. Un titre adapté en plusieurs séries d’animations, en jeux vidéo, en romans et même en films en prise de vue réelle, et dont l’influence sur la pop culture moderne est gigantesque.

Une série qui a eu du mal à s’imposer en France

Retour à la fin des années 1990. Comme tous les lecteurs du vénérable magazine Anime Land, j’avais entendu parler de Jojo’s Bizarre Adventure, une série qui faisait sensation au Japon. Il y était question, semblait-il, de jeunes types avec des pouvoirs farfelus, capables d’invoquer des « stands », des sortes de doubles qui se battent à leur place. L’œuvre était déjà culte et avait inspiré plusieurs mèmes, mais elle restait assez inaccessible en France.

Première édition de Jojo’s Bizarre Adventure chez J’ai lu, en 2002.©Hirohiko Araki / Shûeisha / J’ai Lu

Je me suis donc rué sur la version française du manga, parue chez nous dès janvier 2002. J’ai finalement découvert une édition particulièrement bâclée, même pour les standards de l’époque. Éditeur peu spécialisé dans la BD et encore moins dans le manga, J’ai lu a pourtant été l’importateur de quelques grosses séries (City Hunter, Fly, Captain Tsubasa…). Cependant, le résultat était souvent médiocre ; papier de mauvaise qualité, lettrage illisible ou encore traductions approximatives, il n’est pas étonnant que le label manga de cet éditeur se soit arrêté peu après. Résultat : mon premier contact avec JoJo n’a pas été des plus simples.

Dio, le célèbre antagoniste de Jojo’s Bizarre Adventure dans sa version animée de 1993.©A.P.P.P / Declic Image

Ma découverte de sa version animée deux ans plus tard n’a pas été beaucoup plus satisfaisante, puisque la série produite en 1993 par le studio A.P.P.P commence au beau milieu de l’intrigue du manga, et part du principe que vous savez déjà très bien qui est qui et qui fait quoi. J’avais un peu l’impression d’arriver dans une fête commencée depuis longtemps et dont on ne m’avait pas donné le thème.

Entre cette méconnaissance et le fait que Jojo’s Bizarre Adventure version manga ne sera plus édité en France entre 2006 et 2014 quand Tonkam se lancera dans une vaste entreprise de réédition, la franchise a largement eu le temps de sortir de mes radars. Je savais que JoJo existait, et je savais que c’était une série importante, mais je n’ai plus vraiment pris le temps de m’y intéresser.

Des premières saisons difficiles à aimer ?

En 2012, la bande dessinée d’Araki est une nouvelle fois adaptée sous forme de dessin animé, cette fois-ci par le prestigieux studio David Production. Je peine une nouvelle fois à me pencher sur la question, car cette adaptation fait le choix de recommencer au tout début de la série, adaptant les premiers chapitres parus en 1987 (qui ne ressemblent pas vraiment, voire pas du tout, au reste de la saga). Mais d’ailleurs, de quoi parle (vraiment) JoJo’s Bizarre Adventure ?

©Studio APPP

Le manga d’Araki, comme sa très fidèle adaptation animée, a une structure particulière. Chaque arc scénaristique met en scène un personnage dont le nom peut être diminué par les syllabes JoJo (Joseph Joestar, Jolyne Cujo, Giorgio Giovanna…), et ils sont tous plus ou moins liés par le sang.

Dans les grandes lignes, le récit raconte la vie d’une seule et même famille sur plusieurs générations, de la fin du XIXᵉ siècle jusque dans un futur proche. Chaque sous-série a été pensée pour pouvoir se lire de manière indépendante des autres, malgré la récurrence de certains concepts et personnages.

Artwork pour la version animée de Jojo’s Bizarre Adventure: Battle Tendency.©Hirihiko Araki / David Production

Mais, au sein de cet ensemble de neuf récits constituant l’ossature de la franchise, les deux premières histoires, Phantom Blood et Battle Tendency, n’ont pas vraiment de rapport avec la suite. Même si le trait a beaucoup vieilli (le style d’Araki n’était pas encore très affirmé à la fin des années 1980), c’est surtout le fond qui semble un peu maladroit, trois décennies plus tard.

Dans la première partie, on suit un jeune homme bien sous tous rapports, dans la société victorienne. Il va devoir lutter dans des combats contre son frère, qui est devenu un vampire, dans l’ombre de sombres complots. Phantom Blood s’apparente ainsi à une série de duels brutaux où Ken le Survivant rencontrerait Dracula.

Crazy Noisy Bizarre Town, par The Du, générique iconique de JoJo’s Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable.

Dans la seconde partie, on suit le descendant du héros durant la Grande Dépression. Ce dernier doit régler leur compte à des êtres immortels accidentellement réveillés par des nazis. Si le côté fantasque et farfelu qui fera plus tard le sel de la saga est déjà là, les deux premières séries JoJo sont assez confuses et ne savent pas exactement ce qu’elles souhaitent raconter. Les affrontements entre les protagonistes sont aussi classiques que répétitifs pour un manga de l’époque. Ce sont des montagnes de muscles qui se tapent dessus et, à la fin, le gentil gagne.

Les “stands” qui ont tout changé

À la fin des années 1980, le mangaka, dont le style s’affine et devient de plus en plus précis et détaillé, développe son idée de génie. Plutôt que de faire s’affronter ses protagonistes en utilisant leurs poings, les personnages de Stardust Crusaders (la troisième partie de JoJo’s Bizarre Adventure) vont utiliser des « stands », des sortes de fantômes représentant leur esprit combattif, chacun étant doté d’un pouvoir particulier.

Au début, les « stands » ont des pouvoirs assez banals (courir vite, taper fort…). Mais, au fil des années et des chapitres, ils deviennent de plus en plus fous, créatifs et imaginatifs, et livrent certains des combats les plus improbables de toute l’histoire du shōnen manga.

Une couverture de JoJolion, le huitième arc scénaristique de la franchise.©Hirohiko Araki / Shûeisha / Delcourt Tonkam

Au moment de la diffusion du dessin animé Jojo’s Bizarre Adventure: Stardust Crusaders en 2014-2015 que je suis véritablement tombé dans le délire et que j’ai commencé à m’attacher à cette bande de super-héros excentriques dotés de pouvoirs de plus en plus incompréhensibles.

À partir de cette période, Jojo avait la particularité de changer complètement de registre narratif à chaque nouvelle série. Stardust Crusaders décrit un tour du monde, Diamond is Unbreakable la vie quotidienne dans une petite ville menacée par un tueur en série, Golden Wind est une histoire de mafieux, Stone Ocean une sorte de Prison Break surnaturel dans une prison pour femme… L’imagination d’Araki semble être un puits sans fond.

En attendant The Jojolands

Il y a quelques mois, la diffusion du dessin animé Jojo’s Bizarre Adventure: Stone Ocean, adaptation de la sixième partie du manga, prenait fin sur Netflix, avec sa conclusion polémique considérée comme l’un des événements les plus bizarres de toute la franchise.

Pour la première fois depuis longtemps, j’étais donc à court de JoJo. J’ai alors entrepris de me plonger dans la lecture de l’intégralité de la série en version manga, reprenant là où je m’étais arrêté il y a plus de 20 ans. Et ce fut un immense plaisir.

Illustration officielle pour The Jojolands.©Hirohiko Araki/Shûeisha

D’une part parce que cela m’a permis d’admirer le trait absolument impeccable et le sens éblouissant de la mise en scène d’Araki, dont les planches sont devenues de plus en plus sublimes d’année en année. D’autre part parce que cela m’a (enfin) permis de découvrir les histoires qui n’ont pas encore eu la chance de recevoir leur adaptation animée et de constater à quel point des arcs scénaristiques comme Steel Ball Run et JoJolion sont absolument haletants. Enfin, j’ai pu admirer le travail énorme accompli par Delcourt Tonkam sur cette nouvelle édition française, absolument irréprochable, proposée depuis 2014.

©Hirohiko Araki/Shûeisha

Hélas, me voici confronté à un bien triste événement : j’ai désormais regardé tout JoJo (deux fois) et je suis à jour sur le manga. La conclusion émouvante de JoJolion étant derrière moi, et alors que Steel Ball Run (la prochaine saison de l’adaptation animée) n’a pas encore de date de diffusion, que vais-je bien pouvoir faire à présent ?

Il va pourtant bien falloir que je prenne mon mal en patience : The JoJolands, la neuvième partie du manga mettant en scène un certain Jodio Joestar, petit trafiquant de drogue à Hawaï, vient à peine de débuter au Japon. Il me faudra donc attendre un peu avant de le retrouver dans les librairies françaises. Mais une chose est sûre : je serai le premier au rendez-vous.

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