Décryptage

Bleach, Nana, Junji Itō… Flashback : on lisait quoi comme mangas à l’été 2003 ?

09 juillet 2023
Par Samuel Leveque
20 ans plus tard, “Bleach” est toujours aussi populaire.
20 ans plus tard, “Bleach” est toujours aussi populaire. ©Shūeisha

Le manga ne s’est jamais aussi bien porté en France. En 2022, un livre vendu sur sept était une bande dessinée japonaise. Cependant, le phénomène n’est pas si récent. On vous propose aujourd’hui de retrouver une sélection que les passionnés dévoraient il y a 20 ans, à l’été 2003.

Nous sommes en 2003. Les Américains occupent durablement l’Irak, l’Europe est écrasée par une canicule historique, Johnny Hallyday entame une grande tournée des stades français, tandis que dans un autre registre musical, Barry White tire sa révérence. Pour échapper à tout cela, on peut se réfugier au cinéma pour regarder des films à licence (déjà) basés sur Pirates des Caraïbes, Hulk et Tomb Raider, ou filer en librairie pour se plonger dans la lecture de mangas.

Naruto, Hunter x Hunter, One Piece et autres Detective Conan sont alors déjà en cours de publication en France et cartonnent dans les classements des meilleures ventes d’albums. Mais l’offre éditoriale était par ailleurs déjà assez riche, et nous vous proposons d’y jeter un petit coup d’œil, avec une sélection d’une dizaine de séries publiées à l’époque.

1 Dorohedoro, de Q. Hayashida

De quoi ça parlait ?

Dans une ville décadente régulièrement envahie par des magiciens fous utilisant la population locale pour faire des expériences, un homme à tête de Caïman vit d’incroyables aventures loufoques en compagnie de Nikaido, une vendeuse de gyoza particulièrement forte en arts martiaux.

Pourquoi c’était chouette ?

Manga drôle, chaotique et intense teinté d’esthétique punk et d’urban fantasy, Dorohedoro est rapidement devenu culte. Son univers qui ne ressemble à aucun autre et le trait très précis et détaillé de son autrice en ont fait un incontournable du genre. De plus, les personnages étaient particulièrement originaux, que ce soit du côté des héros ou des antagonistes. Vingt ans plus tard, ce manga reste un véritable ovni.

©Hayashida-Q / Soleil Manga

Qu’est devenue l’autrice ?

Q Hayashida se porte bien, merci pour elle ! Quelque temps après la fin de Dorohedoro (qui a été superbement adapté en série animée sur Netflix), elle a entamé le lancement de Dai Dark (publié chez Soleil en France), un manga tout aussi étrange racontant l’épopée spatiale d’un homme au squelette magique et de son sac à dos parlant.

2 Spirale, de Junji Itô

De quoi ça parlait ?

Spirale est un titre horrifique, probablement l’un des plus redoutables dans son genre. Il raconte l’histoire d’un village reculé au Japon qui semble être de plus en plus obsédé par le motif de la spirale. Les habitants en dessinent partout, collectionnent les objets bizarres enroulés sur eux-mêmes, et voient jusqu’à leur organisme s’entortiller de manière grotesque. Jusqu’où ira la malédiction de la Spirale ?

Pourquoi c’était chouette ?

Mélange de body horror et de fantastique, Spirale est probablement le manga de Junji Itô qui pousse le plus loin son concept pour nous emmener aux frontières de la folie pure. Bien sûr, il faut avoir le cœur bien accroché pour aller au bout de cette épopée épouvantable, mais le jeu en vaut la chandelle.

©Junji ITO/SHOGAKUKAN/Tonkam

Qu’est devenu l’auteur ?

Junji Itô, le « maître de l’horreur », était alors déjà un mangaka aguerri, mais Spirale a largement contribué à le faire connaître en France. Depuis, il a publié de nombreux autres mangas, presque toujours dans le registre de la terreur, et son œuvre a largement été rééditée en France ces dernières années. Spirale devrait être adapté en anime dans le courant des prochains mois.

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3 Angel Sanctuary, de Kaori Yuki

De quoi ça parlait ?

Setsuna et Sara sont frères et sœur, mais ils s’aiment profondément. Cependant, ils sont séparés quand Sara est emmenée dans l’Au-delà dans le cadre d’un conflit millénaire entre Dieu et Lucifer qui pourrait causer la fin du monde. Notre héros entame donc un périple qui le conduira à affronter des créatures redoutables venues du Paradis comme des Enfers.

Pourquoi c’était chouette ?

Malgré son pitch à base d’inceste qui a tout sauf bien vieilli, Angel Sanctuary est instantanément devenu un grand classique du shojo manga. Le trait extrêmement fin de Kaori Yuki, les péripéties de plus en plus folles de Setsuna et ses compagnons, et une esthétique empruntant énormément à l’architecture gothique et à l’Art Nouveau ont inspiré des générations de mangakas. C’est aussi une œuvre qui a contribué à faire découvrir au public occidental que non, le shojo manga n’est pas (que) de la comédie romantique.

©Kaori Yuki/HAKUSENSHA /Tonkam

Qu’est devenue l’autrice ?

Kaori Yuki a continué sa carrière en publiant énormément de bandes dessinées dans des styles différents, allant de la romance au récit de vampires, en passant par des nouvelles horrifiques – qui n’ont cependant pas connu le même succès. Sa série Alice in Murderland a été interrompue par la faillite du magazine dans lequel elle publiait alors.

Depuis, on retrouve principalement ses œuvres sur Palcy, une application japonaise de mangas en ligne, et sa carrière est plus discrète. Elle a néanmoins fait son retour dans les librairies françaises cette année avec la publication de sa série courte Beauty and the Beast of Paradise Lost, une revisite gothique du conte de La Belle et la Bête.

4 Planètes, de Makoto Yukimura

De quoi ça parlait ?

Dans un futur proche, une bande d’éboueurs de l’espace essaie de récupérer les débris des fusées, satellites et autres objets encombrant l’atmosphère et menaçant les possibilités de colonisation de l’espace. Fi, Hachi et Yuri vivent un quotidien mélancolique et monotone à bord du Toy Box, un petit vaisseau spécialisé dans ce genre de nettoyage. Au fil des mois et des années, nous les suivons en train d’essayer d’accomplir leurs rêves, qui pourraient les emmener au bout du système solaire.

Pourquoi c’était chouette ?

Manga de science-fiction humaniste et poétique porté par la très belle plume de Makoto Yukimura (qui avait à peine 20 ans à l’époque), Planètes a dépassé le stade du « simple » manga pour devenir une œuvre souvent citée comme fondatrice de la hard SF moderne. Scientifiquement très poussé, le récit ne se perd pas non plus dans des considérations techniques trop abruptes, préférant se concentrer sur le destin tantôt banal, tantôt extraordinaire de ses personnages. Vingt ans plus tard, le propos reste parfaitement d’actualité.

©Makoto Yukimura / KODANSHA/Panini Manga

Qu’est devenu l’auteur ?

Peu après la fin (très émouvante) de Planètes, Yukimira a enchaîné avec le manga historique à très grand succès Vinland Saga, dont la version animée est diffusée en ce moment sur Netflix. Il continue à dessiner cette fresque retraçant la vie d’un viking à l’aube du XIe siècle depuis près de 20 ans, et le 27e tome vient de paraître au Japon. Notons également que Yukimira communique beaucoup sur l’avancée de son travail et sur ses influences, et qu’on a pu le voir à l’occasion d’un passage à Angoulême en 2010, durant lequel il a donné une masterclass très remarquée.

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5 Nana, d’Ai Yazawa

De quoi ça parlait ?

La jeune étoile montante du punk-rock Nana Osaki rencontre un jour dans un train une midinette montée à la capitale pour trouver l’amour, Nana Komatsu. Un concours de circonstances plus loin, les deux Nana vont entamer une colocation mélangeant amitié, romance, tragédie et musique. Au fil de l’avancée de l’intrigue, les deux héroïnes vont lentement trouver leur voie, et voir leur amitié être mise à rude épreuve.

Pourquoi c’était chouette ?

Portrait iconique de la jeunesse japonaise du début des années 2000, Nana est un manga haletant où se mêlent des moments difficiles, des dilemmes cornéliens et un vrai amour de la musique de la part de son autrice, encyclopédie vivante du rock qu’elle met en scène à mesure que le récit se déploie. C’est aussi un manga mature, parfois (très) sombre, qui aborde des questions frontales du passage à l’âge adulte (la sexualité, l’addiction, la maladie…) sans prendre de gants et n’hésite pas à malmener son casting quand c’est nécessaire.

©Yazawa Manga Seisakusho / SHUEISHA / Tonkam

Qu’est devenue l’autrice ?

Malheureusement, Nana est et demeurera sans doute un manga inachevé. Ai Yazawa, qui est au début des années 2000 une des mangakas les plus en vue et qui a enchaîné les succès (Gokingo, Paradise Kiss, Je ne suis pas un ange…) tombe gravement malade en 2009. Si elle n’est jamais parvenue à reprendre sa série phare après son 21e volume, elle n’a pas tout à fait arrêté sa carrière. Elle livre ainsi régulièrement des illustrations pour des couvertures d’albums, des calendriers ou des jeux vidéo, à l’image de cet artwork pour la version VR du jeu de rythme Space Channel 5.

6 Bleach, de Tite Kubo

De quoi ça parlait ?

Fauit-il encore présenter Bleach ? C’est bien en juillet 2003 que les lecteurs français ont pu découvrir ce prometteur petit manga d’action dépeignant les aventures d’Ichigo, un lycéen capable de voir les esprits qui va se retrouver à assumer une double vie : celle d’un lycéen ordinaire et celle d’un chasseur de démons.

Pourquoi c’était chouette ?

Bleach est probablement l’un des mangas d’action les plus importants de toute la décennie 2000. Son auteur va faire vivre des aventures de plus en plus spectaculaires à son héros et à ses compagnons pendant une quinzaine d’années, en créant un shonen de baston iconique qui a poussé des millions de jeunes lecteurs et de jeunes lectrices à dévorer des mangas. Son casting de personnages hauts en couleurs et sa mythologie complexe ont réussi à maintenir tout le monde en haleine jusque dans les toutes dernières pages. Ce n’est pas pour rien que même Disney a mis le paquet pour s’en assurer les droits.

©Tite Kubo / SHUEISHA / Glénat

Qu’est devenu l’auteur ?

Tite Kubo a écrit et scénarisé l’une des BD les plus vendues de tous les temps (130 millions d’exemplaires pour Bleach), et on ne lui en voudra pas d’avoir levé le pied après un travail aussi acharné. S’il n’a pas publié d’œuvre majeure depuis, il a tout de même sorti quelques chapitres inédits de Bleach, un spin-off intitulé Burn the Witch et quelques illustrations pour des romans inspirés de son univers. On lui doit aussi un travail de character designer sur les jeux vidéo Dragon Quest X et Sakura Wars ; pas mal pour quelqu’un qui a un jour affirmé « détester devoir dessiner sous la pression des fans ».

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7 Banana Fish, d’Akimi Yoshida

De quoi ça parlait ?

Au milieu des années 1980, une série de suicides mystérieux ensanglante New York et semble prendre racine dans un incident survenu pendant la guerre du Vietnam, où un soldat a massacré sa propre unité en prononçant ces deux mots : « Banana Fish ». Ash, un voyou des rues, se retrouve au milieu d’une affaire particulièrement dangereuse impliquant une mystérieuse substance et cette série de morts inexpliquées.

Pourquoi c’était chouette ?

Il s’agit d’une véritable prise de risque à l’époque pour Panini : un manga de gangsters homosexuels des années 1980 imprimé sur du papier jaune, cela ne ressemblait à rien de ce que l’on trouvait dans les étals des librairies spécialisées. Et pour cause, Banana Fish ne rencontra pas du tout son public.

Dommage, car ce thriller de haut vol était particulièrement en avance sur son temps avec un découpage des cases, un sens du rythme et des personnages complexes confinant à la perfection dans son domaine. À redécouvrir d’urgence (et ça tombe bien : une réédition est en cours dans une édition assez prestigieuse).

©Akimi YOSHIDA/Shogakukan/Panini Manga

Qu’est devenue l’autrice ?

45 ans d’une carrière couronnée de dizaines de prix (dont deux prestigieux prix Shôgakukan) : à près de 70 ans, Akimi Yoshida poursuit sa route et a livré œuvre culte sur œuvre culte au Japon. À l’exception de Banana Fish et de Kamakura Diary, sa bibliographie reste très majoritairement inconnue en France. Notons que nombre de ses mangas ont été adaptés en film ou en drama, et que son dernier, Utagawa Hyakkei, est en cours depuis 2019.

8 Hikaru no Go, de Yumi Hotta et Takeshi Obata

De quoi ça parlait ?

Hikaru, un jeune garçon, découvre un plateau de jeu dans le grenier de son grand-père. Malheureusement, l’objet est hanté par Saï, un fantôme venu du Moyen-Âge et professeur de go de métier. Peu après s’être initié à cette discipline millénaire, Hikaru entre en rivalité avec Akira, un jeune prodige appelé à devenir un des plus grands maîtres de go : c’est le début d’une rivalité qui va s’étendre sur une vingtaine de volumes.

Pourquoi c’était chouette ?

Avec ce mélange de jeu traditionnel japonais, de manga de sport et de rivalité typiquement shonen, Hikaro no Go avait de quoi surprendre. Mais cette proposition atypique avait pour particularité d’être aussi très instructive sur la question du jeu de go en lui-même, la série ayant reçu le soutien technique de la joueuse professionnelle Yukari Umezawa pour rendre crédibles les parties décrites dans la BD.

©Yumi Hotta/Takeshi Obata/Yukari Umezawa/SHUEISHA/Tonkam

Que sont devenus les auteurs ?

Le trait très reconnaissable de Takeshi Obata lui a valu une longue et fructueuse carrière. Death Note, Bakuman, All You Need Is Kill, ou encore Platinum End ? C’est lui. De son côté, la scénariste Yumi Hotta travaille toujours en étroite collaboration avec son mari Kiyonari Hotta, un mangaka spécialisé dans les histoires de courses de chevaux.

Ensemble, ils ont notamment publié des guides pour apprendre à dessiner des mangas. Et, bien sûr, Yukari Umezawa a continué sa carrière dans le monde du go, il a également animé des émissions d’initiation à cette discipline à la télévision publique japonaise et signé des ouvrages sur le sujet.

9 Alice 19th, de Yû Watase

De quoi ça parlait ?

La jeune Alice est jalouse de sa sœur Nyozeka, qui sort avec le garçon de ses rêves. Elle reçoit un jour le don d’utiliser le pouvoir des mots pour plier la réalité à sa volonté et fait accidentellement disparaître Nyozeka. Pleine de remords, elle va tenter de devenir une « lotis master » capable de maîtriser cette malédiction pour réparer les torts qu’elle a causés. Elle devient l’apprentie de Frey, un magicien aguerri qui semble épris d’elle.

Pourquoi c’était chouette ?

Yû Watase, qui avait auparavant signé des shojo d’action cultes (Fushigi Yugi, Ayashi no Ceres…) continue dans son style de prédilection : un mélange d’heroïc fantasy, de confrontations violentes et de romance très rythmée, peuplée de personnages féminins forts. Plus courte que la plupart de ses autres séries, Alice 19th est un récit intense qui est une bonne parenthèse entre ses œuvres plus conséquentes.

©Yuu WATASE / Shogakukan / Glénat

Qu’est devenue l’autrice ?

La très, très prolifique Yû Watase a publié de nombreux mangas dans différents registres. Elle a notamment réalisé une longue préquelle à Fushigi Yugi, des comédies romantiques, un shonen d’heroic fantasy (Arata), des recueils d’histoires courtes, le tout en menant parfois deux ou trois projets de front. Une partie importante de tout ceci reste inédite en France, mais des rééditions de ses anciens mangas demeurent facilement trouvables.

10 Gantz, d’Hiroya Oku

De quoi ça parlait ?

Deux lycéens, Kei et Masaru, sont percutés par un métro alors qu’ils essaient de sauver un homme tombé sur les voies. Après leur mort, ils se réveillent dans une pièce presque vide, en compagnie d’inconnus. Ils sont alors informés qu’ils doivent accomplir un certain nombre de missions (très violentes et tournant autour de l’élimination d’aliens étranges) sous peine de connaître un destin plus funeste encore.

Pourquoi c’était chouette ?

Gantz a marqué une génération d’amateurs de science-fiction par son côté extrêmement radical. Très violente (parfois jusqu’à l’absurde), très sombre, mais aussi particulièrement haletante, la fresque brossée par Hiroya Oku a engendré de nombreux clones cherchant à reproduire ce côté « battle royale de l’extrême » sans jamais parvenir à l’égaler. Mention spéciale à la fin du manga, qui prend un malin plaisir à laisser un certain nombre de questions en suspens et à laisser une partie de la résolution de ses nombreux mystères entre nos mains.

©Hiroya Oku/SHUEISHA/Tonkam

Qu’est devenu l’auteur ?

Après la fin de Gantz en 2013, Hiroya Oku va dessiner ou superviser plusieurs spin-offs de sa série (Gantz:G, GantzE, Gantz Minus…) qui a par ailleurs été adaptée sous forme d’anime, de films en prise de vue réelle, puis de films d’animation en 3D. Bref, une licence à succès. Il a également réalisé deux autres séries longues : Inuyashiki et Gigant, qui reprennent son mélange habituel d’érotisme, de violence et d’humour absurde. Dans le premier, un vieillard malade se transforme en machine à tuer et dans le second, on suit l’épopée étrange d’une actrice de films érotiques capable de se transformer en géante.

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