Critique

Maniac par Junji Ito : anthologie macabre, le maître du manga d’horreur signe un retour morbide et sanglant sur Netflix

20 janvier 2023
Par Héloïse Decarre
Avec la série “Maniac par Junji Ito : anthologie macabre”, Netflix adapte à l’écran 20 contes sanglants issus de l’œuvre du maître de l’horreur japonais.
Avec la série “Maniac par Junji Ito : anthologie macabre”, Netflix adapte à l’écran 20 contes sanglants issus de l’œuvre du maître de l’horreur japonais. ©Netflix

Avec une carrière de plus de 30 ans, il est considéré comme l’un des maîtres du manga d’horreur. Pourtant, Junji Ito reste méconnu en France. Mise à l’honneur très prochainement lors du Festival d’Angoulême, l’œuvre du mangaka est, au même moment, adaptée en anime dans un recueil de contes diffusé depuis le 19 janvier. La série Maniac par Junji Ito : anthologie macabre est l’occasion de découvrir l’univers terrifiant d’un artiste qui n’épargne rien ni personne.

Âmes sensibles, s’abstenir. Corps décapités et mutilés, giclées de sang, esprits abandonnés à la folie, monstres terrifiants et humains perdus dans un univers cauchemardesque : l’œuvre de Junji Ito n’est pas à mettre devant tous les yeux. Et celles et ceux pensant être épargné·e·s par l’effroi sous prétexte que la série Maniac par Junji Ito : anthologie macabre est un anime et non un film en prise de vues réelles risquent d’être, au bas mot, surpris.

Un maître du genre, très souvent passé du papier à l’écran

Car Junji Ito n’est pas n’importe quel mangaka. Considéré comme le maître japonais de l’horreur, l’artiste noircit le papier, depuis plus de 30 ans, de ses créations hallucinées et morbides. Abandonnant, au début des années 1990, une carrière de dentiste pour se consacrer à sa passion, le dessinateur ne cache pas l’influence qu’ont eu sur lui Howard Phillips Lovecraft – père, lui, de la littérature d’horreur, « pour sa façon d’aborder l’horreur et l’indicible » – ainsi que Kazuo Umezu, considéré comme le créateur du manga horrifique.

C’est loin d’être la première fois que les histoires épouvantables de Junji Ito, adepte des formats courts, sont adaptées. En live-action ou en anime, ses récits macabres ont déjà été diffusés sur le petit écran.

En un peu plus de 30 ans de carrière, Junji Ito s’est imposé au Japon et dans le monde comme le roi incontesté de l’horreur et du gore en manga.©Netflix

Notamment à travers une première série d’anthologie créée en 2018, Junji Ito : collection, pas forcément bien accueillie par les nombreux fans du maître, considérant que l’œuvre n’était pas à la hauteur du génie d’Ito. Il faut dire que même s’il contribue, en général, à la supervision du script, le mangaka ne participe pas directement à la mise en scène de toutes les adaptations de ses œuvres.

Cinq ans après cette tentative en demi-teinte, la même équipe se réunit de nouveau, pour un projet très abouti et convaincant. Déjà aux manettes pour la production de l’anime Junji Ito : collection, le Studio Deen (connu pour la coproduction de long-métrages comme Patlabor, L’Attaque des Titans, Fate/Stay Night, ou encore KonoSuba) est de retour pour cette nouvelle série d’anthologie. On retrouve même, à la réalisation, Shinobu Tagashira (qui a travaillé, entre autres, sur Digimon: The Movie ou encore Hunter X Hunter), accompagnée du scénariste Kaoru Sawada.

Le retour de personnages cultes, entre bourreaux et victimes

Du travail de ces professionnels rompus à l’exercice naît donc un recueil de 20 histoires monstrueuses, tirées des mangas les plus célèbres de Junji Ito, le tout découpé en 12 épisodes d’environ 24 minutes. Parmi eux, on peut retrouver des classiques du maître et surtout quelques-uns de ses personnages cultes.

C’est le cas, dans les épisodes La Chambre aux quadruples portes (adapté du recueil Le Journal maudit de Soïchi) et Soïchi et son animal de compagnie (issu de New Voices in the Dark), du glaçant Soïchi. Adolescent farceur et cruel, il mène la vie dure à ses frère et sœur. Son sourire inquiétant est ponctué de clous – probablement en raison du manque de fer dans son corps, lié à une anémie. Personnage étrange et burlesque, Soïchi s’intéresse aux sciences occultes et aux poupées vaudous, et n’en fait jamais bon usage.

Personnage récurrent dans la bibliographie de Junji Ito, Soïchi est un adolescent farceur et cruel, passionné par les sciences occultes. Les clous dans sa bouche seraient là pour combler un manque de fer, dû à son anémie.©Netflix

Autre protagoniste récurrent dans l’œuvre d’Ito, Tomié fait également une apparition dans un épisode de la série adapté de l’un des trois tomes qui lui sont entièrement dédiés, intitulé Tomié : les photographies. Créature surnaturelle aussi belle que cruelle et aux origines inconnues, l’adolescente a la capacité de se démultiplier.

Lors de chacune de ses aventures, elle ensorcelle des hommes, qu’elle pousse au meurtre ou au suicide. Constamment démembrée et coupée en morceaux par ses victimes, Tomié se régénère systématiquement, à partir de ses restes… Avant d’assouvir sa soif de vengeance. Elle est donc un bourreau, mais aussi une victime, comme beaucoup de personnages issus de l’univers de Junji Ito.

Personnage culte de l’œuvre de Junji Ito, Tomié a la capacité de se régénérer à partir de ses restes. Utile, quand on est fréquemment démembrée et coupée en morceaux…©Netflix

Harcelés et persécutés, les protagonistes de plusieurs épisodes de l’anthologie prennent de sordides et sanglantes revanches. Dans Au fond de la ruelle (adapté du recueil La Fille perverse) les âmes d’enfants assassinés, imprégnées dans le mur qui jouxte leurs corps ensevelis, réussissent par exemple à piéger leur tueuse. Des femmes battues ou manipulées prennent, elles aussi, leur revanche.

Dans La Femme qui chuchote (une histoire qui provient du tome 2 des Chefs-d’œuvre de Junji Ito), l’esprit d’une victime d’abus manipule l’enveloppe charnelle d’une malade pour poignarder – à de multiples reprises – son agresseur. Et dans La Chevelure sous le toit, la tête d’une jeune fille fait passer un sale moment à celui qui a longtemps abusé d’elle.

Visions organiques et ambiance sonore épouvantée

Entre dégradations corporelles, perte d’humanité, deuil et horreur psychologique, la série met donc en scène les plus grandes peurs de l’humanité. Une horreur qui s’immisce dans la vie de tous les jours et, surtout, dans le cercle familial et le foyer, supposément protecteurs. C’est le cas dans Archéologie de la terreur, quand une malédiction conduit une mère à peler sa fille, couche de peau après couche de peau, jusqu’aux confins de la folie.

Dans la récente adaptation en série de l’œuvre de Junji Ito, les cris sont omniprésents.©Netflix

L’angoisse est boostée par la rapidité du format, chaque histoire durant entre 10 et 24 minutes environ, et par une bande sonore hallucinée, composée par Yuki Hayashi, ainsi qu’un générique d’ouverture hurlant, le titre Paranoid de Madkid. Hurlant, comme beaucoup – beaucoup ! – de protagonistes de l’anthologie. Des cris omniprésents, perçants et horrifiants : sans aucun doute la valeur ajoutée qui justifie pleinement le passage du papier à l’écran.

Une ambiance sonore épouvantée, donc, qui contraste avec le générique de fin, la chanson Iu Toori du groupe Jyocho, dans laquelle les sonorités sont douces et les accords donnent un sentiment de calme et de sérénité. Un décalage entre beauté, kawaï et innocence d’un côté, et visions organiques d’horreur de l’autre, décelable dans chacun des épisodes.

Dans la série, le décalage entre beauté, mignonneries et innocence d’un côté, et visions organiques d’horreur de l’autre, est omniprésent.©Netflix

Ce contraste donne à l’anthologie un potentiel comique, voire une touche d’humour noir. Dans Ice Cream Bus (issu du recueil La Maison de poupées), par exemple, le joli camion d’un étrange livreur de glaces se révèle être un sordide piège condamnant des enfants à un destin funeste. Et dans Les Ballons aux pendus (adapté d’un autre recueil, Le Voleur de visages), des ballons volant dans le ciel sont en fait les visages de malheureux pendus, en quête de sang.

Gore, mais beau

La force de Junji Ito est sa capacité à entremêler la beauté et la violence. Dans des épisodes très poétiques, comme Le Tunnel (tiré du recueil du même nom), où un garçon associe la perte de sa mère à la neige qui tombe, ou encore La Bibliothèque des illusions (provenant du recueil Smashed), revenant sur l’histoire d’un homme sombrant dans une folie sans retour au milieu de sa bibliothèque, le gore devient naturellement esthétique.

Grâce à un graphisme extrêmement détaillé – même s’il pèche, parfois, par un excès d’images de synthèse – corps sanguinolents et personnages grotesques et absurdes deviennent délicats, tout en restant monstrueux. Mention spéciale pour les yeux des protagonistes, toujours affolés et communiquant l’horreur pure que leurs propriétaires ressentent… Ou font ressentir.

Junji Ito se distingue en rendant la violence et l’horreur esthétiques : un pari réussi dans ses mangas, comme dans leurs adaptations en anime.©Netflix

Et si l’horreur est pure, c’est bien qu’aucune de ces histoires dignes d’un feu de camp n’a de fin heureuse. On comprend vite pourquoi Junji Ito mérite son titre de maître en la matière : il n’apporte aucune résolution, seulement des fins ouvertes, qui ne sont souvent que mort et désolation.

Personne ne sort indemne des récits imaginés par l’auteur nippon : ni ses protagonistes, ni son public. La déclamation de phrases cryptiques conclut chaque épisode, comme pour intimer au spectateur d’abandonner tout espoir.

Alors que d’autres adaptations sont prévues prochainement (notamment celle du manga Spirale, considéré comme le chef-d’œuvre du dessinateur), Maniac par Junji Ito : anthologie macabre est une formidable porte d’entrée vers l’œuvre du mangaka… Pour ceux qui oseront la franchir.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste