Entretien

Les super-héros sur le divan, épisode 4 : Hulk, ou le complexe de l’enfant contrarié

08 février 2023
Par Michaël Ducousso
Le plus effrayant avec Hulk, c'est souvent l'image qu'il nous renvoie de nous même.
Le plus effrayant avec Hulk, c'est souvent l'image qu'il nous renvoie de nous même. ©Marvel

Ils sont forts, puissants et semblent invincibles. Pourtant, les héros ont aussi des failles. Anthony Huard, psychologue et psychanalyste passionné de comic-books s’est penché sur le cas de Hulk pour les 60 ans du personnage.

Les personnages de pop culture à personnalités multiples sont souvent qualifiés de schizophrènes, alors qu’ils souffrent en réalité de trouble dissociatif de l’identité (TDI). Qu’en est-il pour Bruce Banner/Hulk ?

C’est vrai que Hulk est souvent associé à une de ces deux pathologies. Mais on peut rapidement évacuer l’idée de la schizophrénie, qui est une psychose qui se déclenche avec des éléments d’hallucinations visuelles, auditives, etc., qui laissent la personne perplexe face à une réalité qu’elle ne comprend plus au moment où la maladie se met en place.

On voit bien que Hulk ne correspond pas à ce champ-là, puisqu’il reste ancré dans la réalité, même si c’est une réalité qui le met justement en colère, en rage et contre laquelle il lutte. En revanche, je comprends pourquoi on peut penser au TDI, parce qu’on constate qu’il y a souvent plusieurs entités chez un même individu, que ce soit dans les films ou les comic books.

La cohabitation entre Hulk et Bruce Banner n’est pas évidente, mais quand le doux professeur est confronté à des problèmes, son alter ego lui est bien utile.©Marvel

On voit bien qu’il y a Bruce Banner, Hulk et même plusieurs versions de ce dernier. Sauf que ça ne correspond pas à cette pathologie non plus, parce qu’il n’y a pas vraiment un passage d’une personnalité à une autre, d’une identité à une autre.

Chez Hulk, les passages ne se font pas sur le mode d’un transfert d’identité, c’est plutôt la colère qui va régir le passage de l’une à l’autre. Et, même quand il y a différentes versions de lui, ce qui régit le passage d’une entité à une autre, c’est plutôt ce contre quoi il se bat.

Alors, quelle serait la cause réelle de sa transformation ?

On voit que cette colère a une tonalité particulière, c’est une colère face à quelque chose qui le met en grande difficulté et on pourrait partir vers une hypothèse à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus proche de nous : en fait, Hulk se met en rage lorsqu’il est confronté à une situation d’impuissance.

Lorsqu’il ne peut pas surmonter quelque chose, c’est là qu’elle se déclenche. D’ailleurs, il y a une phrase qui résume bien cette idée : « Plus Hulk se met en colère, plus Hulk est fort. » Plus il se sent impuissant, plus il est remonté contre cette impuissance et plus il grandit en force en essayant d’être plus puissant que l’obstacle contre lequel il se bat.

Le personnage n’est ni connu pour sa subtilité, ni pour ses lignes de dialogues élaborées.©Marvel

On pourrait rapprocher cette colère de celle d’un petit enfant qui, à un moment donné, est confronté à une limite et s’aperçoit qu’il ne peut pas être dans la toute-puissance, qu’il ne pourra pas tout avoir, ni tout surmonter, ni s’emparer de tout ce qu’il veut et qui, du coup, se met en rage.

Et c’est comme ça qu’on a des petits Hulks qui font des crises de colère dans les magasins. Donc on pourrait rapprocher le super-héros de ce stade de l’enfance qu’on appelle en psychanalyse la castration.

Littéralement vert de rage, Hulk est connu pour ses problèmes de gestion de la colère qui cachent un petit cœur d’enfant.©Marvel

C’est ce moment un peu particulier quand un enfant, garçon ou fille, est confronté à la fin de la toute-puissance qu’il s’imaginait avoir au départ, quand il pensait pouvoir disposer de ses parents, des objets, de tout ce qui l’entoure, comme il voulait.

Tout à coup, quelque chose s’effondre et il y a une explosion pour lutter contre ça. Hulk, c’est un peu le déni de cette impuissance-là.

Et, face à cette impuissance, c’est la colère, la brutalité et l’animalité qui prennent le pas sur le professeur Banner, calme et intelligent…

Banner et Hulk sont en fait deux facettes que tout un chacun peut avoir en soi. On a tous une partie plutôt civilisée. Avec notre développement psychique, on a accepté le fait que, pour accéder à différentes choses, il fallait étudier, passer par l’acquisition d’un savoir, le développement d’une certaine forme d’intelligence qui permet d’aller vers le monde extérieur et de le comprendre. Bruce Banner est cette facette.

Et puis, on peut aussi avoir une facette beaucoup moins civilisée, qui répond à des pulsions plus profondes, intimes, et parfois inconscientes, qui sont des pulsions beaucoup plus violentes et brutales, qui ne cherchent pas à composer avec le monde extérieur, mais à imposer.

Les séances chez le psychologue Doc Samson n’ont pas fait tellement de bien à Hulk, loin de là.©Marvel

Et donc, cette dualité Banner/Hulk représente un peu la dualité de tout un chacun, entre son visage civilisé et son visage pulsionnel, avec ces pulsions enfouies qui essaient de ressurgir. Mais on peut également envisager un autre aspect en revenant sur l’analogie avec un petit garçon.

Dans le développement psychique, il y a un âge où le petit enfant est dans une période de curiosité ; il va explorer le monde, développer des capacités cognitives pour comprendre ce qui l’entoure. Et, à un moment, il va se révolter lorsqu’il comprendra qu’il ne peut pas s’emparer de tout malgré sa curiosité.

Si Bruce Banner a un sérieux problème avec la colère et la figure paternelle, c’est peut-être lié à ses traumatismes d’enfance.©Marvel

Comme je le disais, il y a tout à coup une explosion, comme on le retrouve d’ailleurs dans l’histoire de Hulk, et ce sont les pulsions qui vont prendre le relais. On retrouve ça quand les parents racontent qu’à 2 ans, leur enfant, qui était très conciliant, se met à dire « non » à tout. Il entre dans une phase d’opposition durant laquelle il refuse que lui soit imposée la réalité. Cette explosion, c’est l’affirmation de l’enfant face au monde extérieur.

Dans le cas de Bruce Banner, il y a aussi une opposition à la figure paternelle, que ce soit son père violent ou son beau-père, le général Ross, militaire tyrannique et acharné. La transformation en Hulk est-elle causée par une bombe gamma ou par un complexe d’œdipe mal réglé ? 

Alors en effet, il peut y avoir une double lecture. On pourrait dire que, face à un père maltraitant, malveillant, qui ne le considère pas, le petit Banner absorbe toute la colère, la rage, les humiliations et la violence qu’il subit comme des radiations gamma jusqu’à un point de non-retour.

C’est une bombe à retardement qui finit par exploser et Banner devient Hulk, l’être violent qui était finalement en face de lui. Un schéma que l’on retrouve souvent dans les traumatismes infantiles avec des personnes qui deviennent violentes après avoir été victimes de violences.

Bruce Banner a eu de nombreuses personnalités en plus de Hulk, comme Joe Fixit, gros bras sévissant à Las Vegas.©Marvel

Et puis, on pourrait avoir une autre lecture dans laquelle ce père maltraitant ou ce beau-père persécuteur pourraient être la figure paternelle telle que l’enfant le perçoit. C’est-à-dire que parfois, lorsqu’il pense être dans la toute-puissance, il imagine une figure qui va lui dire que tout n’est pas possible, qui l’empêche de faire ce qu’il veut, d’être toujours avec la figure maternelle qui prend soin de lui.

Et donc, pour le petit enfant, à ce moment-là, cet autre parent qui peut être le père, mais aussi un beau-père ou une autre mère, va paraître comme une figure qui lui veut du mal et lui impose des limites.

Du coup, l’enfant va percevoir cette autre figure comme hostile, malveillante et persécutrice et va essayer de lui échapper, d’échapper à son regard pour continuer de profiter des choses dont il profitait jusqu’alors. Donc on peut s’imaginer que cette figure parentale est une figure un peu fantasmatique d’une figure paternelle que tout un chacun peut rencontrer à un moment donné. 

Comme vous le dites, chacun peut traverser dans sa vie les mêmes phases que Hulk. C’est finalement ce qui fait peut-être si peur chez lui : non pas sa capacité à tout détruire, mais celle de nous ressembler et d’incarner ce que l’on pourrait devenir si on laissait notre colère prendre le dessus…

Tout à fait, je pense que c’est une bonne analyse. On constate souvent que ses camarades ont peur de lui avant même qu’il ne dévaste quoi que ce soit. Il y a une figure un peu monstrueuse de Hulk, avec un côté incontrôlable, qui renvoie chacun à la perte possible de contrôle qu’on pourrait subir à un moment donné.

Alors, il a un effet un peu cathartique et en même temps un peu jubilatoire, qui nous vient de notre part d’enfance, quand les ennemis sont écrasés et qu’enfin tous les obstacles sont anéantis.

Dans l’event World War Hulk, le colosse de jade revient se venger des héros qui l’ont condamné à l’exil sur une planète hostile par peur qu’il ne continue à faire des dégâts sur Terre.©Marvel

Mais cet aspect peut nous effrayer parce qu’il renvoie à notre propre part monstrueuse, non pas au sens difforme, mais qui correspond aux pulsions qu’on a en nous et qui ferait qu’on ne se reconnaîtrait plus si on était uniquement guidés par elles. C’est ça qui rend monstrueux : c’est quand on ne se reconnaît plus soi-même dans le miroir. Et Hulk est un personnage miroir. D’ailleurs, il y a souvent dans ses histoires l’évocation de l’image qu’il renvoie aux autres.

Malgré ce côté monstrueux, le public peut éprouver de l’empathie pour lui. Il se fait même des amis. Alors que l’autre monstre qui a inspiré sa création, le Mr Hyde du Dr. Jekyll, n’a laissé au grand public que l’image d’un être malsain. Qu’est-ce qui rend Hulk plus attachant que son modèle ?

C’est vrai qu’à l’origine on voit bien ce parallèle avec Banner/Hulk qui est une sorte de version contemporaine de Dr Jekkyl et Mister Hyde. Mais une différence apparaît dès le départ : le Dr. Jekyll prend une potion pour se transformer en Mr. Hyde. Donc il y a déjà une intention de transformation, alors que Banner la subit. D’ailleurs, au tout début, dans les premiers épisodes du comic, Banner ne se transforme pas sous l’effet de la colère, mais au moment du coucher du soleil.

Hulk entretient une relation ambigüe avec le reste de la communauté super-héroïque qui tantôt le pourchasse, tantôt s’allie avec lui, comme l’équipe des Defenders.©Marvel

C’est intéressant aussi, parce qu’il suffit d’interroger les parents pour savoir que les moments d’angoisse, de peur, de terreur que peuvent avoir les enfants surviennent souvent au moment du coucher, à l’arrivée de la nuit. Et c’est là que surgit Hulk, donc on voit bien le parallèle avec la part d’enfance. Quand il se transforme, c’est une sorte de petit garçon dans un corps qui est un tas de muscles et qui est perdu, qui est naïf. Il y a quelque chose de très mélancolique chez lui, que l’on voyait bien dans la série télé des années 1980, et qui renvoie à quelque chose de l’enfance.

La série culte des années 1980 mettait en scène un Bruce Banner, rebaptisé David, solitaire et mélancolique, comme c’est souvent le cas pour Hulk dans les bandes dessinées.

À l’inverse, il y a quelque chose de malsain chez Mr. Hyde, parce qu’il est attiré par le vice, la destruction volontaire, la perversité. C’est-à-dire que chez l’adulte, il pourrait y avoir des intentions perverses cachées, alors que chez Hulk, la part qui est cachée, c’est celle reliée à l’enfance, avec tout ce qu’elle comporte de résistances face à ce qui contrarie sa toute-puissance.

Ce sont donc deux personnages qui sont basés sur le même principe, au départ, mais qui n’évoluent pas du tout de la même façon. Et c’est ce qui permet à Hulk d’avoir souvent des compagnons de route, parce que c’est une sorte d’enfant perdu qui va trouver des tuteurs ou s’allier à des super-héros qui, au-delà de l’aspect monstrueux, vont percevoir aussi son aspect enfantin et perdu.

En 60 ans, ce personnage a beaucoup évolué. Il a développé différentes facettes et a parfois connu des moments de paix où Bruce Banner cédait le pas à Hulk ou inversement. Est-ce que cela signifie qu’il y a un espoir de guérison chez lui ? Et si oui, est-ce que ce serait Banner qui guérirait de Hulk ou l’inverse ?

C’est une vraie question, parce qu’il y a régulièrement des solutions provisoires qui sont trouvées, même si elles ne fonctionnent jamais complètement, car il faut bien que l’histoire continue. Dans les films, on voit bien que le Hulk intelligent – qui ressemble un peu au Professeur Hulk des comics – présente une forme de réconciliation entre la part d’intelligence de Banner et la puissance de Hulk.

Ce qui est intéressant, si on remonte à la genèse de cette combinaison dans les films Avengers, c’est que Hulk a cédé du terrain après avoir affronté Thanos. C’est un élément en lien avec ce qu’on évoquait tout à l’heure sur la castration et la toute-puissance, car la castration ultime, c’est l’idée de notre propre mortalité, le fait de se dire qu’on ne sera pas immortel.

La série She-Hulk permet d’en apprendre plus sur les méthodes qui ont permis à Bruce Banner de dompter la bête en lui.

Et donc, Hulk, à partir du moment où il affronte Thanos, qui est l’incarnation de la mort, n’apparaît plus sous la forme d’un enfant colérique, mais sous une forme plus posée, plus policée et finalement plus calme. On pourrait presque se dire que cette phase-là correspond à celle qui suit la castration chez l’enfant et qu’on appelle la phase de latence. C’est-à-dire qu’il a accepté l’idée de sa mortalité, qu’il n’était pas tout-puissant et qu’il fallait mettre en sommeil ses pulsions pour découvrir et se montrer curieux.

C’est une phase qui permet à l’enfant d’apprendre et qui correspond d’ailleurs à peu près à l’âge où il entre au CP, pile au moment où on lui demande d’apprendre des choses. On pourrait dire que cette combinaison est peut-être la plus heureuse pour Hulk qui met en sommeil ses pulsions, même si elles sont toujours là au niveau physique. Ce corps et cette puissance sont alors associés à une intelligence et une acceptation d’explorer le monde par la réflexion et pas seulement par la destruction.

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Anthony Huard est psychologue, psychanalyste et auteur de Freud & les super-héros, aux éditions l’Opportun, 320 p., 12,90€

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste