Entretien

Mathieu Turi : “Pour Gueules noires, je me suis beaucoup inspiré de The Descent

13 novembre 2023
Par Lisa Muratore
Mathieu Turi réalise “Gueules noires”, avec Samuel Lebihan.
Mathieu Turi réalise “Gueules noires”, avec Samuel Lebihan. ©Florent Grosnom/Alba Films

Attendu dans les salles obscures ce mercredi 15 novembre, Gueules noires est la nouvelle création horrifique de Mathieu Turi. Le réalisateur de Méandre convoque encore une fois le monstrueux dans un film de genre obscur porté par une véritable troupe de comédiens. Rencontre.

Comment le projet de Gueules noires est-il né ?

Je suis un grand fan de Lovecraft. C’est une mythologie fantastique d’horreur traitée de façon réaliste, liée à l’archéologie et à la science. C’est aussi très cosmique et dense. Lovecraft a créé plusieurs histoires dans un univers qui est le même, et chaque auteur après lui a ajouté des pierres à l’édifice sans toucher à sa mythologie.

À mon modeste niveau, j’avais envie aussi de faire cela. Je me suis demandé comment je pouvais ancrer cela dans quelque chose de français. Très vite, je me suis dit que des mineurs qui vont à 1000 mètres sous terre pour découvrir une civilisation inconnue, des ruines, puis autre chose correspondait parfaitement… J’ai fait beaucoup de recherches sur les mineurs des années 1950. D’ailleurs, j’ai découvert un milieu qui était très cinématographique.

Les hommes de Gueules noires. ©Florent Grosnom/Alba Films

Pour résumer, l’impulsion vient de Lovecraft avec l’envie de parler de quelque chose de français, sur les mineurs du Nord. Ce n’est pas parce que l’on fait un film dit de “divertissement” qu’il ne faut pas justement faire ce travail-là. J’ai discuté avec des fils de mineurs qui étaient très contents que notre patrimoine régional soit utilisé aussi d’une façon divertissante, de façon à ce qu’ils deviennent les héros d’une aventure, autre que celle de Germinal.

Ce n’est pas la première fois que vous filmez des monstres. On se souvient d’Hostile, votre premier long-métrage. Pourquoi le monstrueux vous fascine-t-il tant ? 

Je pense que ma fascination part de The Thing de John Carpenter, que j’ai vu caché derrière le canapé à 6 ans ; ce qu’il ne faut pas faire [rires]. J’ai voulu aller au bout, c’est-à-dire qu’avant mes 10 ans, j’ai vu la saga Alien, Predator… J’avais un oncle qui avait toutes les cassettes enregistrées de films d’horreur et, grâce à lui, j’ai découvert l’horreur et le monstrueux. Inconsciemment, plus tard, quand j’ai voulu être réalisateur, c’est remonté un peu à la surface et je me suis lancé dans le cinéma de genre.

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Le cinéma français de genre prend de plus en plus de place. On pense à Gravité, au Règne animal ou encore à Acide. Quel regard portez-vous sur le genre aujourd’hui en France ? 

Pour moi, Le Règne animal, c’est un film de genre pur. C’est un chef-d’œuvre qui a bénéficié du bouche-à-oreille avec succès. C’est génial pour Thomas Cailley, mais aussi pour l’ensemble du cinéma de genre, car un film de genre qui marche, ça aide tout le monde. Quand je sors Méandre, en 2020, il y a Romain Quirot qui sort Le Dernier Voyage, il y a Teddy, il y a La Nuée… On a tous ces films qui arrivent en même temps et qui sont des propositions de cinéma très variées.

La qualité vient de la quantité. Pour avoir Le Règne animal, il faut qu’il y ait plein d’autres films avant. Pour faire le lien, je pense que si on a d’excellentes comédies aujourd’hui en France, c’est parce qu’on a aussi ce patrimoine massif de comédies, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. On a besoin d’avoir un côté industriel du cinéma de genre, car on n’a pas de Jason Blum français. Mais ceci n’empêche pas de faire des films dits d’auteur, de genre. 

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Je ne peux qu’être optimiste sur l’avenir du cinéma de genre français étant donné les films proposés cette année, très différents, avec des budgets différents, des histoires différentes. Depuis la sortie de Méandre, je ne dirais pas que c’est simple, mais, en tout cas, aujourd’hui, c’est moins difficile de faire du cinéma de genre. Il y a un élan dû au succès de Grave qui ouvre la porte à un certain public, à une certaine presse. L’arrivée des plateformes aussi a donné la possibilité aux cinéastes de proposer des choses. Mais la chose qui, pour moi, est la plus importante et dont personne ne parle, c’est le changement de génération des gens qui font le cinéma français. 

C’est long, mais ça arrive. Quand j’ai pitché Méandre au producteur, on a parlé un quart d’heure de Méandre et le reste du temps d’Alien de James Cameron. Ce qui veut dire que les gens qui commencent à arriver à ces postes-là ont grandi avec un cinéma de genre. Ils en sont nourris et connaissent les références. Grâce à tout cela, le genre est en train de prendre sa place !

Parlez-nous du casting. Quels souvenirs gardez-vous de ces rencontres ?

Premièrement, je ne fais pas de casting. J’aime avant tout l’humain et l’échange. J’aime rencontrer les gens et sentir ce qui se passe. Normalement, je n’écris pas en pensant à des comédiens. C’est toujours piégeur. En revanche, quand j’ai écrit Gueules noires, je pensais à quelqu’un de la trempe de Samuel Lebihan. J’avais besoin de son charisme, cette gouaille, ce côté chef de guerre que l’on a envie de suivre à la mort. Samuel a aussi ce background de films de genre. J’adore ce qu’il fait aujourd’hui, ce qu’il représente physiquement, ce qu’il dégage. J’ai écrit avec cela en tête et quand il a lu le scénario, il a adoré, il m’a dit oui tout de suite. 

Samuel Lebihan incarne Roland dans Gueules noires. ©Florent Grosnom/Alba Films

Tous mes acteurs sur ce film sont des premiers choix. J’ai une chance inouïe et j’ai marché à l’instinct. Bruno Sanches, par exemple, je ne sais pas pourquoi, c’était physique. Il dégageait ce que représente le personnage de Santini et il a su le réinventer à la lecture du scénario. 

Jean-Hugues Anglade a été une évidence pour moi, mais, quand je lui ai proposé, je me suis dit tout de suite qu’il allait refuser. Philippe Torreton, c’est pareil. C’était complètement inattendu. Je me rappellerai toute ma vie quand on s’est rencontré. Il vient d’un certain cinéma et moi j’étais complexé par mes références de genre un peu extrêmes. Sauf que lorsque j’arrive, la première chose qu’il me dit c’est qu’il a adoré The Witch et qu’il sort de sa période Exorciste.

Bruno Sanches dans Gueules noires. ©Florent Grosnom/Alba Films

Pour continuer sur le casting, j’avais envie de prendre une génération de comédiens que l’on connaît, que l’on aime et qui ont des gueules comme Samuel, Jean-Hugues et Philippe, et de les confronter à une génération d’étoiles montantes.

Pour tous ces acteurs, le film a été une prise de risque. Marc Riso et Bruno Sanches sont généralement apparentés à la comédie. Diego Martín, très connu en Espagne, est venu pour ce charisme qu’il amène et la musique de sa langue, que je trouve très belle aussi. C’était un plaisir de mélanger tous ces univers. Ils ont tous une façon de travailler différente. C’était passionnant aussi de voir à quel point il faut s’adapter à chacun.

Quel souvenir gardez-vous de cette troupe de comédiens et de la direction d’acteurs ?

C’est génial ce côté troupe avec les comédiens. La première lecture était passionnante. J’avais un excellent casting, mais la première lecture allait déterminer si le groupe fonctionnait. D’ailleurs, j’ai tout enregistré en vidéo. J’ai changé des choses au scénario par rapport à ce que je voyais. Par exemple, Marc Riso et Thomas Solivérès se vannaient énormément alors qu’ils ne se connaissaient pas. J’ai vu que quelque chose se passait et de leur complicité est née une des scènes du film. 

Quand on entend les dialogues dans la bouche des comédiens, on réécrit aussi certaines choses. J’adore travailler avec les comédiens, de la première lecture jusqu’à la dernière prise. J’aime aussi quand ils proposent des choses sur le plateau. Parfois, je laisse tourner la caméra, je ne dis pas “couper” parce qu’il se passe des choses. 

C’est quel genre de challenge, en tant que metteur en scène, de filmer l’enfermement et la noirceur ? 

Je voulais de l’enfermement par l’obscurité et jouer là-dessus. C’est un challenge, car c’est un gros défi de lumière, c’est un gros défi pour toute l’équipe parce qu’on est dans un décor extrêmement complexe. Ça a été un gros travail de préparation, de tests caméra, de tournage et d’étalonnage. C’était vraiment passionnant. 

Marc Riso et Thomas Solivérès dans Gueules noires. ©Full Time Studios et Marcel Films

Je ne vous cache pas que je me suis beaucoup inspiré de The Descent. C’est un film que j’adore. Je me suis basé là-dessus pour filmer l’obscurité. Neil Marshall, le réalisateur, joue sur l’obscurité de la salle à l’époque. C’est quelque chose que j’ai voulu faire aussi ; essayer d’utiliser le noir, des noirs tellement profonds. On joue encore plus sur le contraste pour être dans une vraie obscurité qui dépasse les limites de l’écran et jouer avec. The Descent, c’est un film de salle comme Gueules noires

Gueules noires est votre troisième long-métrage. En quoi cette expérience a-t-elle été unique ? Qu’avez-vous appris en tant qu’artiste ? 

Je retiens plusieurs choses. La première, c’est d’avoir fait un film de troupe en français. Avec Gueules noires, je suis rentré dans une logique de film plus classique, notamment en termes de mise en scène. D’ailleurs, durant toute la première partie du film, je voulais vraiment être dans de la grosse machinerie, de la figuration, des véhicules, de vrais costumes, un vrai film d’époque pour donner une image très visuelle.

Bande-annonce de Gueules Noires.

Avec cette expérience, je me sens capable de m’attaquer à d’autres projets, plus gros. Je suis un passionné de Moyen-Âge et j’ai envie de monter les échelons petit à petit. Je suis très content de ne pas être passé d’un film à 2,5 millions à un film à 15 millions. Je suis très content de progresser doucement. Ça me permet d’apprendre des choses sans griller les étapes et d’y prendre du plaisir.

Gueules noires de Mathieu Turi avec Samuel Lebihan et Amir El Kacem, 1h43, depuis le 15 novembre au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste