
Ginny et Georgia reviennent le 5 juin sur Netflix pour une troisième saison. Sous ses airs de teen drama, la série aborde avec justesse la complexité des relations mère-fille et bouscule le stéréotype de la mère parfaite.
Le 5 juin, les fans de Ginny & Georgia pourront enfin retrouver leurs héroïnes dans une saison 3 qui s’est fait attendre. En seulement deux saisons, la série a abordé la dépression, l’automutilation, les micro-agressions ou encore la thérapie. Mais la production de Netflix raconte aussi – et surtout – la relation complexe entre une mère et sa fille.
Derrière le quotidien de mère cool en apparence « parfait » de Georgia se cache en effet un passé sombre, qui ressurgit peu à peu au fil des épisodes. Lors d’une dispute entre Georgia et Ginny dans la seconde salve, la mère dit à sa fille : « Je suis fière d’avoir réussi à nous mener jusqu’ici. Je n’ai jamais dit que j’étais quelqu’un de bien. » Une réplique marquante, qui remet en question l’idéalisation de la maternité.
Georgia, ni exemplaire ni mère indigne
« Georgia Miller est un personnage complexe. Une mère immature qui a dû grandir comme elle a pu dans un contexte compliqué », analyse Manon Guillemain, psychopraticienne. Un archétype de la « mère ado » que l’on retrouve dans la série Gilmore Girls. Cette proximité d’âge crée une dynamique difficile dans laquelle Ginny assume parfois le rôle de parent.
Cette inversion des rôles porte un nom : la parentification. « Ginny est la confidente et la meilleure amie de sa mère. D’ailleurs, Georgia le dit souvent : “C’est nous deux contre le reste du monde”. Elles sont d’égale à égale », observe la thérapeute.

« Ginny soulève souvent le fait qu’elle est responsable puisque sa mère a des réactions immatures, poursuit-elle. Elle soutient, écoute et s’empêche de parler de la souffrance qu’elle vit à l’intérieur d’elle-même. C’est ce qui la fait sombrer et l’enferme. » Sur TikTok, X ou encore Reddit, le personnage de Georgia suscite le débat, divisant les fans en deux catégories : ceux qui pensent qu’elle est une bonne mère et ceux qui estiment qu’elle est une mauvaise mère.
Si la majorité des utilisateurs répond qu’elle « fait de son mieux », cela ne l’empêche pas de ne pas toujours donner les outils les plus sains à ses enfants. « On parle quand même d’une personne qui, pour se sortir de sa situation, est capable de tuer. Si on prend le point de vue de l’état psychologique de ses enfants, oui, elle est toxique », tranche Manon Guillemain.

Dans une interview accordée à Today en 2023, les scénaristes et productrices exécutives Sarah Lampert et Debra J. Fisher ont confié qu’on leur demande souvent si elles considèrent Georgia comme une « mauvaise mère », une question à laquelle elles évitent de répondre. « La réponse n’est pas simple », juge Sarah Lampert, tandis que Debra J. Fisher préfère voir Georgia comme un personnage « nuancé », plutôt que bon ou mauvais.
L’évolution de la maternité à l’écran
La représentation de la maternité évolue. De nouveaux modèles de mères, moins parfaites et lisses, s’imposent sur nos écrans. « Nous voyons progressivement à l’écran des femmes qui promeuvent voire célèbrent des identités maternelles plus authentiques et réalistes, nécessairement imparfaites et désordonnées », souligne Elizabeth Podnieks, autrice de Mediating Moms: Mothers in Popular Culture et professeure à l’université de Toronto Metropolitan University.

Cette image non conventionnelle s’explique, selon elle, par l’évolution de la société : « Avec la montée des féminismes de la deuxième vague à partir des années 1970, de plus en plus de femmes sont entrées sur le marché du travail, ont privilégié leur autonomie personnelle et sexuelle, et ont rejeté les attentes traditionnelles de la féminité, y compris la maternité. »
Ainsi, les difficultés liées à la maternité sont de plus en plus montrées à l’écran, tout comme le poids des injonctions qui pèsent sur les mères. « Ça permet de déculpabiliser beaucoup de mères ou de les faire s’interroger sur leurs propres fonctionnements », note Manon Guillemain.

Au lieu de les réduire à des « mères-courage » ou des « mères indignes », la pop culture embrasse la complexité de la maternité. Des séries récentes comme Little Fires Everywhere (2020), After the Flood (2024) et Sex Education (2019-2023) montrent des maternités diverses, avec une pluralité de vécus et d’expériences. Super mamans (2016-2019) offre, par exemple, une vision à la fois comique et sincère des difficultés post-partum.
Même les mères méchantes gagnent en profondeur, à l’image de Cersei Lannister (Game of Thrones), dont l’ambition impitoyable est liée à son identité de mère. « Ces nouvelles représentations nous permettent de mieux comprendre et apprécier ce qui est en jeu pour une femme lorsqu’elle assume le rôle et l’identité de mère », précise Elizabeth Podnieks.
Une mère et anti-héroïne complexe, comme on les aime
S’il apparaît parfois caricatural, le personnage de Georgia évoque un aspect sombre de la maternité, une figure qui bouleverse l’image des mères considérées comme « délicates » et « douces ». Son fils de 9 ans, Austin, présente des signes d’anxiété sur lesquels sa mère ferme les yeux.
« Elle ne veut pas voir la vulnérabilité de ses enfants, qui fait écho à sa propre vulnérabilité qu’elle a dû enfouir pour avancer », commente la psychopraticienne. Lorsqu’elle apprend que sa fille s’automutile, elle tente d’abord une approche intrusive, difficile, avant de se raviser, ce qui donnera lieu à l’une des scènes les plus fortes de l’œuvre, dans laquelle elle confie à Ginny : « Donne-moi toute ta souffrance. Je peux gérer. »
Si Georgia suscite autant de sentiments ambivalents, c’est parce qu’elle incarne une anti-héroïne complexe. « Beaucoup de mes séries préférées – Les Soprano, The Wire, Breaking Bad – ont des personnages masculins incroyables qui sont de véritables antihéros, mais on les adore. Mais on ne voit pas souvent ça chez les femmes », a d’ailleurs confié Brianne Howey, interprète de Georgia, à Nylon.

Et il suffit de faire un rapide tour sur Google pour voir que bon nombre d’articles parviennent tout de même à louer leurs qualités de père, malgré leur absence ou leurs mauvaises actions, pour illustrer le double standard de la parentalité. Georgia incarne ainsi un portrait complexe de mère qui s’affranchit des stéréotypes, permettant aux femmes d’assumer pleinement leurs identités multiples.