Décryptage

Doit-on (vraiment) continuer à adapter la fantasy en anime ?

10 décembre 2024
Par Michaël Ducousso
“Le Seigneur des Anneaux : la guerre des Rohirrim”, le 11 décembre au cinéma.
“Le Seigneur des Anneaux : la guerre des Rohirrim”, le 11 décembre au cinéma. ©Warner Bros. Entertainment

Victimes de nombreux clichés, la fantasy et l’animation ont tissé des liens très étroits au fil des décennies. Ils ont ainsi donné naissance à des œuvres singulières et magistrales, qui n’ont rien à envier aux blockbusters bourrés d’effets spéciaux.

Plus de 20 ans après le dernier opus de la trilogie signée Peter Jackson, l’univers du Seigneur des Anneaux fait son grand retour au cinéma avec La Guerre des Rohirrim, un tout nouveau film d’animation. Il n’y a rien de bien étonnant à cela, c’est même une façon de boucler la boucle puisqu’avant l’adaptation des années 2000, qui a tant marqué les esprits, l’univers de Tolkien a d’abord été porté sur les écrans en dessins animés.

Bien des années avant le succès de Peter Jackson, le réalisateur Ralph Bakshi s’est lancé dans une ambitieuse adaptation animée du Seigneur des Anneaux.

Que ce soit le téléfilm The Hobbit, diffusé en 1977, ou le film de Ralph Bakshi, sorti en 1978, la Terre du Milieu a d’abord pris vie sous les coups de crayon colorés des animateurs. Et si aujourd’hui on encense Peter Jackson ou les showrunners de Games of Thrones pour leurs réalisations qui ont redonné le goût de la fantasy au public, il ne faut pas oublier les centaines d’artistes plus ou moins anonymes qui, depuis presque un siècle, font vivre ce genre au cinéma ou à la télévision.

Il était une fois… les dessins animés

Bien longtemps avant l’avènement des CGI et autres fonds verts, Nausicaa, Tygra, Taram et leurs amis ont su transporter les spectateurs dans des mondes magiques et merveilleux. Et ceux-là n’ont rien perdu de leur charme, contrairement aux effets spéciaux de certaines productions live qui ont mal supporté le passage du temps. Ce n’est pas toujours facile, en effet, de faire passer une marionnette filmée en studio pour un gracieux elfe des bois.

En 1977, Disney misait sur la magie de l’animation pour donner vie à Elliott le dragon. Et le résultat n’a (presque) rien à envier aux dragons des Targaryen.

De plus, le dessin a toujours su donner vie à l’atmosphère enchanteresse des mondes imaginaires, comme le rappelle l’historien William Blanc, auteur de Winter is coming : une brève histoire politique de la fantasy et co-auteur, avec Justin Breton et Jonathan Fruoco, de Robin des Bois : une légende de Sherwood à Hollywood.

Les premières œuvres de fantasy étaient déjà illustrées et des auteurs comme William Morris ou Tolkien n’hésitaient pas à troquer la plume contre le crayon pour donner forme à leurs univers. « Je pense que c’est pour ça que la transposition en dessins animés s’est faite naturellement et que la fantasy a très tôt donné des films d’animation, estime William Blanc. L’un des exemples les plus anciens et les plus connus date de 1937, c’est Blanche-Neige et les sept nains. »

Blanche-Neige et les sept nains©The Walt Disney Company

Car, malgré des définitions parfois un peu trop étriquées du genre, en France, ce film de Disney relève bien de la fantasy. « Tout comme deux autres grands succès francophones de ce genre, aussi bien en bande dessinée qu’en animation et qui sont Les Schtroumphs et Astérix« , complète le spécialiste. Des créatures fantastiques, des potions magiques, de vilains sorciers et une critique de la société moderne mâtinée d’un fort accent écologique… Tous les codes sont pourtant là.

Seulement, la fantasy fait parfois mauvais genre et elle n’a pas toujours été reconnue comme telle, à cause de classifications commerciales obtuses ou de simples clichés. De même que les dessins animés ont longtemps été considérés comme enfantins. C’est peut-être d’ailleurs ce qui a contribué à rapprocher les deux, car « la fantasy et le Moyen-Âge imaginaire ont eux aussi été longtemps perçus comme avant tout destinés aux enfants », souligne William Blanc.

Inspiré du folklore japonais, Princesse Mononoke aborde de nombreux thèmes récurrents dans la fantasy depuis son apparition, comme la protection de la nature.

« Alors que quand on regarde un film comme Princesse Mononoké, on constate qu’il y a une qualité graphique extraordinaire, des scènes parfois très dures et un propos très adulte », estime l’historien. Le film du Studio Ghibli est effectivement la preuve que l’animation et la fantasy sont capables de produire des œuvres magistrales, qui s’adressent à tous les publics. Hayao Miyazaki et ses compatriotes l’ont compris depuis longtemps.

L’exception culturelle japonaise

« La fantasy est très populaire au Japon, car c’est un pays qui aime les genres, assure ainsi Pierre-William Fregonese, professeur à Kobe et co-auteur d’une récente biographie dédiée à Makoto Shinkai. C’est pour ça que les Japonais produisent beaucoup d’œuvres de fantasy, et notamment de fantasy hybride, mêlée à d’autres genres, mais où l’on retrouve des marqueurs comme la magie, le merveilleux et l’idée de contrées lointaines. » Naruto, Demon Slayer, Frieren, Mashle, Suzume, L’Attaque des Titans… La plupart des grands succès de l’animation nippone moderne peuvent en effet se rattacher de près ou de loin à une branche de la fantasy.

Avec Horus, prince du soleil, sorti en 1968 alors qu’il travaillait pour la Toei, Isao Takahata jouait déjà avec les codes traditionnels de la fantasy.

Tout ça, c’est grâce à l’amour du public pour l’œuvre de Tolkien, traduite dans l’Archipel dans les années 1970, mais également grâce à Isao Takahata et Hayao Miyazaki, les deux artistes à l’origine du Studio Ghibli qui ont respectivement su donner le goût de ce genre à leurs contemporains, avec Horus, prince du soleil (1968) et Nausicaa (1983).

Leurs successeurs ont su entretenir la flamme, même s’il faut reconnaître que le passage à vide de l’économie nippone, lors de la « décennie perdue » des années 1990, leur a fourni tout le combustible nécessaire. Durant cette période, la fantasy a servi aussi bien de refuge que de critique sociale, comme elle a toujours su si bien le faire en temps de crise. « Ça a vraiment été un point de bascule vers un âge d’or de la fantasy au Japon », constate Pierre-William Fregonese.

Il ajoute : « Beaucoup d’œuvres sont alors apparues, illustrant les angoisses de l’époque, comme Vision d’Escaflowne – qui emprunte à ce qu’on appelle en anglais la cross-world fantasy – mais aussi Berserk ou Les Chroniques de la guerre de Lodoss, qui est directement adapté de Donjons et Dragons, très populaire au Japon. » Et bien sûr, parmi elles, Princesse Mononoké, en 1997. Autant d’animes, souvent issus de mangas, qui ont pavé la voie à la kyrielle de créations nippones dont le poids est aujourd’hui considérable dans le marché mondial de la fantasy.

Célèbre exemple de fantasy japonaise hybride, Nausicaa de la Vallée du vent est une œuvre de science-fantasy où la magie côtoie la technologie.©Studio Ghibli

Un succès qui repose aussi bien sur des concepts forts que sur une stratégie commerciale payante. « C’est ce qu’on appelle au Japon le Media Mix, explique Pierre-William Fregonese. L’idée de réutiliser les succès en mangas et en animes avec des produits dérivés, des goodies, des jeux vidéo, etc. C’est ce qui a permis aux œuvres japonaises d’occuper autant le terrain par rapport à d’autres productions. Je pense même que, durant mon enfance, j’ai vu plus de visages japonais que français à la télé, car le Japon était partout ! »

L’âge de la maturité

Le chercheur français n’est pas un cas à part. Toute la génération biberonnée aux « japoniaiseries » tant décriées du Club Dorothée a intégré les codes de l’animation nippone et appris à aimer les différents genres présentés dans ces œuvres. C’est également ce qui a fait passer le Japon pour un Eldorado aux yeux des jeunes animateurs français, très appréciés là-bas, comme le constate Pierre-William Fregonese.

Le Roi et l’Oiseau est un des rares films d’animation à avoir reçu le prestigieux prix Louis-Delluc et ses dialogues et son scénario sont signés Jacques Prévert.

Voilà de quoi faire sourire lorsque l’on sait que des artistes français ont eux-mêmes influencé Takahata. « Il racontait qu’il ne serait jamais arrivé dans le monde de l’animation s’il n’avait pas vu Le Roi et l’Oiseau, une œuvre française extraordinaire, qui est une œuvre de fantasy par excellence !, ajoute le spécialiste. Donc, quelque part, avant de faire du Tolkien, ce qui était important pour les créateurs japonais, c’était de faire un film digne de cette œuvre française. Et aujourd’hui, la réalisation de La Guerre des Rohirrim a été confiée à des studios japonais… où travaillent des animateurs français ! »

Le Seigneur des Anneaux : la guerre des Rohirrim©Warner Bros. Entertainment

Si les artistes du monde entier s’inspirent les uns des autres depuis des décennies, les spectateurs ont également appris des différentes influences auxquelles ils ont été confrontés. La fantasy et l’animation ont ainsi participé à la création de leurs imaginaires, se faisant par là même une place à part dans leurs consommations culturelles. Et, devenus grands, ils n’ont plus aucun problème à explorer les univers qui leur plaisent, que ce soit en mangas, en jeux vidéo, en film ou en dessins animés.

En témoignent les succès d’œuvres issues de licences transmédiatiques comme The Witcher : le cauchemar du loup, La Légende de Vox Machina ou le phénomène Arcane. Ces initiatives prouvent que les studios ont enfin accepté de remiser leurs a priori au placard et de financer des projets ambitieux capables de plaire à des consommateurs moins obtus qu’ils ne le pensaient.

De la violence, du sexe, de l’alcool… La série animée adaptée d’un actual play de Donjons et Dragons n’a absolument rien d’enfantin. Pourtant elle cartonne, alors que les tentatives de blockbusters autour du célèbre jeu de rôle enchaînent les flops.

Toutes ces évolutions ne sont pas pour déplaire à Anne Besson, docteure en littérature comparée et membre fondatrice de la revue Chimères dédiée aux mondes imaginaires. « Les studios commencent à comprendre que la fantasy est transgénérationnelle et que l’on peut accompagner le jeune public vers des contenus plus adultes via des outils comme l’animation », explique-t-elle. L’idée est d’autant plus profitable que cela permet « de démultiplier les productions autour d’une franchise, en faisant appel à d’autres types de créateurs et en touchant plusieurs publics différents ».

Ne laissant rien au hasard, Warner Bros. a décidé de confier son nouveau film dans l’univers de Tolkien à un poids lourd de l’animation japonaise : Kenji Kamiyama.

Le concept a déjà fait ses preuves dans la galaxie Star Wars, où les trilogies cinématographiques s’accompagnent d’une multitude de séries animées de qualité, calibrées pour accompagner les fans de tous les âges. « Et c’est un peu ce qui est fait avec La Guerre des Rohirrim, qui prend la forme d’un anime classique, en 2D, pour proposer une autre version de l’univers de Tolkien qui va toucher les ados, mais aussi les adultes, en leur rappelant un élément de leur enfance, que sont les dessins animés, mais avec une accroche plus mature », analyse la spécialiste. De quoi accroître la profitabilité du Tolkien Cinematic Universe grâce au pouvoir ancestral de l’animation, enfin reconnu à sa juste valeur.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste