Critique

Roar, féroce rugissement pop et féministe ultraréférencé

14 avril 2022
Par Thomas Laborde
Exposée comme un trophée, Amelia se retrouve bloquée sur une étagère.
Exposée comme un trophée, Amelia se retrouve bloquée sur une étagère. ©Apple TV+

Adaptée des écrits de l’écrivaine irlandaise Cecelia Ahern, la courageuse anthologie Roar présente huit portraits de femmes confrontées à la violence banalisée de notre monde. Les huit épisodes flirtent avec l’absurde, le fantastique, l’humour et l’horreur. Et c’est magnifique.

Il faut le voir pour le croire. Chaque jour, des situations parmi les plus absurdes révèlent des maux pourtant d’une effrayante banalité, des comportements toxiques effarants ancrés dans la vie quotidienne comme Michel Drucker dans le dimanche après-midi cathodique. La violence ordinaire, aussi admise et intégrée qu’elle est omniprésente et carnassière, à travers le prisme de l’absurde, du comique, du fantastique, de l’horreur : c’est le reflet que nous renvoie dans un miroir pas si déformant la vertigineuse anthologie Roar. Huit créations adaptées des écrits de la prolifique autrice irlandaise Cecelia Ahern, rendue célèbre à 21 ans pour PS I love you, dont l’adaptation cinématographique n’a pas le mordant amer, le piquant acide, la malice enragée de Roar. La nouvelle série d’Apple Tv+, disponible dès le 15 avril, s’affranchit du réel pour en mettre en lumière la cruauté.

Femme-trophée, mangeuse de photos et canard toxique

Il y a Wanda, jouée par Issa Rae, jeune autrice afro-américaine sur le point de percer à Hollywood avant de se rendre compte que ses interlocuteurs ne voient pas vraiment son travail comme elle, jusqu’à ne plus la voir, du tout, elle. Suit Robin, sous les traits toujours hypnotisants de Nicole Kidman. Son fils part à la fac, sa mère est atteinte de démence et elle, perdue dans ce carrefour, mange des photos pour préserver le passé. Passée par les concours de mini-miss, Amelia, que porte Betty Gilpin, se retrouve adulte exposée comme un trophée sur une étagère dans l’immense manoir de son mari.

Ambia, à qui Cynthia Erivo prête tout son style et son charisme, est une mère carriériste qui vient d’avoir un second enfant. À son retour au bureau, d’une réunion à l’autre, d’une journée chargée à un voyage d’affaires, elle découvre sur son corps d’imposantes et sanguinolentes morsures. « Je ne suis pas encore mère, mais la mienne était célibataire avec deux enfants et devait naviguer entre la maternité, le travail, les tâches domestiques. Je me suis plongée dans nos souvenirs pour préparer le rôle », précise la comédienne, dont le personnage est physiquement rongé de l’intérieur par une culpabilité imposée.

Merritt Wever tombe sur un canard à qui l’on pourrait changer le premier A en O. Formidable d’absurdité malsaine.©Apple TV+

Après des prestations époustouflantes dans les miniséries Unbelievable et Godless, Merritt Wever est Elisa, une femme célibataire qui se met en couple avec un canard, tendance pervers narcissique. « Ça s’est super bien passé avec le canard, je pensais que ce serait dur de travailler avec un animal, qu’il faudrait sans cesse lui courir après, mais il a été génial ! L’acteur qui jouait sa voix était juste à côté, mais je regardais la créature ! Ça a bien marché, c’est même plus simple qu’avec certains humains », commente l’actrice, qui confie avoir été confrontée dans sa vie personnelle, comme Elisa, à des masculinités toxiques.

Becky, elle, a été sauvagement assassinée. Son corps a été retrouvé en forêt, mis en scène, déguisé. Les flics qui se chargent de l’enquête ne sont plus à deux clichés sexistes près. C’est donc elle, présence spectrale que personne ne capte, qui va devoir résoudre l’affaire. Toujours pétillante Alison Brie en fantôme enquêtrice, penchant féministe et modernisé de Ghost avec Demi Moore et Patrick Swayze.

La pétillante et lumineuse Alison Brie enquête sur son propre meurtre sordide dans un monde où les femmes sont toujours responsables de ce qui leur arrive.©Apple TV+

Anu, au visage de Meera Syal, est une femme indienne âgée, coincée dans un morne mariage. Sa décision pour en sortir : ramener son mari dans la boutique où elle l’a acheté. Place à Jane, qui part venger son père décédé, dans un Far West pas franchement réputé pour son féminisme et son humanisme. C’est l’actrice Fivel Stewart (Izzie dans Atypical) qui s’y colle, galopant à travers le désert sur des chevaux montés à cru : « Je n’ai pas traversé la même chose que mon personnage, mais je me sens proche d’elle, de sa détermination. Ma famille a toujours été une inspiration. »

Déconstruction et reconquête

Huit épisodes dingues, pop et lumineux dans leur réalisation, pour le moins tragicomiques et sombres dans la narration et le propos, portés par une galerie de femmes aux personnalités variées confrontées au sexisme, à la masculinité toxique, au racisme, à l’indifférence, à l’acharnement. Des femmes qui doivent d’elles-mêmes tout déconstruire pour se reconstruire, à qui même les plus proches peinent à tendre la main. Des femmes en reconquête de leur corps, de leur existence, de leur liberté. Un catalogue déroutant et éloquent qui à chaque histoire se renouvelle sans redondance et expose sans concession la condition de femmes d’aujourd’hui.

Roar, c’est le rugissement et c’est une splendide anthologie féministe, aussi sombre que pop.©Apple TV+

L’ensemble, mené par un casting extraordinaire et des réalisatrices engagées, navigue d’un genre cinématographique à l’autre avec aisance et rappelle parfois Black Mirror, True Detective, ou encore Desperate Housewives.

Roar, en français, c’est le rugissement. Cette anthologie féministe rugit avec férocité, jamais sans humour, jamais sans vivacité. Une série habitée par l’espoir. Roar, rugir de reconquérir.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste