Critique

Nous les menteurs (We Were Liars) : comment bien adapter un roman Young Adult en série ?

16 juin 2025
Par Marion Olité
“Nous les menteurs (We Were Liars)”, le 18 juin 2025 sur Prime Video.
“Nous les menteurs (We Were Liars)”, le 18 juin 2025 sur Prime Video. ©Prime Video

Quoi de mieux pour fêter l’arrivée de l’été qu’un nouveau teen drama qui sent bon l’eau salée et les secrets de famille ? Disponible le 18 juin sur Prime Video, cette production vient rejoindre la liste toujours plus longue des romans Young Adult portés à l’écran.

Chaque été, la riche famille Sinclair, d’ascendance royale, se réfugie à Beechwood, l’île privée du patriarche. Cady Sinclair (Emily Alyn Lind) a grandi dans cet environnement très privilégié avec ses cousins, Mirren (Esther McGregor) et Johnny (Joseph Zada), et son meilleur ami Gat (Shubham Maheshwari). Inséparable depuis l’enfance, jamais à court de bêtises, le quatuor a été surnommé « les menteurs » (d’où le nom de la série) par les adultes.

Mais l’année de ses 16 ans, Cady est victime d’un terrible accident qui la laisse traumatisée et amnésique. L’été suivant, la jeune femme retourne à Beechwood et tente de comprendre ce qu’il lui est arrivé. Elle réalise que ses proches, dont « les menteurs », lui cachent beaucoup de choses.

Un phénomène du BookTok

Publié en 2014, le roman d’horreur psychologique éponyme de E. Lockhart est vite devenu un phénomène littéraire mondial, acclamé autant par la critique que par le public, notamment en raison d’un twist final savamment orchestré. Depuis, le fandom n’a cessé de s’agrandir, notamment grâce au succès du livre sur BookTok, la communauté TikTok dédiée aux livres, où les lectrices se filment en train de réagir avec émotion au rebondissement final.

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Un best-seller chéri par les ados et jeunes adultes, dont l’action se déroule sur une île paradisiaque et chez les ultrariches ? Autant dire que Nous les menteurs se promenait à Hollywood avec une pancarte « achetez-moi tout de suite, je suis votre prochain hit ! ». Et ça n’a pas loupé : fort de son succès dans les teen dramas avec des séries comme L’été où je suis devenue jolie ou Maxton Hall, Amazon a donné son feu vert aux créatrices Julie Plec (Vampire Diaries) et Carina Adly MacKenzie (The Originals) pour adapter l’œuvre. Cependant, matériau prometteur ne rime pas toujours avec adaptation à la hauteur.

Règle n°1 : rester fidèle à l’essence du roman

N’en déplaise aux puristes, une bonne adaptation ne suit pas nécessairement le roman à la lettre, mais parvient à coup sûr à restituer ce qui en fait sa singularité. Une série comme Pretty Little Liars – adaptée des romans de Sara Shepard – installe avec brio un climat de suspicion généralisé et une ambiance horrifique de slasher. De son côté, la culte Gossip Girl, basée sur la saga littéraire de Cecily von Ziegesar, a su planter un décor (l’Upper East Side), une esthétique (les looks preppy des élèves) et un ton cynique reconnaissable entre mille.

Gossip Girl (2007-2012).©The CW

Dans un tout autre style, L’été où je suis devenue jolie, adaptée de la trilogie de romans signés Jenny Han, parvient à encapsuler les vibes estivales et nostalgiques du roman. On a envie d’aller passer nos étés avec Belly, Conrad et Jeremiah dans la chaleureuse maison de Cousin’s Beach où le triangle amoureux se forme. Cette histoire résonne avec nos expériences : on est beaucoup à avoir des moments de vacances scolaires à la plage gravés dans nos esprits.

Avec son décor estival idyllique, que Cady compare à un château de conte de fées, Nous les menteurs joue sur cette même idée d’un paradis perdu pour le groupe, qui se heurte au monde des adultes pour la première fois. Mais, au-delà de cette tendresse mélancolique pour le passage à l’âge adulte – ingrédient indispensable à une bonne adaptation de roman YA – la série verse aussi dans le thriller psychologique.

Victime d’une lésion cérébrale, Cady est assaillie de flashbacks et d’hallucinations flippantes. Comme le roman, la production de Prime Video nous est racontée du point de vue de cette princesse contemporaine, en pleine désillusion face aux petites et grandes laideurs de sa famille obsédée par l’argent et les apparences.

Règle n°2 : s’accorder des libertés nécessaires

Quand on adore un roman, on espère retrouver tous les personnages trait pour trait et toutes les intrigues, sans omission, dans son adaptation. Malheureusement, c’est mission impossible pour les scénaristes. Leur version de l’histoire ne pourra jamais – jamais – ressembler à 100 % à l’image mentale que l’on se construit à la lecture, propre à l’imagination de chacun. Il arrive très souvent que l’apparence physique des personnages ou leurs origines ethniques soient modifiées pour des raisons esthétiques ou narratives.

Pour toujours (Forever).©Netflix

Par exemple, dans l’adaptation très réussie de Forever (un classique du roman YA écrit par Judy Blume en 1975), la showrunneuse Mara Brock Akil a transposé le récit dans le Los Angeles contemporain, où l’on suit les premières fois de deux adolescents noirs. Nécessaire à l’histoire, le changement d’ethnicité permet d’aborder les spécificités du passage à l’âge adulte de protagonistes racisés.

Dans L’été où je suis devenue jolie, Belly est d’origine coréenne, ce qui n’était pas le cas dans les romans écrits par Jenny Han entre 2009 et 2011. L’écrivaine, elle-même d’origine coréenne, a expliqué ce choix : « Lorsque j’ai abordé l’adaptation, je voulais vraiment refléter le moment dans lequel nous vivons. Et je pense que la diversité des personnages en fait partie, donc cela m’a semblé être une excellente occasion de mettre en valeur des talents divers. »

Nous les menteurs (We Were Liars).©Prime Video

Elle ajoute : « Je pense que cela semble organique à la série, aux personnages et à l’histoire. » Et c’est bien ça le plus important. Publié plus récemment (en 2015), alors que la fiction commençait à prendre conscience des enjeux de représentation, Nous les menteurs présente des personnages d’origine sud-asiatique, en particulier Gat, le meilleur ami et love interest de Cady.

Leur différence de classe sociale est d’ailleurs l’un des enjeux phares de la série : elle vient s’immiscer dans leur histoire tandis qu’ils grandissent et que le jeune homme, le seul de la bande à ne pas être un richissime Sinclair, prend conscience des privilèges de ses amis.

Nous les menteurs (We Were Liars).©Prime Video

D’autre part, l’intrigue repose sur les révélations autour de l’accident de Cady : l’adaptation reste donc logiquement fidèle au roman. Elle ne change que quelques menus détails, comme le temps que Cady met à revenir à Beechwood (deux ans dans le livre, un an dans la série).

Candice King, l’interprète de Bess (l’une des trois héritières Sinclair adultes) l’a promis en interview : « C’est une lettre d’amour aux fans du roman original ! » Si l’adaptation d’une œuvre sur le grand ou le petit écran apporte toujours son lot de polémiques, Nous les menteurs devrait donc satisfaire les fans du roman, et donner aux autres l’envie de le découvrir.

Règle n°3 : prendre des risques

Le genre du teen drama, très populaire, n’a cessé de prendre de l’ampleur sur les plateformes, jusqu’à devenir un enjeu stratégique. De nombreuses séries adolescentes reposent sur une œuvre littéraire, mais les plus inoubliables – 13 Reasons Why ou Heartstopper, par exemple – ont su prendre des risques et installer un univers fort, qui les distingue de la féroce concurrence des teen dramas. De ce côté-là, Nous les menteurs reste un peu trop lisse.

Nous les menteurs (We Were Liars).©Prime Video

Dommage, il y avait de quoi développer une ambiance vraiment envoûtante, aux frontières du gothique. Quant au casting, sans être étincelant, il tient bien la route. On est ravis de revoir des têtes connues, comme Candice King (Caroline dans Vampires Diaries) ou Mamie Gummer (The Good Wife), ainsi que de nouveaux visages prometteurs comme la délicate Esther McGregor (la fille d’Ewan McGregor) ou Emily Alyn Lind, nouvelle sosie officielle de Lily-Rose Depp.

Si Nous les menteurs apparaît un peu trop formaté, c’est que Julie Plec, la cocréatrice de Vampire Diaries, The Originals et Legacies, est une vétérane du teen drama, qui a travaillé pendant plus d’une décennie pour la chaîne The CW. Elle a sa façon d’écrire des histoires adolescentes, axée soap, pour un public le plus large possible.

Nous les menteurs (We Were Liars).©Prime Video

Cela donne des scènes parfois vues et revues (les soirées arrosées, les quiproquos romantiques), des dialogues téléphonés et des thématiques intéressantes (les privilèges, le patriarcat, les secrets de famille) qui auraient pu être abordées avec un peu plus de subtilité. Restent la plage, les belles maisons et les mystères. Au final, cette adaptation de Nous les menteurs se visionne comme un plaisir coupable estival, qui laissera probablement moins de traces dans l’histoire de la fiction Young Adult que son matériau d’origine.

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