
L’auteur de La délicatesse et de Charlotte signe un nouveau conte onirique et poétique qui touche en plein cœur et cache bien son jeu.
À l’heure où Numéro deux, la pièce adaptée de l’un de ses précédents romans, cartonne au théâtre Tristan Bernard avec dans le rôle-titre un Axel Auriant épatant, David Foenkinos revient déjà avec une nouvelle histoire. Deux-cents pages, un souci de l’épure, du sentiment simple, mais qui va droit au cœur, un loser magnifique transformé en héros, un humour malicieux qui détonne dans le paysage littéraire français : on a beau connaître sur le bout des doigts tous les ingrédients de la cuisine romanesque de l’auteur, on se fait prendre à chaque fois par ses contes savoureux, d’une irrésistible gourmandise littéraire. À la lumière de son dernier livre, Tout le monde aime Clara, on vous dévoile la recette du succès à la sauce Foenkinos.
Les premiers seront les derniers
Depuis Le potentiel érotique de ma femme (2004) – récit rocambolesque des heurs et malheurs d’un homme atteint de collectionnite aigüe qui, à la suite d’un concours perdu, tente de se jeter sous les rames du métro, mais échoue à cause d’un mauvais dosage de tranquillisants –, David Foenkinos voue un culte à ces antihéros tellement maladroits et inadaptés qu’ils en deviennent des êtres attendrissants. L’auteur réussit à mettre en scène des héros du quotidien inspirant, non pas grâce à des actes de bravoure hors du commun, mais simplement en se débattant, comme nous tous, avec les affres de l’existence.
Toute l’œuvre du romancier est traversée par ces perdants magnifiques. On pense à Markus Dupree, l’amant introverti et étrange de Nathalie dans La délicatesse (2009), joué à la perfection par François Damiens dans l’adaptation cinématographique, réalisée par l’écrivain lui-même. On pense aussi à Martin Hill, cet adolescent fictif qui a échoué au casting final de la saga Harry Potter face à Daniel Radcliffe et dont la vie est retracée dans Numéro deux (2022), ou même à Eric Kherson, directeur commercial dépressif, protagoniste paradoxal de La vie heureuse (2024).
Cette quête prend même parfois des formes encore plus cocasses, comme dans Qui se souvient de David Foenkinos ? (2007), délire autofictionnel sur les débuts chaotiques de sa carrière d’écrivain, mais aussi dans La famille Martin (2020), où l’on suit un écrivain en panne d’inspiration décidant d’écrire sur la première personne qu’il croise. Enfin, dans Le mystère Henri Pick (2016), l’auteur suit un bibliothécaire qui consacre une pièce entière aux manuscrits refusés par les éditeurs. Autant de manières pour David Foenkinos de s’inclure avec malice dans la grande famille des perdants qui ont pris leur revanche sur la vie.
Humour et amour
De ces figures loufoques, romanesques à souhait, découle une drôlerie irrésistible, douce-amère, qui détonne franchement dans le si sérieux paysage littéraire français. Avec pour terrain de jeu nos existences exceptionnellement banales. L’œuvre de David Foenkinos est un petit théâtre du quotidien où l’on rit autant des actes que des paroles des personnages tourmentés. Une tragicomédie qui marche constamment sur un fil entre humour et drame. La délicatesse parvient à faire naître le rire dans une histoire de deuil et de reconstruction, Qui se souvient de David Foenkinos ?, Le mystère Henri Pick ou encore Numéro deux transforment l’échec en incroyable matériau comique. Quant à la La vie heureuse, il pose la question de l’au-delà et de la vie après la mort.
Deux sujets de prédilection de l’auteur lui permettent également de s’adonner à l’art si précieux de la satire. D’abord, le monde professionnel et ses absurdités. Le directeur commercial d’une grande chaîne de sport, un veilleur de nuit dans un hôtel, un gardien de musée, une DRH : David Foenkinos n’a pas son pareil pour croquer des personnages victimes d’un boulot vide de sens, d’une bureaucratie labyrinthique ou bien des caprices des puissants. Un régal cathartique pour tous les lecteurs aux prises avec leur emploi.
Ensuite, les vertiges de l’amour. Chez Foenkinos, le comique naît souvent des maladresses du rapport amoureux et notamment des rencontres cocasses, comme dans Le potentiel érotique de ma femme, La délicatesse ou La vie heureuse. La manière dont les êtres s’assemblent, s’entrechoquent et se désaccordent : la traditionnelle machine à émotions se transforme sous la plume de l’auteur en ressort comique pour se moquer de la solitude existentielle des êtres.
Une histoire de femmes
Un romancier homme peut-il écrire de bons personnages féminins ? À cette ridicule et pourtant sempiternelle question, David Foenkinos apporte avec son œuvre une belle réponse. S’il faut reconnaître qu’elles ne sont pas souvent ses héroïnes, puisque chez lui ce sont souvent les hommes qui racontent les histoires, les femmes sont présentes en majesté dans ses romans. Nathalie dans La délicatesse, Joséphine Pick dans Le mystère Henri Pick, Madeleine Tricot dans La famille Martin, ainsi que la grand-mère dans Les souvenirs (2011) sont autant de personnages complexes et hypnotiques qui apparaissent comme les véritables moteurs de l’histoire.
Mais il faut bien sûr parler ici de son plus grand succès, Charlotte, prix Goncourt des lycéens en 2014 et formidable biographie romancée de Charlotte Salomon, jeune artiste allemande morte à Auschwitz à seulement 26 ans, alors qu’elle était enceinte. David Foenkinos parvient à rendre avec une émotion rare les tourments d’une femme juive persécutée, d’une artiste empêchée, d’une future mère inquiète, tout simplement d’une jeune femme qui devrait croquer la vie, mais qui se retrouve prise au piège des drames de l’histoire.
On ne change pas une équipe qui gagne
Comme un symbole, Tout le monde aime Clara est un concentré de tout ce qui fait le sel de l’œuvre romanesque de David Foenkinos, avec en complément un onirisme et une étrangeté dont on avait pu sentir l’effluve dans son précédent livre, La vie heureuse.
Comme souvent chez David Foenkinos, l’histoire commence par une scène cocasse. Un dénommé Alexis Koskas se retrouve en compagnie de trois femmes inconnues dans le salon d’Éric Ruprez, un écrivain confidentiel dont le dernier livre remonte à plus de 40 ans, pour suivre un drôle de cours d’écriture. Si le banquier virtuose, qui ne croit pas vraiment aux vertus thérapeutiques de l’art, s’est inscrit sur un coup de tête à cet atelier improbable mené par un homme qui ne parvient plus à écrire, c’est parce qu’un drame terrible vient de faire basculer sa vie.
Le prénom de sa fille, choisi en référence à la comédie désopilante, parfaitement 80’s, de Jacques Monnet, Clara et les chics types (1981), devait placer son existence sous le signe de l’insouciance, de la désinvolture et du plaisir. Mais le destin en a voulu autrement. Au sortir d’un concert de Björk, auquel Alexis n’avait finalement pas pu l’accompagner, car il avait cédé aux caprices d’une cliente fortunée, Clara a été prise dans un accident de voiture et s’est retrouvée plongée brutalement dans le coma.
Huit mois et huit jours d’effroyable silence pour Alexis, rongé par la culpabilité, main dans la main avec Marie, son ex-femme avec qui il a renoué, avant que le miracle n’opère. Après cette renaissance inespérée, Alexis a besoin de retrouver un sens à sa vie. Et cette étrange figure d’écrivain raté va devenir pour lui un mystère à élucider. Pourquoi a-t-il arrêté d’écrire ? Que renferme son seul et unique livre, devenu parfaitement introuvable ? Il devient obsédé par cet homme à qui « l’échec va si bien ». Mais sa quête se heurte au mutisme décidé d’Éric Ruprez. Heureusement, sa fille va devenir sa meilleure alliée : au moment de se réveiller, elle a développé d’étranges facultés de prescience qui seront bien utiles pour découvrir la vérité.
À la fois ode à la résilience et comédie romantique, Tout le monde aime Clara est un tourbillon d’émotions qui touche en plein cœur. Tout nous touche dans la figure d’Alexis Koskas : ce père qui refuse d’abdiquer, ce mari éploré qui entrevoit une seconde chance, cet homme qui a besoin d’un but pour se reconstruire. Tout nous fait rire aussi : le piètre aspirant écrivain, le banquier aux prises avec une cliente amourachée. Cette scène dans laquelle le héros se débat avec les avances brutales de la jeune femme dont il gère la fortune est hilarante, jusqu’au basculement radical et le coup de fil qui lui annonce l’accident de sa fille. Le parfait exemple du grand huit émotionnel que propose le roman.
#RENTREELITTERAIRE 📚
— Gallimard (@Gallimard) December 28, 2024
Clara voit au-delà des apparences. Ceux qui la connaissent la redoutent autant qu’ils l’admirent. Car elle ne prédit pas seulement l’avenir : elle l’éveille.
"Tout le monde aime Clara" de @DavidFoenkinos paraîtra le 6 février▶️ https://t.co/USIo9JeOT7 pic.twitter.com/Tf8ls9PIn6
Mais, comme toujours chez Foenkinos, voilà un roman qui cache bien son jeu. Bourré de références cinématographiques – de Truffaut à Glenn Close en passant par Good Bye, Lenin! (2003) –, d’hommages littéraires – de Salinger à Modiano –, mais aussi de clins d’œil artistiques comme celui adressé à William Wetmore Story et son Ange du chagrin, le récit distille en fil rouge une touchante réflexion sur les affres de la création.
Comment et pourquoi raconter des histoires à travers l’art ? Et si finalement, c’était cela, la grande interrogation nichée à l’intérieur de l’œuvre de David Foenkinos ? La grande majorité de ses héros sont des écrivains, parfois des artistes. Ils sont tous, d’une certaine manière, des doubles de papier de l’auteur qui voient leur vie personnelle entrer en collision avec leur vie artistique. On en tire une leçon, comme une libre interprétation : certes, il faut vivre pour créer, mais il faut aussi créer pour vivre.