Critique

La Danseuse : les sources de Patrick Modiano 

12 octobre 2023
Par Thomas Louis
Patrick Modiano est de retour avec “La Danseuse”.
Patrick Modiano est de retour avec “La Danseuse”. ©Francesca Mantovani/Gallimard

Deux ans après Chevreuse, le prix Nobel de littérature 2014 revient avec La Danseuse, un condensé de tout ce qui fait l’ADN modianesque.

Les fantômes, la mémoire, le passé : autant de termes et de notions que l’on a coutume d’associer à l’univers de Patrick Modiano. Avec La Danseuse (Gallimard), les choses ne sont pas prêtes de changer. Depuis La Place de l’Étoile (Gallimard, 1975), le romancier écrit ce qui lui glisse entre les mains. Pourtant, ses narrateurs ont toujours l’espoir que quelque chose revienne. Alors quoi ? Alors ils brodent leurs vies, et c’est très bien comme ça. En cela, La Danseuse est l’une des plus belles incarnations de la profondeur de l’œuvre du romancier et un rendez-vous à ne pas rater en cette rentrée littéraire.

Un livre modianesque

Ce livre est son 45e roman et peut-être l’un des plus courts. Pourtant, rien qu’à son résumé, il rappelle à la fois Rue des boutiques obscures (1978, Gallimard), Dora Bruder (1997, Belin Éducation), Dans le café de la jeunesse perdue (2007, Gallimard). Lire La Danseuse, c’est commencer à saisir les rouages de l’écriture de cet écrivain du souvenir. À partir du simple résumé, tout est là : un narrateur se souvient d’une danseuse rencontrée dans un Paris perdu, et tout se réactive. Simple, efficace. Modianesque.

« Voilà qu’un instant de passé s’incruste dans la mémoire comme un éclat de lumière qui vous parvient d’une étoile que l’on croit morte depuis longtemps. »

Patrick Modiano dans La Danseuse

Des repères qui construisent

Comme souvent, c’est à partir d’une rencontre que le narrateur repart sur les traces de cette danseuse. Pour cela, on avance par petits pas, en oblique, on se perd pour mieux prendre un autre chemin. C’est Modiano. Parfois, on ne sait ni pourquoi ni comment des personnages apparaissent. Mais, aussitôt arrivés, ils font directement décor. Il suffit d’une phrase pour qu’ils nous soient familiers. C’est Modiano. De la même manière, on retrouve des noms, comme Perreau, Hubersen, que l’on prend plaisir à retrouver d’un livre à l’autre. Comme si un fil reliait toute l’œuvre et aucun texte à la fois. 

Patrick Modiano. ©Francesca Mantovani/Éditions Gallimard

Les patronymes restent d’ailleurs particulièrement représentatifs de la « patte » Modiano. On retrouve ainsi Georges Starass, Serge Verzini, Hovine ou encore Maurice Girodias – évocation du fondateur des éditions du Chêne. Autant de noms qui incarnent le mélange entre fiction et réalité, dont l’équilibre précaire s’impose comme un vrai socle littéraire. Car chez Modiano, il y a le présent flou, des silhouettes, l’Occupation qu’il n’a pas connue ; seuls les lieux semblent vérifiables. Et encore, on s’y perdrait bien, aussi.

« Il faut marcher à pas comptés pour déjouer le désordre et les pièges de la mémoire. »

Patrick Modiano dans La Danseuse

Marcher dans Paris

Ces lieux, c’est le légendaire Paris de Modiano. Dans La Danseuse, il y a celui de l’époque, mais aussi celui d’aujourd’hui, dans lequel il flâne et qu’il évoque plus rarement. Dans les yeux du narrateur, la capitale a évolué, la distance mémorielle lui a donné de nouvelles couleurs, et Paris est désormais une cible pour les voyageurs.

On y croise un nouveau peuple, les touristes, dont on ne sait ni d’où ils viennent ni où ils vont. Mais ils sont là, consolident la thèse selon laquelle, chez Modiano, tout est mouvant, même la mémoire. Encore elle. Car oui, à force de déambulations, le narrateur de La Danseuse fait le perpétuel constat que cette mémoire se troue. On pourrait le résumer aux mots qu’il emploie régulièrement : « apparemment », « peut-être », « sans doute ». Mais jamais « j’en suis sûr ». Tout un programme. 

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Mais, en cela, ce nouveau roman est une parfaite porte d’entrée pour approcher l’œuvre de Patrick Modiano. Il s’impose comme une très bonne séance de rattrapage de tout ce qui fait la force et la richesse d’une telle œuvre. Une œuvre où il y a toujours quelqu’un que l’on a connu, ici ou là, que l’on ne cherche pas forcément à revoir, mais qui peuple quelque chose de notre mémoire.

« On a beau faire de son mieux et se croire hors d’atteinte, on n’échappe pas toujours aux fantômes. »

Patrick Modiano dans La Danseuse

Et si la danse est ici présente (souvenir – encore un – d’un spectacle avec Maria Tallchief), la fin se passe comme la fin d’une représentation : pas à pas, Modiano s’en va. Pour une prochaine représentation.

La Danseuse, de Patrick Modiano, collection « Blanche », Gallimard, 112 p., 16 €, en librairie depuis le 5 octobre 2023.

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