Alexis Le Rossignol présente son spectacle Le Sens de la vie au théâtre de la Gaîté-Montparnasse, à Paris, avant une tournée hexagonale. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré l’humoriste afin d’évoquer son rapport à la scène, l’écriture ou encore ses inspirations.
Comment l’idée de ce spectacle est-elle née ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de remonter sur scène après un premier seul-en-scène ?
Pour ce spectacle, je cherchais un sujet. J’avais des notes éparpillées un peu partout. En 2023, j’ai perdu un proche, un oncle qui était un peu comme mon père. J’ai eu en tête cette scène de cinéma, quand on est au pied du lit d’un proche et qu’on doit lui dire au revoir. Il m’a laissé un témoignage très profond et très humain sur la nécessité, quand on est exposé comme moi, de dire aux gens qu’il faut se réjouir de ce que la vie nous réserve, le bon comme le moins bon, les joies comme les peines et que, quoi qu’on fasse, on ne contrôle pas grand-chose. J’ai vraiment gardé cette phrase longtemps en tête.
J’ai un truc avec les citations… D’ailleurs, je l’exploite un petit peu dans le spectacle. La première version de ce dernier parlait de cette relation avec mon oncle qui était une personne handicapée, en fauteuil roulant et qui, toute sa vie, a eu les difficultés qui sont celles d’une personne en fauteuil. Ceci étant dit, il était plein de vie, il trouvait que la vie était merveilleuse, qu’elle était belle, qu’elle était riche, qu’elle était surprenante ! Ça a été une transmission très forte que j’abordais au début du spectacle quand je l’ai écrit en mai 2023.
« Ce spectacle m’a beaucoup confronté à moi-même et m’a donné plus que ce que j’imaginais. »
Alexis Le Rossignol
Pourtant, vous avez choisi de réécrire le spectacle, de ne pas évoquer votre oncle finalement. Pourquoi ce choix ?
Je sentais que ça plombait l’ambiance, malheureusement. D’une part, car ça réveillait aussi des histoires personnelles dans le public. Il y avait une part impudique, vis-à-vis de son histoire et de la mienne qui me mettait mal à l’aise. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’on fait de l’humour et qu’il faut que les gens se marrent. C’est plus important que jamais !
J’ai donc décidé de réécrire le spectacle en gardant l’idée de fond sans être dogmatique ou moralisateur. Je voulais juste que les gens piochent au passage ce qu’ils voulaient dans le spectacle et que ce soit drôle. C’est sûr que celui ou celle qui est attentif peut choper au passage ses propres idées et interprétations.
« Le Sens de la vie est un titre qui est un peu lourd à porter parfois, car il est un peu pompeux et, en même temps, je crois qu’il m’a été utile, parce qu’il m’a fait travailler tous ces sujets plus en profondeur que d’habitude. »
Alexis Le Rossignol
Comment avez-vous vécu cette démarche ? Cette partie-là du spectacle a-t-elle été dure à laisser de côté ?
Je tournais autour du pot, et ça a été un soulagement quand j’ai compris qu’il ne fallait pas que j’évoque cette histoire. Quand on écrit un spectacle, il faut être capable de le jouer 200 fois de suite et, quand on joue 200 fois un spectacle, il faut qu’on assume 200 fois les propos qu’on tient. Ce n’est pas que j’avais du mal à les assumer, mais je sentais que je n’allais pas tenir. Il y avait un côté qui dévoilait beaucoup et qui replaçait toujours un moment triste de la vie.
Même si on meurt tous et qu’il faut apprendre à vivre avec nos morts, je me suis dit que ce n’était pas l’axe de mon spectacle. Je savais qu’un jour j’allais abandonner ça, car c’était trop lourd à aborder sur scène. Je n’ai pas réussi à le rendre assez léger sans perdre l’hommage que je souhaitais. J’étais davantage dans un registre dans lequel le rire permet tout, alors que, par moments, ce n’est pas le rire qui fonctionne, mais la vraie émotion. Par rapport à ce qu’il avait représenté pour moi, je ne pouvais pas passer par le rire.
Pourquoi avoir choisi de donner à votre spectacle le titre Le Sens de la vie ?
L’humour a une place tellement importante culturellement : on est obligé de réserver des salles deux ans à l’avance, il y a énormément d’humoristes, la production doit nous accompagner et, pour mettre en ligne les billets, je dois leur donner un titre… Au moment où on a mis tout ça en place, je n’avais pas encore de nom, car le spectacle n’était pas totalement écrit et il fallait un titre, parce qu’il fallait mettre en vente et mettre à jour ma fiche.
Je tournais en rond et je cherchais un titre qui ne soit pas éloigné de ce que je racontais, qui soit assez généraliste pour y mettre un peu ce que je voulais. Un jour, Le Sens de la vie m’est venu. C’est un titre qui est un peu lourd à porter parfois, car il est un peu pompeux et, en même temps, je crois qu’il m’a été utile, parce qu’il m’a fait travailler tous ces sujets plus en profondeur que d’habitude. Je m’y retrouve bien et je suis à l’aise avec ça maintenant.
Quel regard posez-vous sur l’humour en général, notamment quand on a un spectacle qui s’appelle Le Sens de la vie ?
L’humour est un outil de résilience, c’est-à-dire que dans tout ce qui nous arrive, je crois qu’on subit des choses en trois étapes. D’abord, il y a la stupeur. Ensuite, l’acceptation, quand viennent les larmes et la tristesse. Enfin, il y a comment on vit avec le temps et comment on se remémore ; comment les rires prennent petit à petit le pas sur les émotions tristes et les émotions négatives. C’est merveilleux de transformer notre peine en moments de joie partagés. Quand on évoque quelqu’un ou quelque chose qui nous fait de la peine, on va souvent essayer d’en parler avec humour, ça nous fait du bien, comme ça fait du bien aux gens qui l’écoutent.
Considérez-vous que ce spectacle a donné du sens à votre vie ?
C’est intéressant, car ce spectacle m’a beaucoup confronté à moi-même, c’est-à-dire que j’ai passé du temps à ne pas être satisfait. J’avais l’impression que je ne répondais pas à la question sous-jacente, à savoir quel est le sens de la vie, et en même temps je ne voulais pas vraiment y répondre. Je ne voulais pas être professoral, je voulais être dans la légèreté tout en permettant au public de trouver des petites choses au passage. À un moment donné, je crois que j’ai un peu touché à ça, parce que j’ai beaucoup lu. Je me suis plongé dans pas mal d’auteurs et ça m’a énormément apporté. Je dirais que c’est un spectacle qui m’a donné plus que ce que j’imaginais.
« J’essaie de vivre pleinement ce que je raconte sur scène. »
Alexis Le Rossignol
Quel rapport avez-vous avec votre public ? Quels retours retenez-vous à l’issue du spectacle ?
J’ai une grande proximité avec mon public. J’ai l’impression que les gens me connaissent bien et adhèrent bien à ce que je fais. Grâce au bouche-à-oreille, il y a quelque chose qui s’enclenche et qui fait qu’il y a des gens qui viennent me voir en spectacle, mais qui ne me connaissent pas. D’autres m’écrivent en me disant qu’ils ont beaucoup ri, mais aussi appris beaucoup de choses. Ce retour-là, je ne l’avais pas vis-à-vis du spectacle précédent. J’ai l’impression qu’il y a un travail de réflexion qui est fait après ; le spectacle reste. C’est ça la force de l’écriture, aussi. Quand je vais voir des spectacles, j’aime cette chose en deux temps.
Comment définiriez-vous votre univers, notamment pour un spectateur qui ne vous connaît pas ?
S’autodécrire est compliqué, parce que ça voudrait dire s’autodéfinir et c’est toujours difficile. Souvent, les gens trouvent que c’est de l’humour qui parle à tout le monde, donc je dirais que j’ai un univers très inclusif. Je dirais aussi populaire, bien que ce soit un thème galvaudé. Ce n’est pas toujours un joli terme, mais je crois que ce n’est pas un gros mot pour ma part. J’ai grandi avec les comédies populaires portées par Louis de Funès ou Bourvil, et je pense que quand on est populaire, on arrive à toucher chacun d’entre nous. Ceci a une certaine valeur. Je fais aussi beaucoup de storytelling, j’adore embarquer les gens dans mes histoires.
Vous dites que vous avez beaucoup lu pendant l’écriture de ce spectacle. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Cette année, quelque chose s’est déclenché chez moi, mais que je n’assume pas tout à fait encore. Disons que j’ai quelques subterfuges pour citer des grands auteurs sans vraiment les citer. Par exemple, j’ai beaucoup d’admiration pour Fabrice Luchini, qui est quelqu’un qui connaît sur le bout des doigts les auteurs qu’il évoque. Ce n’est pas encore tout à fait mon cas, j’ai donc un certain syndrome de l’imposteur.
En même temps, je me dis que j’ai de plus en plus envie de tendre vers cela, parce que pour moi, la puissance des citations, c’est l’équivalent des punchlines en littérature. C’est dire en peu de mots quelque chose de très drôle qui résume un point de vue, une pensée… Les citations sont comme des guides pour moi.
Pour l’instant, j’utilise le carnet dans le spectacle sans vraiment assumer mon côté “je vais citer des auteurs”. Parmi les auteurs que j’ai lus, on retrouve Montaigne, par exemple. J’ai aussi lu des livres de philosophie, j’ai écouté des podcasts. J’ai aussi fait beaucoup de bricolage en écoutant de la philosophie. J’avais peur de tomber dans une conférence avec ce spectacle, mais j’ai l’impression d’avoir évité cet écueil.
Quand on vous découvre sur scène, vous dégagez une forme de décontraction naturelle. Comment vous sentez-vous face au public ?
C’est très stimulant, parce que c’est vraiment quelque chose que j’aime. J’aime pratiquer le stand-up. En revanche, je n’aime pas le stand-up en soi. C’est-à-dire que je suis pas un consommateur de stand-up, car j’aurais peur que ça me limite, de penser que tous les sujets ont été explorés si j’avais, justement, cette culture stand-up. J’essaie aussi de vivre l’expérience différemment sur scène en étant au micro-casque, plutôt qu’au micro pied, et en racontant des anecdotes. Je n’ai pas de metteur en scène, je travaille à l’instinct, car j’essaie de vivre pleinement ce que je raconte sur scène !
Le Sens de la vie, d’Alexis Le Rossignol au théâtre de Gaîté-Montparnasse à Paris, jusqu’au 5 janvier 2025 et en tournée dans toute la France, jusqu’au 27 novembre 2025.