Entretien

Jérémy Charbonnel pour Seul tout : “J’ai compris que le stand-up peut être un art d’honnêteté“

22 octobre 2025
Par Lisa Muratore
Jérémy Charbonnel présente son spectacle “Seul tout”.
Jérémy Charbonnel présente son spectacle “Seul tout”. ©Lisa Levy

« Mais où est-ce que ça a merdé ? » : voici la question que se pose Jérémy Charbonnel dans son nouveau spectacle Seul tout, dans lequel l’humoriste sonde sa famille pour mieux se découvrir. L’artiste interroge ainsi la notion de transmission dans un spectacle drôle et sensible.

Quel a été le déclic pour ce spectacle ?

Il y en a eu deux, pour être honnête. Le premier, c’est une discussion avec un ami : on parlait de cette image de “mec parfait”, sans aspérités. Et je me suis demandé si, justement, ne pas avoir d’aspérités, ce n’était pas une aspérité en soi. On a creusé des trucs un peu chiants de ma vie, pas forcément drôles, mais magiques ou touchants. Et puis il y a eu ma séparation. Ça a rebattu les cartes, cette image de perfection a explosé. Le spectacle est né là, d’une vraie introspection : comment j’ai été éduqué ? Quels modèles familiaux j’ai reçus ? Pourquoi ma vie ne ressemblait plus à celle qu’on m’avait promise ? En creusant, j’ai compris que tout ça parlait aussi de transmission : ce que mes parents m’ont transmis et ce que moi je vais transmettre à mon fils.

Justement, cette idée du “mec parfait”, on la retrouvait déjà dans vos précédents spectacles. Seul tout est-il la conclusion de ce personnage ?

Oui, c’est une forme de bilan. Dans mes anciens shows, je jouais sur la dualité : ma tête de gendre idéal face au type un peu connard. C’était drôle, mais pas toujours sincère. Une directrice artistique m’a d’ailleurs dit, un jour : “Dans la vie, t’es pas un connard, donc tu triches un peu.” Et elle avait raison. Là, j’ai voulu être honnête. J’ai compris que cette quête de perfection venait de mon éducation : tout était tracé pour que ma vie soit réussie. Sauf qu’à force d’avoir peur de l’échec, je vivais dans la représentation, pas dans le réel. Aujourd’hui, j’essaie juste d’être une meilleure personne, pas une personne parfaite. Et c’est tout le sujet du spectacle.

Jérémy Charbonnel. ©Lisa Levy

Peut-on parler d’introspection, alors, avec Seul tout ?

Complètement. Quand j’ai commencé ma thérapie, la première chose que j’ai dit à ma psy, c’est : “Je veux savoir qui je suis.” Ça résume tout. On croit se connaître, mais, souvent, on ne fait que se fuir. Le spectacle, c’est le prolongement de ce travail : transformer un parcours parfois douloureux en matière drôle, sans le dénaturer.

Entre la psy et la scène, qu’est-ce qui vous a le plus aidé ?

La psy d’abord, clairement. Elle m’a permis de digérer pas mal de choses. Mais le stand-up m’a aidé à les assumer. Au début, le spectacle flirtait un peu avec le drame ; puis, petit à petit, j’ai réussi à en faire quelque chose de plus léger, de plus juste. Par exemple, j’ai joué à Lille récemment, et j’ai reçu un message… incroyable. C’est là que tu réalises qu’on peut quand même faire du bien. Un spectateur m’a écrit : “Ton histoire m’a aidé à reprendre ma vie en main, à réaliser que je n’étais pas seul.” Quand tu reçois ça, tu te dis que t’es au bon endroit. On ne sauve pas des vies, mais parfois on les éclaire un peu.

« Quand c’est le bazar à l’intérieur, t’as besoin que ce soit nickel à l’extérieur. C’est une manière de tenir debout. »

Jérémy Charbonnel

Imaginiez-vous que le stand-up pouvait être aussi profond quand vous avez commencé ?

Pas du tout ! Quand j’ai débuté, j’étais dans la performance, le “Je vais vous faire rire”. Un jour, une directrice du Point Virgule me dit : “Je ne sais pas qui tu es” et elle avait raison ! Puis j’ai vu des artistes comme Blanche Gardin ou Fary, qui mettaient leur intimité sur scène, sans filtre. J’ai compris que le stand-up peut être un art d’honnêteté. Et plus je suis vrai, plus les gens se reconnaissent.

Vous vous demandez dans le spectacle : “Où est-ce que ça a merdé ?” Mais, à vous entendre, ça n’a pas tant merdé que ça finalement ?

Peut-être ! En tout cas, aujourd’hui, ma relation avec mon fils est incroyable. Il vient souvent en tournée avec moi, on découvre les villes ensemble. On se forge des souvenirs beaux et précieux. Sur ce point, ça n’a pas trop merdé, effectivement !

Vos parents sont très présents dans le spectacle, étant donné le thème de la transmission. Avez-vous hésité à vous livrer autant sur votre intimité familiale ?

Honnêtement, non. J’ai écrit sans trop penser à l’impact que ça aurait sur eux. Mais la première fois qu’ils ont vu le spectacle… silence total. Mon père m’a juste dit : “Bon spectacle, mais tape un peu moins sur moi.” [Rires] Ma mère, elle, m’a dit : “Tout ce que tu racontes, c’est pas vrai.” Je crois qu’elle ne se reconnaît pas, ou ne veut pas se voir comme ça. Mais je ne raconte pas leur vérité, je raconte ma perception. Et ça, c’est différent.

Il y a eu une forme de déni, au début. Et puis… on n’en a plus jamais reparlé. [Rires]
Aujourd’hui, je sais que ma mère regarde certaines de mes vidéos ou écoute mes passages de podcast, donc je désamorce toujours un peu quand je parle d’eux, parce que je sais que ça peut la toucher. Elle me dit souvent : “J’ai l’impression que t’as aucun bon souvenir avec moi.” Alors que ça n’a rien à voir. C’est juste qu’il y a des choses qui m’ont marqué, dont j’ai envie de parler, et qu’elle, elle n’a peut-être pas encore le recul pour se voir comme un personnage. Je parle, par exemple, de cette version d’elle un peu dépressive, très ordonnée, dans le contrôle. Et je crois que je tiens ça d’elle. Moi aussi, j’ai ce besoin que tout soit propre, repassé, rangé… Parce que, quand c’est le bazar à l’intérieur, t’as besoin que ce soit nickel à l’extérieur. C’est une manière de tenir debout.

Jérémy Charbonnel. ©Lisa Levy

Est-ce libérateur de ne pas se censurer à ce point-là ?

C’est intéressant, parce que je ne m’étais pas du tout posé la question de leur ressenti quand j’ai écrit. Et puis je me suis rendu compte que c’était un peu comme une caricature à Montmartre : tu te reconnais, mais tu vois surtout tes défauts, et t’as pas envie de te voir comme ça. C’est toi, mais pas complètement toi. Je pense que ça n’a pas dû être simple pour eux. Mais en même temps, ils restent une source d’inspiration inépuisable. J’ai passé plus de 30 ans avec eux, forcément, ça marque. Avant, je caricaturais beaucoup, donc mes parents ne se reconnaissaient pas. Là, j’ai cherché plus de justesse, donc forcément, ça pique un peu.

Quel plaisir prenez-vous à vous glisser dans leur peau ?

C’est un mélange de compréhension et de pardon. En travaillant sur moi, j’ai aussi appris à comprendre mes parents : pourquoi ils étaient comme ça, pourquoi ils ne pouvaient pas faire autrement. Ça adoucit la colère. Et puis, à un moment, tu acceptes : tu ne changeras pas tes parents, mais tu peux changer ton regard sur eux.

On sent aussi dans votre spectacle une forme de déconstruction masculine. Était-ce volontaire ?

Pas du tout au départ. Le mot “déconstruction”, je l’ai découvert lors d’un podcast qui s’appelle La daronnie ! [Rires] Mais c’est exactement ce que j’ai vécu sans le savoir. Ma déconstruction, c’est en fait mon travail thérapeutique… sans que je sache que c’en était une. C’est venu d’un truc très simple : je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi, je me disais “C’est pas normal d’être comme ça”, et j’avais envie de comprendre qui je suis.

Forcément, quand tu fais ce travail-là, tu déconstruis des schémas familiaux. Moi, j’ai grandi avec un modèle de couple qui, à mon avis, était un peu dysfonctionnel. Donc, inconsciemment, tu reproduis ce que tu as observé. Et tu continues, sans savoir que ce n’est pas forcément sain. Et c’est là qu’il faut sensibiliser les gens : leur dire que ce n’est pas forcément ça, l’amour. Si c’est ça, la déconstruction, alors oui, elle s’est imposée à moi de manière totalement inopinée. Je ne savais juste pas que ce que je vivais portait ce nom. On a mis un mot sur quelque chose que je faisais déjà, sans le savoir.

Jérémy Charbonnel. ©Lisa Levy

Vous dites que votre spectacle raconte “l’histoire d’un mec lâche qui prend des risques”. Devenir humoriste, c’est le plus grand risque que vous ayez pris ?

Oui, absolument. C’était une lubie d’enfant, quelque chose d’insouciant, presque inconscient. Ce qui est fou, c’est que, lorsque j’ai compris que je voulais faire ce métier, tout s’est cristallisé pour moi lors d’un stage. Là, j’ai réalisé que je voulais transmettre des émotions… et en recevoir. Mais le paradoxe, c’est que je ne savais pas vraiment exprimer mes émotions. Au départ, ce métier était le plus loin de ce que je pouvais imaginer pour moi, mais je savais que c’était ce que je voulais.

Aujourd’hui, je suis encore loin d’être un acteur incroyable ou un stand-upper parfait, mais c’est ça qui est passionnant : chaque jour est une petite victoire pour apprendre à mieux ressentir, mieux exprimer mes émotions et mieux écouter les autres.

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J’ai eu la chance de tourner dans le film Cloclo en 2012, quelques téléfilms pour France Télévision, et Bref 2. J’espère continuer à avoir des opportunités de tourner, car je sens que ça me fait grandir. Même si je pars de très loin, chaque expérience me rapproche un peu plus de ce que je veux devenir.

Qu’est-ce que ce spectacle vous a appris sur vous et sur votre manière de travailler ?

À m’autoriser à rater. Avant, tout devait être parfait : la blague, le rythme, le rire. Maintenant, je cherche la vérité, pas l’efficacité. Le rire n’est qu’une conséquence. Si je suis sincère, il viendra tout seul. C’est un vrai changement de paradigme. Ce travail fait partie de ma prépa mentale aussi.

En quoi cette prépa mentale vous aide-t-elle ?

C’est venu d’une vidéo de Léon Marchand. Il parlait de son coach mental, et je me suis dit : “Mais nous aussi, les artistes, on est des sportifs de haut niveau !” J’ai donc contacté un de ses associés, et, depuis deux ans, on travaille ensemble. On travaille sur la performance par le plaisir : ne plus viser la perfection, mais le chemin. Il m’a aidé à retrouver le plaisir d’écrire, de jouer, de poster sans me soucier du regard des autres. Et ça change tout.

Et la suite pour vous, c’est quoi ?

Continuer à jouer Seul tout au Point Virgule, puis partir en tournée. Peut-être un retour au cinéma, ou un roman graphique sur la vie d’un père célibataire. Mais surtout : ne plus me mettre de pression. Avancer, kiffer, rester curieux, trouver un équilibre entre le pro et le perso. Surtout : garder la tête hors de l’eau – ou au moins le buste, comme dit mon préparateur mental ! [Rires]

Seul tout, de Jérémy Charbonnel, du 4 novembre au 31 décembre 2025 au Point Virgule, à Paris et en tournée dans toute la France du 8 novembre 2025 au 9 mai 2026.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste