Critique

La Femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre, parodie géniale ou caricature grossière ?

01 février 2022
Par Moland Fengkov
“La Femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre” est une parodie de thrillers comme “La Femme à la fenêtre”.
“La Femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre” est une parodie de thrillers comme “La Femme à la fenêtre”. ©Netflix

C’est sans doute la série de Netflix affichant le titre le plus long. Contredit-il l’adage selon lequel ce n’est pas la taille qui compte ? Verdict.

Les connaisseurs auront saisi le clin d’œil. La Femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre renvoie à des thrillers comme La Fille du train, La Femme à la fenêtre, ou encore Fenêtre sur cour, du maître du suspense Alfred Hitchcock. Les plus cinéphiles y verront même une référence au Blow up de Michelangelo Antonioni et son remake Blow out par Brian de Palma.

En effet, outre son pitch qui ressemble à ceux des premiers films cités, à savoir l’histoire d’une femme isolée qui épie ses voisins et finit par être témoin d’un meurtre, cette minisérie de huit épisodes questionne, comme dans le chef-d’œuvre d’Antonioni, la crédibilité de ce que le personnage voit et de ce que le spectateur observe lui-même. Mais l’hommage est un exercice vain et facile s’il ne propose pas une bonne dose de nouveautés et de surprises.

Dynamiter les codes du polar

S’il existe un genre qui fonctionne selon des règles bien précises, c’est bien le polar. La Femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre entend jouer avec pour mieux les transgresser, dans un exercice relativement jouissif de dynamitage de ces codes. Le tout, dans une dynamique qui se veut parodique. Ça donne lieu à une comédie subtile qui ne cherche pas le gag outrancier, absurde et surréaliste comme Les Nuls ont pu en user dans La Cité de la peur, par exemple, mais plutôt à pointer du doigt ses ressorts dramatiques pour s’en amuser avec son public.

C’est dans les détails que la série niche le diable : l’épitaphe sur la pierre tombale de la fille d’Anna diffère à chacune de ses visites au cimetière ; l’héroïne est, comme il se doit, alcoolique, et victime d’un drame familial traumatique ; elle souffre d’une phobie jouant un véritable rôle dans le scénario (l’ombrophobie, ou la peur de la pluie) et rappellant un autre monument de Hitchcock, Vertigo.

©Netflix

Sur un rythme soutenu (chaque épisode n’excède pas les 30 minutes), l’intrigue se doit de réserver des coups de théâtre à la pelle (le caméo au tout dernier épisode en constitue un des plus savoureux), quitte à menacer toute crédibilité. Une fois qu’on saisit ces codes, on part à la recherche desdits détails pour mieux se délecter du jeu ludique auquel la série nous convie.

On en vient à s’intéresser au titre du roman que l’héroïne lit (La Femme de l’autre côté du lac), véritable mise en abyme de la série elle-même, ou encore à épier chaque apparition des personnages secondaires, de l’homme à tout faire qui n’en finit pas de réparer la boîte aux lettres à la voisine exécrable, en passant par l’amie galeriste intrusive, en se demandant quelle importance leur présence va gagner dans la suite de l’intrigue.

Terrain connu pour amateurs du genre

Banlieue cossue à la Desperate housewives, avec la voix off de rigueur, personnages cultivant leurs mystérieux secrets, faux-semblants, suspense à tous les étages avec climax et inévitable scène d’action finale… Tous les éléments sont réunis pour qu’on se sente en confiance dans ce genre à succès et à la mode.

Ne reste plus à la mise en scène qu’à jongler avec tous ces éléments pour construire son histoire : Anna, artiste peintre à succès en crise créatrice, a perdu sa fille de 9 ans, dévorée par un serial killer lors d’une visite sur le lieu de travail de son mari, psy pour le FBI. Séparée depuis, elle passe ses journées à remplir littéralement à ras bord des verres de vin et à les engloutir devant sa fenêtre, accompagnés d’un cocktail de médicaments.

©Netflix

Sujette à des hallucinations (elle voit et parle à sa défunte progéniture, entend des bruits suspects venant du grenier), elle ne peut alors que semer le doute chez le spectateur quand elle assiste au meurtre de sa voisine d’en face. Évidemment, la série se moque de ces ingrédients en forçant le trait : Anna conserve tous les bouchons en liège dans un grand bol, son fauteuil est taché de vin, sa phobie la terrasse toujours à un mauvais moment et toujours au même endroit (au milieu de la chaussée), le gardien du phare où a eu lieu un autre drame se montre inquiétant avec son regard mauvais, sa barbe mal taillée et sa casquette de travers, les tableaux qui lui ont valu son succès sont objectivement des croûtes immondes, tout comme celles qu’elle peignait avant, représentant des chiens dans des reproductions de maîtres, comme la Joconde.

Entre comédie et véritable thriller

Paradoxalement, malgré son titre qui annonce la couleur, la série ne fonctionne pas comme une comédie parodique au sens strict du terme. Elle jongle de façon ludique avec un genre codifié, mais elle prend aussi au sérieux sa propre trame narrative. Il convient donc d’accepter cet exercice d’équilibriste entre deux genres distincts (la comédie et le polar) pour ne pas garder l’impression qu’elle ne sait pas choisir, en définitive.

On ne rit pas aux éclats, même si la scène des textos qu’un intrus oblige Anna à envoyer à son ex-mari relève de la comédie pure, et on ne tremble pas de peur non plus, même si les nombreux twists fonctionnent à merveille.

En revanche, on salue la performance de Kristen Bell, qui prend plaisir à faire passer son personnage par tous les états, des larmes au rire, de la femme sexy à la desperate housewife, de la victime à la femme d’action, en passant par la suspecte et l’enquêtrice en herbe. L’actrice porte la série sur ses épaules avec brio et son plaisir à incarner Anna crève l’écran et se révèle communicatif. Au fond, rien que pour elle, la série vaut le détour.

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Article rédigé par
Moland Fengkov
Moland Fengkov
Journaliste