Micro-tremblement de terre dans le monde très masculin du thriller à l’anglaise : 130 ans après les aventures de Sherlock Holmes, Emma Thompson et Ruth Wilson laissent la pipe au vestiaire et mènent l’enquête dans la nouvelle série d’Apple TV+.
Une paisible banlieue d’Oxford, des pavillons et, plantée au milieu de cette vie ordinaire, Sarah Trafford (incarnée impeccablement par Ruth Wilson), conservatrice du musée municipal à la vie bien rangée : pas d’enfants, un mari, un vélo et un quotidien rythmé par une observation minutieuse de tableaux à la loupe. A priori, pas de quoi tenir les spectateurs en haleine pendant huit épisodes. Mais c’est mal connaître Mick Herron, le célèbre romancier anglais à qui l’on doit les cinq saisons de Slow Horses.
Une série de proximité
Comme on s’en doute, la normalité ne va pas durer. Il ne faut d’ailleurs pas attendre longtemps : dès la septième minute du premier épisode (Almost True), une maison du voisinage explose mystérieusement et la vie de Sarah Trafford bascule lorsqu’elle découvre l’existence d’une fillette de 5 ans miraculeusement sauvée des décombres et qui disparaît aussitôt, à la fois dissimulée par le NHS (le service de santé anglais) et les autorités.

C’est le début d’une quête irrationnelle pour cette « mère sans enfant » lancée sur les traces de l’orpheline invisible avec l’aide d’une paire de détectives privés à qui on n’aurait même pas envie de confier un double de ses clés. Et que va trouver la jeune Anglaise sur sa route ? Beaucoup de problèmes… mais aussi Emma Thompson.
Le colonel Moutarde a-t-il tué Gary Oldman avec un chandelier ?
Si l’intrigue de Down Cemetery Road est à des années-lumière d’un James Bond ou d’un roman de John le Carré, on retrouve instantanément l’ambiance poisseuse, grise et très mur de briques de Mick Herron. Il ne faut donc pas chercher très loin pour tisser des liens avec Slow Horses, sauf qu’ici, Gary Oldman a été remplacé par Emma Thompson, aka Zoë Boehm, détective à son compte au look cryptopunk à qui on ne la fait plus.

Cette dernière est en semi-couple avec Joe (incarné par Adam Godley, brièvement repéré dans Succession), lui-même enquêteur à la petite semaine et missionné par Sarah pour retrouver la petite fille disparue. Entre argot anglais, dialogues hilarants – parce que pince-sans-rire – et course-poursuite lentes dans un Oxford dans le brouillard, la série marque des points au fil des épisodes en imposant un rythme très éloigné des œuvres américaines où les ficelles sont souvent aussi grosses que le budget de production.

Rien de tout cela dans Down Cemetery Road, petit bijou psychologique made in England qui troque les services officiels d’investigation contre de l’espionnage de proximité avec Ruth Wilson à la fois obsédée et jusqu’au-boutiste. Un bon point pour l’écurie Apple TV+ qui conforte ici sa position de plateforme dédiée à celles et ceux que le binge watching irrite.
Et à la fin, ce sont les femmes qui gagnent
Si la série comporte un sacré nombre de points communs avec Slow Horses, elle s’en éloigne aussi sur certains aspects. Là où le programme avec Gary Oldman explorait les arcanes d’un MI5 un peu cra-cra, Down Cemetery Road se joue dans le huis clos d’une banlieue anglaise, derrière des façades un peu trop parfaites. Une approche plus intime, presque domestique, qui accentue la paranoïa et la solitude des personnages. Il y a aussi, et surtout, le choix du casting : ici, ce sont les femmes qui mènent la danse.

Mention spéciale à Ruth Wilson (The Affair, Luther), parfaite dans son rôle de detective next door hésitant entre l’obstination et la folie – « Je ne suis pas une journaliste, hurle-t-elle à un policier dubitatif, je suis quelqu’un de normal ! ». Mais aussi à Emma Thompson, parfaite dans le rôle de la femme faussement désabusée et cynique à mort.
La première a accepté le rôle parce qu’elle « voulait absolument travailler avec Emma Thompson et qu’elle avait adoré Slow Horses » (propos rapportés par TV Insider) et la seconde, par ailleurs productrice exécutive de la série, a expliqué son intérêt pour le rôle de Zoë Boehm en raison de son admiration de longue date pour l’œuvre de Mick Herron.

« J’ai découvert Down Cemetery Road en 2016, explique-t-elle dans une interview. C’était dans la rubrique “le personnel recommande” de ma librairie locale et j’ai lu la majeure partie du livre debout dans la boutique en pouffant et en reniflant toute seule. »
Mais les deux actrices ne sont pas les seules à tirer les ficelles de cette production : on retrouve aussi la scénariste Morwenna Banks, déjà passée par Slow Horses, et la réalisatrice Natalie Bailey, à qui l’on doit notamment The Unusual Suspects. Toutes ces femmes contribuent à déringardiser toutes ces séries des années 1970 et 1980 dans lesquelles de vieux hommes en imperméable faisaient régner la justice sur le petit monde du polar.
Une saison 2, 3 et 4 ?
Sans spoiler la fin du huitième épisode, on peut affirmer sans trop s’avancer que Down Cemetery Road est une série à tiroirs, puisque Mick Herron a pris le temps d’écrire quatre ouvrages racontant les aventures de la détective Zoë Boehm. Si le succès critique et public est au rendez-vous, Down Cemetery Road pourrait donc devenir la nouvelle « petite-grande » saga d’espionnage d’Apple TV+, déjà considérée comme l’une des belles réussites britanniques de l’année. Si tout se passe comme prévu, les routes de Zoë Boehm et Sarah Tucker ne devraient donc pas s’arrêter au cimetière.
Down Cemetery Road, série en huit épisodes, dès le 29 octobre 2025 sur Apple TV+.