Entretien

Marina Foïs : “Ce que le film raconte c’est que la femme la plus riche du monde, c’est aussi la femme la plus seule”

29 octobre 2025
Par Pablo Baron
Marina Foïs incarne Frédérique Spielman, la fille de Marianne, dans “La femme la plus riche du monde”.
Marina Foïs incarne Frédérique Spielman, la fille de Marianne, dans “La femme la plus riche du monde”. ©Manuel Moutier

Dans son nouveau film intitulé La femme la plus riche du monde, le réalisateur Thierry Klifa dresse une satire sociale et familiale librement inspirée de l’affaire Banier-Bettencourt. Cette fable politico-médiatique, aujourd’hui portée par Isabelle Huppert et Laurent Lafitte, avait à l’époque défrayé la chronique.

Cette affaire avait semé la zizanie au sein de la dynastie Bettencourt. Ce qui devait être, au départ, un simple shooting photo pour un magazine a débouché sur une amitié aussi douteuse qu’indéfectible entre un photographe iconoclaste, Francois-Marie Banier, et l’héritière de L’Oréal, Liliane Bettencourt. Ce dernier est parvenu à lui soutirer des centaines de millions d’euros, avant que sa fille Françoise ne commence à le poursuivre en justice.

Cette histoire a tant passionné les Français qu’une série documentaire Netflix est sortie sur le sujet en 2023 et a rencontré un succès fulgurant, avec pas moins de 4 millions de spectateurs. Aujourd’hui, le 7e art s’en empare. Au casting de cette nouvelle lecture de l’affaire (tous les noms ont été changés), on retrouve, face à Isabelle Huppert, Marina Foïs en fille mal-aimée de la matriarche et Raphaël Personnaz dans le costume du majordome. À l’occasion de la sortie du long-métrage, L’Éclaireur a pu rencontrer le duo, attendu sur les écrans français ce 29 octobre.

Isabelle Huppert incarne Marina Farrère, l’équivalent de Liliane Bettencourt. ©Manuel Moutier

Avant de tourner ce film, connaissiez-vous l’affaire Banier-Bettencourt, dont il s’inspire librement ? Jusqu’où avez-vous choisi de vous inspirer – ou au contraire de vous éloigner – des figures réelles pour composer vos personnages ?

Marina Foïs : Je la connaissais à peu près comme tout le monde, c’est-à-dire vaguement, avec ce que j’avais lu dans la presse. Je connaissais les faits judiciaires et le scandale, mais pas les acteurs du scandale, c’est-à-dire qu’on ne sait pas bien qui sont ces gens. Peut-être que Banier est un  personnage plus public et moins secret que les membres de la famille. En tout cas, ils sont tous individuellement déchirés, il y a une folie qui circule dans cette famille. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est la mécanique : les voir tous se vautrer dans une guerre qui à la fin n’a aucun sens. La seule chose qu’ils réussiront à garder, c’est le pognon ; mais les liens, l’amour, la sérénité, tout cela est foutu à jamais. Et ce qui m’a intéressée, c’est de voir comment aucun d’eux n’était capable d’échapper à cette mécanique infernale.

Raphaël Personnaz : En ce qui me concerne, pas du tout. Il y a déjà très peu de représentations de lui, mais c’est cela qui était intéressant dans le projet. On ne colle pas forcément à une réalité judiciaire, même si tous les éléments sont vrais. Surtout, on prend des libertés qui nous permettent d’analyser en profondeur les personnages représentés. Et il y a une galerie de personnages complexes et riches intérieurement. Ce qui était passionnant, c’était de voir un élément perturbateur dans cette mécanique bien huilée qui vient appuyer sur toutes les failles de cette famille, à savoir le personnage de Laurent Lafitte. Je pense que ça parle à tout le monde, parce que ça existe dans beaucoup de familles, entre les secrets, les non-dits, il y a toujours quelqu’un qui va venir renverser tout ça. Moi, j’ai bien aimé cette fonction, d’être l’oreille, les yeux, la boîte à secrets de cette famille… Celui qui doit à priori les protéger et qui va être un peu débordé.  

La femme la plus riche du monde en salle le 29 octobre 2025.©Manuel Moutier

Vos deux personnages sont animés par des frustrations profondes – affectives, sociales, familiales… Réussissent-ils à les dépasser, selon vous ?

M. F. : Je suis assez surprise que vous les mettiez sur le même plan, car mon personnage va trahir le sien et pas l’inverse. Le mien appartient à la caste dont on parle, à cette petite royauté très déconnectée ; lui, pas du tout, et il en fera les frais – il sera exploité jusqu’à la fin. Par ailleurs, je pense que ce qui définit mon personnage concernant son registre émotionnel, c’est l’amour absent de cette mère.

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R. P. : Je ne sais pas s‘il y a une frustration, mais il me semble que, chez le majordome, il y a une illusion de faire partie de ce monde. Cependant, il va vite comprendre, à ses dépens, que ce n’est pas le cas et que ça ne le sera jamais. C’est comme les personnages sacrifiés dans les comédies de Shakespeare : il y a toujours un personnage issu du peuple qui sert les puissants et qui est le révélateur de la vérité, mais qui finit toujours sacrifié. C’est assez terrible dans ce que ça raconte de notre monde. C’est dingue d’être dans l’intimité de gens comme eux en permanence. Il y a presque un syndrome de Stockholm, il se met à leur place en permanence. 

Marina, vous incarnez ici une femme réelle, comme vous l’aviez déjà fait dans Moi qui t’aimais en interprétant Simone Signoret. Quelle différence cela fait-il pour vous de jouer quelqu’un qui a véritablement existé ?

M. F. : Selon la notoriété du personnage, la responsabilité n’est pas la même. Quand je joue Signoret, tout le monde la connaît, donc il y a une attente, il faut que je me faufile entre ce que je vais en faire moi et ce qu’attendent les gens. Il faut que je trouve ma liberté, ma Simone à moi. Quand je fais Darling [Film sorti en 2007, dans lequel Marina Foïs incarnait une femme battue, maltraitée, esclavagisée par son mari, ndlr], personne ne la connaît et la responsabilité est intéressante, car elle se joue entre moi et Darling. Pour moi, la responsabilité était très grande et très simple : je voulais que, pour la première fois de sa vie, elle se sente bien regardée par ceux qui allaient raconter son histoire, c’est-à-dire par moi qui l’incarnais. C’est ce qui m’animait et me souciait.

Quand on joue des personnages que le public connaît, c’est presque l’inverse, il faut trouver sa liberté pour que ça ait du sens. Si je produis la Simone que tout le monde veut voir, ça veut dire que je n’ai probablement pas mis assez de moi. Quand les personnages sont connus, il faut se les approprier, donc les décaler, donc les trahir. De toute façon, toute fiction ou adaptation est une trahison de la réalité et c’est pour cela que ça devient du cinéma. 

Les personnages qui ont plus de notoriété sont donc plus difficiles à interpréter que d’autres, moins connus ? 

M. F. : Ce n’est pas tout à fait le même exercice. L’histoire de la ressemblance est imposée par la nature du projet. Je me pose toujours la question de la situation plutôt que du personnage ou de l’émotion. Par exemple, une fille mal-aimée, ce n’est pas suffisant comme définition. Est-ce qu’elle est riche ? Pauvre ? A-t-elle un travail ? Vit-elle avec sa mère ? A-t-elle des enfants ? L’émotion ressort souvent de la situation. De plus, je ne crois pas qu’il y ait de personnage qui préexiste l’acteur qui l’incarne. Le personnage advient quand il est incarné par l’acteur à qui on a mis ce costume-là, dans ce décor donné, en face de Raphaël Personnaz qui joue ce majordome, avec ce chef opérateur qui va éclairer de cette manière-là, et ce réalisateur qui va être intéressé par ce moment-là. C’est par la somme de toutes ces choses qu’advient le personnage.

Raphaël Personnaz incarne le majordome de Marianne Farrère dans La femme la plus riche du monde.©Manuel Moutier

Un mot sur l’importance du travail visuel – maquillage, costumes, coiffure, couleurs. En quoi ces éléments vous ont-ils aidés à entrer dans la peau de vos personnages, notamment pour vous qui incarnez ce majordome à la fois discret et omniprésent, au blond péroxydé ?

R. P. : Elle n’est pas réaliste, cette tenue ; d’ailleurs, rien n’est réaliste dans son apparence, mais ça n’empêche pas d’arriver à une certaine vérité. Cette espèce de blond, a priori, n’aurait pas le droit d’exister dans ce genre de famille. Sa petite gourmette qui dépasse ne pourrait pas marcher non plus. Pourtant, il y a une vérité qui s’en dégage. C’est comme un peintre devant un paysage : soit on attend qu’il le reproduise exactement, soit on attend sa vision des choses. Tout au long du film, Thierry Klifa a reproduit non pas des endroits, mais des atmosphères. Au-delà des costumes, c’est quoi l’atmosphère d’une pièce d’ultrariche ? Eh bien c’est assez ouaté, on n’entendra jamais un son d’aspirateur, si vous posez votre verre, quelqu’un va vous le débarrasser sans que vous le voyiez – c’est cet ensemble de choses.

M.F. : Il y a une absurdité : que le verre vide disparaisse à peine bu, c’est bien ou c’est très angoissant ? Ça veut dire que l’on ne laisse jamais de traces de notre propre vie. Là, tout est toujours très propre… À mon avis, cela cache des choses. 

La bande-annonce de La femme la plus riche du monde.

Selon vous, un écart de richesse ou de pouvoir fausse-t-il forcément une amitié ?

R. P. : Oui, je pense. Je ne pense pas que ça la détruise, mais ça abîme forcément la relation. 

M. F. : En l’occurrence, le film parle quand même de l’argent qui devient dégueulasse, qui pourrit, qui corrompt et qui divise. 

R. P. : Cette relation de madame Farrère avec Pierre-Marie Fantin est pourtant très belle sans l’argent…

M. F. : La vraie question ne serait-elle pas : est-ce qu’elle existe sans l’argent ? Est-ce que c’est juste qu’il y ait de telles disparités entre nous, êtres humains ? Dire que l’argent et le pouvoir corrompent, c’est l’histoire de toute l’humanité, de la littérature, du cinéma… Rester pur et vertueux avec du pouvoir et de l’argent, c’est compliqué. Le film raconte que la femme la plus riche du monde, c’est aussi la femme la plus seule du monde.

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